Le premier microprocesseur Intel comportait 2 300 transistors avec une gravure en 10 000 nm. 50 ans plus tard, les CPU en intègrent des milliards et la finesse de gravure est passée sous les 10 nm, mais la route a été longue pour en arriver là. Dans cette première partie, nous retraçons 10 ans d’évolution, du 4004 au 80286.
Dans notre premier magazine – le Mag #4 est en cours de financement sur Ulule –, nous étions revenus sur la folle évolution du stockage en quelques décennies. Nous avons décidé de faire de même pour les processeurs. Les CPU n’ont en effet rien à envier aux HDD/SSD quant à l’augmentation des performances et de la densité en l’espace d’un peu plus de 50 ans.
La passe de quatre pour le 4004
Pour cette rétrospective, nous débutons avec l’Intel 4004, le premier microprocesseur à avoir été commercialisé. Dans ce dernier, nous nous focalisons principalement sur l’augmentation du nombre de transistors et la diminution de la finesse de gravure.
Le fondeur rappelle brièvement son histoire : « En 1969, Nippon Calculating Machine Corporation a approché Intel pour concevoir 12 puces personnalisées pour sa nouvelle calculatrice d'impression Busicom 141-PF[…] Les ingénieurs d'Intel ont suggéré une famille de seulement quatre puces [MCS-4 pour Micro Computer Set, ndlr], dont une qui pourrait être programmée pour être utilisée dans une grande diversité de produits ».
En plus de la partie CPU – le 4004 – on retrouvait de la mémoire morte (ROM), de la mémoire vive (RAM) et une dernière puce en charge des entrées/sorties (E/S). Soit quatre au total, le compte est bon. En 1971, Intel rachète les droits de Nippon Calculating Machine Corporation et lance le 4004 le 15 novembre, avec une publicité dont le slogan était « Announcing A New Era In Integrated Electronics ». C’est ainsi que « l’Intel 4004 est devenu le premier processeur programmable à usage général sur le marché ».
4004 et 8008 : quelques milliers de transistors gravés en 10 000 nm
Ce premier processeur contenait 2 300 transistors et la puce disposait de 16 pins. Elle était capable d’exécuter 92 600 opérations par seconde avec une vitesse de fonctionnement de 740 kHz. Des chiffres loin de donner le tournis, mais qui marquaient le début d’une longue, très longue aventure.
Marc Dalmau, maître de conférences à l’IUT de Bayonne, rappelle qu’il y a eu une évolution du 4004 : « Le 4040, datant de 1972, ajoute 4 niveaux à cette pile ainsi que 14 nouvelles instructions [soit un total de 60, ndlr] et la gestion des interruptions ».
Le 8008 arrive l’année suivante. Comme son nom le laisse fortement supposer, il s’agissait alors du premier processeur 8 bits. « Ce microprocesseur était destiné à répondre à un contrat de fabrication d'un terminal. En réalité le 8008 s'est révélé trop lent pour satisfaire le cahier des charges du terminal et Intel a décidé de tenter le lancement de ce produit sur le marché grand public. L'énorme succès de cette initiative fut à l'origine de la fabrication massive des microprocesseurs », explique Marc Dalmau.
Il comportait pour sa part 3 500 transistors tandis que la vitesse grimpait à 800 kHz. Aussi bien le 4004 que le 8008 utilisaient la même finesse de gravure : 10 micromètres. Attention, on parle pour les générations actuelles de nanomètres. Pour comparer plus facilement, 10 micromètres donneraient 10 000 nanomètres.
Intel 4004 à gauche et 8008 à droite. Crédits : Intel
Voici le 8080, le « produit le plus important du XXe siècle »
Les processeurs 4004 et 8008 « fonctionnaient tous les deux comme des ensembles de quatre puces, et leurs applications pratiques étaient limitées. Federico Faggin [ingénieur Intel et un des pères des microprocesseurs, ndlr] voulait créer un véritable microprocesseur monopuce avec rapidité et facilité d’utilisation », explique Intel. « Le 8080 a vraiment créé le marché des microprocesseurs. Les 4004 et 8008 l'ont suggéré, mais le 8080 l'a rendu réel », ajoute Faggin, qui a travaillé sur les 4004, 8008 et 8080.
Le microprocesseur 8080 a d’abord été testé fin 1973, avant d’être publiquement lancé en 1974. On passe alors à 4 500 transistors (parfois 6 000 selon des documents Intel), une vitesse d’horloge de 2 MHz et une finesse de gravure de 6 µm, soit 6 000 nm. Cette puce 8 bits était « capable de réaliser 290 000 opérations par seconde, soit environ 10 fois plus que le 8008 ».
Le 8080 a été utilisé, selon Intel, dans « des milliers d’appareils », notamment l’Altair 8800 vendu 439 dollars en kit (621 dollars assemblé). Il a contribué à faire des « microprocesseurs une réalité au lieu d’une simple possibilité ». Toujours selon le fondeur citant un historien de la technologie, cette puce serait le « produit le plus important du XXe siècle ».
