Le « Cloud gaming » est un marché compliqué, même pour Google. Si de petites entreprises comme Blade et son Shadow ont connu des débuts difficiles, il en va donc de même pour Stadia. Une stratégie sans doute en partie assumée pour le géant américain, qui y gagne quelques avantages.
Comme souvent dans de gros lancements organisés par des sociétés comme Google, les débuts de Stadia avaient été accueillis avec un certain enthousiasme global. Pourtant, comme nous le notions à l'époque : pas plus le service, que son offre commerciale ou sa constitution technique n'étaient révolutionnaires.
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Mais il s'agissait néanmoins d'un moment important : les débuts de Google comme acteur du jeu vidéo « classique », hors de ceux pour smartphones. Studio maison à la clé. Depuis, Stadia ne pouvait donc que décevoir, comme il est d'usage lorsque tout commence avec une première impression démesurée. Et cela n'a pas manqué.
Tout d'abord par les limitations nombreuses du service : pas de fonctionnement sur un réseau mobile au lancement, seulement sur certaines plateformes et uniquement les smartphones Pixel au départ. Pour la manette sans fil, elle nécessitera un câble dans un premier temps, excepté sur le Chromecast Ultra du pack (sans port USB).
Le message de Google est clair : il faut cadrer la première impression pour qu'elle soit la moins déceptive possible, quitte à multiplier les contraintes. Puis, cela donnera autant d'occasions de communiquer sur de « nouvelles » possibilités lorsqu'elles seront progressivement levées une à une.
D'ailleurs, aucune des fonctionnalités avancées évoquées au lancement, comme le multijoueurs ou le crossplay, n'est pour le moment proposée.
Une disponibilité progressive, des tests dans un cadre idéal
La stratégie de disponibilité est également un choix sans doute assez stratégique de l'entreprise. Si elle avait lancé Stadia avec un pack « Founder » en précommande, il a rapidement été annoncé comme « victime de son succès » puis remplacé par la Premiere Edition. Mais surtout, Google a annoncé une livraison « premier arrivé, premier servi ».
Ainsi, tous ceux qui sont passés à la caisse ne pourront pas profiter de Stadia « day one ». S'ils ont payé en sachant qu'ils feraient office de testeurs d'un service beta, ils sont surtout achetés le droit d'attendre pour le moment. La priorité de Google était plutôt de préserver ses serveurs pour quelques médias triés sur le volet ayant accès à Stadia avant le lancement.
Comme nous l'avons déjà évoqué à plusieurs reprises, pour de tels services, ces tests n'ont guère de sens. Certes, ils permettent de rendre compte de l'interface et de l'expérience utilisateur, mais en aucun cas de ce qui sera les performances d'une offre de « Cloud gaming » lorsque des dizaines de milliers de joueurs se rueront sur les serveurs pour solliciter CPU et GPU en masse. Quoi que vous lisiez sur Stadia dans les premières semaines, soyez donc méfiants.
Si cela représente sans doute le pire du côté des limitations et de l'accès au service, c'est certainement l'analyse d'un cas idéal du point de vue des performances, avec assez peu d'utilisateurs sur les serveurs, même si par la suite des optimisations peuvent venir améliorer les choses de ce point de vue.
Un modèle impliquant un catalogue pauvre
Enfin, passons à la question des jeux. Présenté un temps comme « le Netflix du jeu vidéo » par certains médias, Stadia n'est en rien un équivalent du service de SVOD. L'utilisateur pourra accéder (gratuitement ou non) au service, qui lui donne juste accès à une machine distante sur laquelle il peut lancer les jeux qu'il a acheté.
Mais Google a là aussi opté pour un modèle très contraignant : il faut acheter les jeux au sein de Stadia afin de pouvoir y jouer. Contrairement à Shadow qui vous donne accès à n'importe quelle plateforme d'éditeur tiers, à GeForce Now qui permet l'accès à certaines d'entre elles, vous êtes donc limités à quelques titres seulement.
