Un arrêt important est attendu ce 24 mars du côté de la Cour de justice de l’Union européenne. L’enjeu ? La possible extension de la redevance copie privée au cloud. Explications.
Austro-Mechana est une société de gestion collective des droits d’auteur. En Autriche, cet organisme de perception et de répartition des droits, comme la SACEM en France, avait saisi le tribunal de commerce de Vienne avec dans son viseur, l’offre HiDrive de la société allemande Strato.
Derrière ce service, un « disque dur virtuel en ligne simple et fonctionnel », une « alternative fiable aux clés USB, CDs, Blu-rays, DVDs et disques durs externes » permettant de sauvegarder n’importe quel type de fichiers, musiques comprises.
La société de gestion collective a considéré que cet espace de stockage relevait de la redevance pour copie privée. Le droit autrichien reconnait en effet un droit à « rémunération » pour les reproductions d’œuvre sur les supports d’enregistrement « de tout type » qui « sont mis en circulation sur le territoire national à des fins commerciales ». Des expressions suffisamment larges pour justifier l’assujettissement du cloud en Autriche.
Toutefois, Strato a opposé qu’aucun « support » n’est « mis en circulation », celle-ci se contentant de proposer un service de stockage en ligne. Elle souligne en outre que les utilisateurs ont déjà payé la redevance sur leurs matériels, et qu'une double perception serait en substance fort de café.
Après un échec devant le tribunal de commerce, Austro-Mechana a fait appel. Une procédure qui a conduit le tribunal régional supérieur de Vienne de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, puisque derrière ces questions, se pose une difficulté d’interprétation du droit européen.
C’est en effet la directive sur le droit d’auteur de 2001 qui reconnait à chaque État membre la possibilté de reconnaitre la copie privée. Et c'est ce même texte qui reconnait aussi un droit à indemnisation pour les reproductions effectuées « sur tout support par une personne physique pour un usage privé ».
Les questions posées sont donc multiples : est-ce qu’un serveur appartenant à un tiers relève de la catégorie « tout support », est-ce que les sauvegardes entrent dans ce périmètre ? Plus globalement, est-ce que les services dans le nuage sont effectivement redevables de la redevance ?
Neutralité technologique
Dans ses conclusions, rendues en septembre 2021, l’avocat général de la CJUE a jugé « important de souligner que les États membres qui choisissent de faire usage de l’exception [copie privée, ndlr] doivent le faire de manière technologiquement neutre ».
Or, « rien n’indique que le législateur de l’Union ait entendu limiter » ce champ d’application « aux seuls supports physiques ou substrat ». Et pour lui, en conséquence, l’expression « reproductions effectuées sur tout support » figurant dans la directive de 2001 couvre bien « la reproduction à partir de services d’informatique en nuage fournis par un tiers ».
Quand la France met son grain de sel
Est-ce que, pour autant, la redevance s’applique dans le cas présent ?
Fait intéressant, la France a jugé le dossier suffisamment important pour intervenir en adressant des observations. Paris a souligné que les serveurs ne sont pas nécessairement mis en circulation « et acquis sur le territoire de l’État membre concerné par les pratiques de copie privée ».
Ainsi, « le fait que d’éventuels doubles paiements ne soient pas à exclure ne saurait conduire à écarter la possibilité, pour les États membres, d’assujettir les fournisseurs de services de stockage dans le nuage ».
Pour la France, dont les positions ont ainsi été résumées par l’avocat général, « les reproductions réalisées sur ces appareils qui justifient la redevance pour copie privée constituent des actes de copie privée distincts de ceux qui sont réalisés sur le service en nuage. Chacun de ces actes de reproduction fait naître un préjudice distinct dans l’État membre concerné et impose le versement d’une compensation équitable ».
Des pratiques de copies compensées sur le matériel
De son côté, l’avocat général a plaidé la prudence, conditionnant une éventuelle extension à la réalisation préalable d’une étude permettant de jauger le préjudice supplémentaire causé aux titulaires de droits « du fait de l’utilisation combinée de tels appareils ou supports et services ».
Selon lui, « une redevance distincte n’est pas due au titre de la reproduction réalisée à des fins personnelles par une personne physique à partir de services d’informatique en nuage fournis par un tiers, pour autant que les redevances acquittées pour les appareils/supports dans l’État membre en question correspondent également au préjudice causé au titulaire du droit par une telle reproduction ».
En clair, les États membres ne sont pas tenus de prévoir une redevance copie privée payée par les prestataires de cloud, mais à la condition que ces pratiques de duplication soient prises en compte dans la détermination du taux de redevance pesant sur les supports et les appareils.
La Cour de justice n’est pas liée par le sens de cet « avis », destiné à éclairer ses travaux. Elle rendra son arrêt jeudi 24 mars. En France, une redevance spécifique a déjà été introduite afin de couvrir les enregistrements de Molotov, en application de la loi Création du 7 juillet 2016.
Le stockage dans le cloud a pour l'heure été ignoré dans les études d'usages réalisées en amont de la détermination des barèmes. En 2015, la SACEM avait néanmoins exposé que « l’état de la technique nous conduit obligatoirement (…) à appréhender sur le plan juridique les nouveaux services de cloud computing ».