Le 8080 a eu droit à une évolution assez peu connue : le 8085. Le « 5 » à la fin de son nom signifie simplement que la puce se contentait d’une alimentation de 5 volts au lieu des 12 volts également requis par le 8080. Le 8085 était « compatible avec le logiciel, les périphériques et les outils de développement fournis avec le 8080 ».
8086 : l’heure du 16 bits a sonné, le nombre de transistors explose
La suite, on la connait avec le fameux 8086 lancé en 1978, soit sept ans après le 4004. On change d’échelle a plusieurs niveaux. La puce contient pas moins de 29 000 transistors (six fois plus que le 8080), sa fréquence peut grimper jusqu’à 10 MHz et la finesse de gravure est en 3 µm, soit 3 000 nm. Point important : il s’agit également du premier processeur 16 bits. Entre les phases de conception et d’expédition, il ne s’est passé que dix-huit mois selon le fabricant.
Le 8086 est une puce mythique à plus d’un titre. Dans les années 2000 par exemple, la NASA cherchait ces puces sur la plateforme eBay pour ses anciennes machines, car Intel avait arrêté de les produire dans les années 90. En 2018, Intel fêtait les 40 ans de ce processeur au Computex avec le lancement d’un Core i7-8086K… qui n’avait pour lui que le côté nostalgique.
Avec le 8086 est arrivé l’un des premiers coprocesseurs d’Intel (le plus connu en tout cas) : le 8087, avec des capacités de traitement pour les nombres en virgule flottante. Le fondeur utilisait ce terme de coprocesseur, car le but était de « compléter plutôt que supplanter » le CPU. Le principe était simple, mais efficace : « enlever des charges du processeur principal, améliorant ainsi les performances du système ».
La famille des x87 continuera d’exister pendant plusieurs années (avec les 80187, 80287 et 80387), avant d’intégrer définitivement le processeur à partir des 80486… si l’on met de côté la version « SX » de ce processeur, mais c’est une autre histoire sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
En 1979, le 8088 pointe le bout de son nez. Contrairement à ce que la numérotation laisse penser, il est moins performant que son prédécesseur. Il est basé sur l'Intel 8086, mais avec un bus externe sur 8 bits seulement au lieu de 16 bits. Le 8088 a acquis ses lettres de noblesse en s’installant dans le premier IBM PC en 1981.
Pas de changement sur les caractéristiques techniques : 29 000 transistors et 3 000 nm en finesse de gravure. La fréquence pouvait être un peu plus élevée, jusqu’à 16 MHz a priori.
Voici les 186 et 286, premiers clones AMD du 8086
Il faudra ensuite attendre 1982 – soit 10 ans seulement après le 4004 – pour voir arriver coup sur coup les 80186 et 80286, aussi simplement appelés 186 et 286. La seconde puce est largement plus connue que la première, mais les deux ont bel et bien existé.
Le 186 – une « simple » évolution du 8086 avec 55 000 transistors et une finesse de gravure de 3 000 nm – est presque un processeur mort-né à cause du 286 sorti la même année et bien plus performant. Si on retrouve quelques ordinateurs avec un 186, cette puce était davantage destinée à l’intégration. Signalons aussi le 80188 qui est au 8088 ce que le 80186 est au 8086 (vous suivez ?).
Terminons cette première partie avec le 80286, dont le développement a débuté en 1978, l’année du lancement du 8086. Alors que le 80186 est présenté comme une mise à jour du 8086, le 80286 « reconceptualisait considérablement les possibilités du microprocesseur pour l’informatique personnelle », selon les propres termes d’Intel.
Intel (80)286. Crédits : Intel
Ce processeur intègre 134 000 transistors, la finesse de gravure est divisée par deux avec 1,5 µm ou 1 500 nm et la vitesse pouvait atteindre 12 MHz (AMD et Harris ont par la suite proposé des 286 jusqu’à 25 MHz). En dix ans, le nombre de transistors a été multiplié par près de 60, tandis que la finesse de gravure a été divisée par presque 7. Ce n’était pas la seule révolution du 286 : il était capable d’adresser 16 Mo de mémoire, contre 1 Mo maximum pour les précédentes générations.
Notez que c’est également en 1982 qu’AMD propose ses premiers clones (sous licence) des 8086 d’Intel. IBM, qui utilisait les CPU Intel dans ses machines, voulait en effet disposer d’une seconde source d’approvisionnement. Déjà partenaires pour les 8080 et 8085, AMD et Intel ont prolongé leur accord. Le Texan a d’ailleurs proposé des clones des CPU Intel jusqu’au lancement de son K5.
De gauche à droite : 4004, 8008, 8080, 8086 et 286. Crédits : Intel