Surtout, ils sont affichés à un prix défini par Google, sans concurrence. Même NVIDIA dans la première version de GeForce Now n'avait pas osé pareille limitation, proposant l'accès à Steam (local ou non) et offrant une clé Steam pour l'achat d'un titre au sein de sa boutique. Car certains développeurs craignent déjà que le géant américain ne fasse ce qu'il fait très bien au premier écueil : fermer le service, en plantant tout le monde.

Ce qui devait donc arriver, arriva : rien n'était prêt pour la date de lancement. Google a annoncé Stadia avec seulement 12 titres... avant de retravailler sa copie et d'en annoncer finalement 22 quelques jours avant la date fatidique :
- Assassin’s Creed Odyssey
- Attack on Titan: Final Battle 2
- Destiny 2 : The Collection
- Farming Simulator 2019
- Final Fantasy XV
- Football Manager 2020
- Grid 2019
- Gylt
- Just Dance 2020
- Kine
- Metro Exodus
- Mortal Kombat 11
- NBA 2K20
- Rage 2
- Rise of the Tomb Raider
- Red Dead Redemption 2
- Samurai Shodown (available in Stadia Pro)
- Shadow of the Tomb Raider
- Thumper
- Tomb Raider 2013
- Trials Rising
- Wolfenstein : Youngblood
Un résultat présenté comme une victoire, mais qui cache mal le défaut principal de Stadia. Car pour se placer comme un acteur central dans la chaîne de valeur, vendeur de jeux vidéo plutôt que simple plateforme technique de jeu dans le cloud, Google a choisi de se limiter à un catalogue assez pauvre de titres presque tous déjà lancés et disponibles ailleurs, là où des services tiers déjà en place comptent des centaines ou des milliers de titres. Les clients apprécieront.
Nul doute que la société travaillera sur ces sujets dans les mois à venir et multipliera les partenariats pour pallier ces problèmes. Mais ses propres jeux n'arriveront pas avant 2020, tout comme certains gros titres comme Tom Clancy’s Ghost Recon Breakpoint, pourtant déjà lancé, ou Cyberpunk 2077, Doom : Eternal et Watch Dogs: Legion.
On sait déjà que l'abonnement Uplay+ sera proposé sur Stadia, reste à savoir si on pourra importer un compte déjà abonné ou non. Quid des offres par abonnement équivalente d'EA ou Microsoft, lancées ces derniers mois avant que ces sociétés ne lancent leur propre concurrent de Stadia ? Mystère et boule de gomme.
NVIDIA se présente en leader mondial
On note un autre effet intéressant du lancement de Stadia : il a poussé les services plus ou moins concurrents à sortir leur communiqué de presse, comme une déclaration de confiance face à l'envahisseur.
Ainsi, NVIDIA présente son GeForce Now (GFN) comme, rien de moins que la « plus grande plate-forme de jeu au monde - le jeu PC - dans le cloud » et y va de son billet de blog :
« GeForce NOW vous permet de jouer à vos jeux sur d'autres appareils, comme votre MacBook ou votre smartphone lorsque vous êtes loin de chez vous.
Où que vous alliez, vous n'abandonnerez jamais vos dernières aventures de jeu : GeForce NOW synchronise vos sauvegardes de jeu. Avec les mises à jour régulières du serveur et les dernières mises à jour déjà installées et prêtes à être diffuser, vos jeux préférés seront de mieux en mieux - comme si vous aviez apporté vos jeux préférés à un nouvel équipement.
Et, comme le PC lui-même, cette plate-forme ouverte vous offre également plus d'options. Il suffit de lancer votre application de jeu PC préférée, telle que Discord, et il y a de fortes chances qu'elle soit déjà là - avec de plus en plus d'applications à venir.
