Depuis la mise en ligne de la vidéo de candidature d’Éric Zemmour, les plaintes parfois formelles se multiplient chez les titulaires de droit. Google nous confirme avoir reçu plusieurs « notifications » ou demandes de retrait. Le sort du contenu n’est pas encore scellé puisqu’entre en scène le droit européen.
« On ne peut prétendre représenter les Français sans respecter leurs droits les plus essentiels, sans les respecter eux. On ne peut se déclarer patriote en commençant par bafouer les principes essentiels du droit d’auteur à la française ». Le coup de griffe, intitulé « Le mépris », est signé Pascal Rogard, directeur général de la SACD, l’un des organismes de gestion collective.
À l’index, les multiples extraits intégrés sur la vidéo de candidature d’Éric Zemmour à la présidentielle. Une vidéo qui « accumule les atteintes aux droits de nombreux créateurs ». Et le patron de la SACD de dénoncer des atteintes au droit patrimonial, et « plus grave encore, au droit moral de chacun d’entre eux ».
Le candidat Zemmour n’a donc demandé aucune autorisation préalable pour la reprise de plusieurs de ces contenus. « Les auteurs ne sont pas cités, les sources ne sont pas présentées », deux conditions de base pour pouvoir espérer s’abriter derrière l’exception de courte citation.
De multiples reprises dénoncées par les titulaires de droits
Le Huffpost, dont deux contenus ont été repris, a déjà décidé d’assigner Éric Zemmour. Gaumont se réserve le droit de suivre cette piste, après avoir découvert à « sa grande stupéfaction, le clip de campagne d’Éric Zemmour mettant en avant des extraits de films de son catalogue, pour lesquels elle n’a accordé aucune autorisation ».
Même réaction de France 24 qui veut demander le retrait immédiat des contenus de la chaine… Le « boomerang des images » titre joliment Libération, qui énumère plusieurs autres reprises sans le sacro-saint feu vert des principaux concernés.
Plusieurs notifications reçues par YouTube
Pour sa part, Le Parisien a « lancé auprès de YouTube une réclamation pour atteinte au droit d’auteur, dans le but que "nos contenus utilisés sans autorisation soient rendus inaccessibles" ».
Selon nos informations, obtenues en cette fin de journée auprès de Google, plusieurs notifications ont déjà été effectivement reçues par la plateforme. Les équipes de YouTube sont en train d’ausculter et qualifier chacune de ces demandes, sachant que des allers-retours sont parfois nécessaires pour s’assurer de la présence de l’ensemble des pièces nécessaires, mais aussi justifier de solides arguments.
Le grain de sable du droit européen
Ce n’est qu’après ce travail d’analyse qu’une décision sera prise quant au retrait éventuel de la fameuse vidéo. Si en droit franco-français, l’analyse peut être rapidement menée, la situation est cette fois beaucoup plus complexe puisqu’entre sur scène le droit européen.
Explications. La Cour de justice a maintes fois estimé que la protection du droit d’auteur n’était pas absolue. Dans cet arrêt du 29 juillet 2019, elle rappelle « ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », la nécessité d’effectuer une « mise en balance entre le droit d’auteur et le droit à la liberté d’expression » dans l’examen de ces demandes.
Et ce, en particulier quand le discours ou l’information en cause « revêt une importance particulière, notamment dans le cadre du débat politique ou d’un débat touchant à l’intérêt général ».
Dans cet autre arrêt du 22 juin 2021, qui concernait déjà YouTube, elle a également souligné que « la notification d’un contenu protégé qui a été illégalement communiqué au public par l’intermédiaire d’une plateforme de partage de vidéos (…) doit contenir suffisamment d’éléments pour permettre à l’exploitant de cette plateforme de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de cette communication et de la compatibilité d’un éventuel retrait de ce contenu avec la liberté d’expression ».
Analyse de proportionnalité
L’expression à retenir est cette recherche de compatibilité avec la liberté d’expression, en ce sens qu’une atteinte à un droit d’auteur peut être parfois justifiée.
Dit autrement, YouTube est aujourd’hui contraint à réaliser une épineuse analyse de proportionnalité : ou bien protéger les créateurs et leurs revendications légitimes et retirer la vidéo, ou bien conserver malgré tout ce contenu au regard de son poids politique. Un travail de poids et mesures sur fond de contexte européen que nous a confirmé là encore Google. Où donc les titulaires de droits sont donc invités à plaider leurs intérêts.
Rien de surprenant, finalement. Dans ses lignes directrices sur la question de la régulation du droit d’auteur en ligne, la Commission européenne a déjà indiqué en juin dernier la nécessité de « garantir un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux en jeu, à savoir la liberté d’expression des utilisateurs, le droit de propriété intellectuelle des titulaires de droits et la liberté d’entreprise des fournisseurs ».
Elle réclamait une attention accrue s’agissant des contenus « où le risque de préjudice économique important est élevé », mais laissait donc ouverte la question des débats politiques.
En somme, il n’est pas encore assuré que Google retire la vidéo de YouTube. Relevons qu’Éric Zemmour pourrait contester malgré tout un éventuel blocage en saisissant… la Hadopi. Une possibilité née de la transposition de la toute récente directive sur le droit d’auteur, qui conditionne cette voie de médiation à une « plainte de l'utilisateur ».