« Aucun gouvernement ne devrait disposer d'un tel outil, et aucune entreprise privée ne devrait pouvoir le vendre à des gouvernements ou à d'autres », estime l'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression. Il propose de s'inspirer de la campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel.
« Voici ce que les dirigeants mondiaux doivent faire contre les logiciels espions », écrit David Kaye pour le Committee to Protect Journalists.
En 2019, alors qu'il était rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression, David Kaye avait déjà appelé à un « moratoire immédiat » sur les ventes, le transfert et l'utilisation de technologies de surveillance jusqu'à ce qu'un cadre respectueux des droits humains soit mis en place.
Le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, les dirigeants des principales organisations de défense des droits de l'homme « et au moins un État, le Costa Rica », s'étaient alors joints à son appel en faveur d'un moratoire.
Depuis, la Cour suprême de l'Inde « s'interroge sérieusement » elle aussi au sujet de l'utilisation de Pegasus par le gouvernement. Et le département américain du commerce a même placé NSO Group et une autre société israélienne de logiciels espions sur sa liste noire d'entités soumises à des restrictions, interdisant au gouvernement américain de faire des affaires avec eux.
De plus, Apple et Meta, la maison mère de Facebook, ont de leur côté poursuivi NSO Group pour avoir utilisé leur infrastructure afin de pirater des téléphones portables.
Un appel à l'interdiction des logiciels espion...
Alors que le comité Pega du Parlement européen enquête à ce sujet depuis des mois suite aux nombreuses révélations au sujet du logiciel espion Pegasus, notamment, David Kaye estime désormais qu' « il est temps de commencer à parler non pas d'un simple moratoire mais d'une interdiction de cette technologie intrusive, qu'elle soit fournie par des acteurs privés ou publics » et ce, « pour cette seule raison » :
« En principe, les logiciels espions présentant les caractéristiques de Pegasus - la capacité d'accéder à l'ensemble de l'appareil d'une personne et aux données qui y sont connectées, sans discrimination et sans contrainte - violent déjà les normes fondamentales de nécessité et de proportionnalité prévues par le droit international des droits de l'homme.
Aucun gouvernement ne devrait disposer d'un tel outil, et aucune entreprise privée ne devrait pouvoir le vendre à des gouvernements ou à d'autres. »
Il n'en reste pas moins conscient qu' « une interdiction ne se fera pas immédiatement », ce pourquoi il convient de commencer à discuter dès maintenant d'une « interdiction permanente tout en envisageant d'autres approches provisoires » :
- « des contrôles plus stricts des exportations mondiales pour limiter la diffusion de la technologie des logiciels espions ;
- l'engagement des gouvernements à veiller à ce que leur législation nationale permette aux victimes de logiciels espions d'engager des poursuites contre les auteurs, qu'ils soient nationaux ou étrangers ;
- et un large accord des entreprises tierces, telles que les fabricants d'appareils, les sociétés de médias sociaux, les entités de sécurité et autres, pour développer un processus de notification des violations des logiciels espions, en particulier aux utilisateurs et entre eux. »
... en référence à l'interdiction des mines antipersonnel
David Kaye fait un parallèle avec la campagne internationale pour l'interdiction des mines antipersonnel dans les années 1990, « qui a commencé avec peu d'espoir d'aboutir à une interdiction, se concentrant plutôt sur des contrôles à court terme ».
À l'époque, les défenseurs des droits humains et les gouvernements partageant les mêmes idées avaient réussi, aux termes de plusieurs années de négociation, à élaborer la Convention d'Ottawa sur l'interdiction et la destruction des mines terrestres antipersonnel en 1997, entrée en vigueur en 1999.
David Kaye estime que les militants et les gouvernements pourraient aujourd'hui s'en inspirer :
« Les organisations de défense des droits de l'homme et les journalistes ont fait le travail nécessaire pour révéler l'existence d'une menace majeure pour la liberté d'expression, la vie privée et l'espace de participation publique. Il est maintenant du devoir des gouvernements de faire quelque chose à ce sujet. »