C'est pourquoi GeForce NOW est ce qu'il est, parce que là où les autres voient le paradoxe, nous voyons la puissance. Le jeu dans le cloud va permettre d’étendre et d’améliorer le jeu sur PC en l'étendant à d'autres endroits. »
La société oublie de dire au passage que son service est encore gratuit et en beta, avec très peu de serveurs dans le monde et un accès limité. D'ailleurs, l'américain mise désormais plus sur des partenariats avec les opérateurs locaux pour sa GeForce Now Alliance qu'un lancement de sa propre offre. GFN est donc surtout une démo technique.
Shadow corrige l'une de ses erreurs
Chez Shadow, on accélère la cadence face au « succès que rencontrent les nouvelles offres ». La jeune société française s'est aussi peut être aperçue qu'arrêter de vendre son produit pendant trois mois au moment où un géant de lançait sur son marché, avec des serveurs dont elle disposait déjà n'était sans doute pas l'idée de l'année.
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Elle indique donc que ceux qui ont commandé récemment une offre Boost pourront y accéder dès demain (dans la limite de 10 000). Pour rappel, il s'agit de la machine actuelle, mais à un tarif divisé par deux : 13 à 15 euros par mois selon l'engagement. Comme quoi, l'arrivée de Stadia bénéficie déjà aux adeptes du PC dans le cloud.

Et pourquoi pas les deux autres offres ? Tout simplement parce que les équipes de Blade sont encore en train de définir la composition des machines, comme nous l'évoquions dans notre précédente analyse. Il faudra ensuite les commander et les activer, ce qui ne se fera pas avant le mois de février.
Au passage, la société en profite pour rappeler qu'elle se félicite de l'arrivée d'autres acteurs, puisque cela « démontre que l’avenir du jeu vidéo est dans le cloud - un chemin que Shadow a emprunté dès sa création [et] va nous aider à faire comprendre au plus grand nombre les avantages du streaming pour le jeu vidéo ».
Elle précise surtout que « le cœur de notre promesse, c’est la liberté : jouer à n’importe quel jeu, sur n’importe quel écran, n’importe où… et bien plus encore : streamer, créer, travailler, etc. Shadow, c’est la puissance et la liberté d’un ordinateur complet, sans limite », pour se démarquer. Une réaction bien moins puérile qu'à l'annonce de Stadia.
Gamestream débarque sur la 5G Suisse
Même Gamesteam, autre français du secteur, y est allé de sa petite annonce. Se focalisant plutôt sur le marché B2B et l'étranger, la société a évoqué l'offre lancée avec l'opérateur suisse Sunrise, les serveurs étant hébergés en Suisse. On trouve bien entendu 2CRSI comme partenaire, la société étant actionnaire de Gamestream et de Shadow, dont elle avait d'ailleurs conçu les machines de la plateforme technique lancée l'année dernière (désormais connue comme Boost).
L'offre de Cloud Gaming de Sunrise est pensée pour son réseau 5G lancé en avril dernier, annoncée comme permettant de jouer en « illimité en 4K » à une cinquantaine de jeux comme Tomb Raider, DiRT Rally 2019 (en 4K) ou Roland Garros Tennis World Tour 2019 Edition. Malheureusement, très peu de détails techniques sont donnés.
On a néanmoins le tarif : 9,9 CHF par mois, soit un peu plus de 9 euros.
Blacknut mise plutôt sur le Black Friday
Chez le breton Blacknut qui a plutôt opté pour un modèle d'offre familiale inspirée des services de SVOD, avec 360 jeux accessibles en illimité sur n'importe quelle plateforme, pas de réaction particulière.
La société a néanmoins décidé de casser ses prix à l'occasion du « Black Friday » qui n'aura pourtant lieu que le 29 novembre prochain. Elle divise ainsi ses tarifs par deux, espérant attirer de nouveaux clients, notamment ceux qui entendront parler de Stadia ou d'autres offres, mais ne se retrouveront pas dans leurs modèles économiques.