Le Parti Pirate vient de saisir le CSA après avoir été banni de Twitch pendant 48 heures à la demande de BFMTV. Sa faute ? La reprise de l’émission « 2022 le débat de la droite » de la chaîne d’Altice. Quand celle-ci dénonce une atteinte à ses droits, le PP oppose le nécessaire partage des débats politiques d’intérêt général. Next inpact diffuse la lettre de saisine.
L’approche du grand rendez-vous de respiration démocratique qu’est l’élection présidentielle va conduire inévitablement la parole politique à investir plus encore les nouveaux écrans.
À des années-lumière de l’ORTF, les candidats de premier plan ne se contentent plus du tube cathodique. Ils envahissent également les plateformes de diffusion en streaming, après avoir colonisé les réseaux sociaux. Ce mouvement se concrétise également de l’autre côté des écrans. La télévision n’est plus le seul moyen accessible aux foyers. Des émissions sont organisées en ligne pour commenter les propos des candidats déclarés ou pressentis, et se faire une opinion avant le temps des urnes.
En témoigne l’émission organisée le 14 novembre dernier par le Parti Pirate durant plus de 3 heures. Son « Impromptu » diffusé notamment sur Twitch était consacré au débat sur BFMTV entre les cinq candidats à l’investiture du parti Les Républicains.
Le Parti Pirate ne s’est pas contenté d'une simple reprise. Il a commenté et jaugé les propos des candidats au congrès des Républicains, ouvrant le débat avec sa propre communauté.
Le même jour, cependant, la plateforme propriété d’Amazon lui transmettait une sèche notification DMCA, du nom de la loi américaine sur le copyright. Une notification accompagnée d’un sandwich de sanctions puisque suite à ce message d’avertissement, le Parti Pirate apprenait la suppression de Twitch du « contenu incriminé » et des archives outre la suspension de son compte pendant 48 heures.

Un premier avertissement aux parfums hadopiens « pour atteinte aux droits d’auteur » et voilà le Parti Pirate à deux marches d’une fermeture totale de sa chaîne Twitch. Maître de ses CGU, la plateforme s’autorise en effet « à fermer les comptes des contrevenants récidivistes », à savoir ceux qui accumulent trois avertissements.
BFMTV -> LeakID -> Twitch -> Parti Pirate -> CSA
La notification a été adressée pour le compte de Altice/BFM à l’initiative de LeakID, qui propose une « suite de solutions pour protéger vos œuvres du piratage, disponibles 24h/24 et 7j/7 ».
Dans sa mallette commerciale, la société privée vante justement son système de notifications DMCA automatisées avec laquelle elle promet de détecter et notifier « les pirates, en quelques minutes ».
C’est bien simple, « à l'instant où un lien illégal est détecté, nous réclamons sa fermeture immédiate à l'aide d'une notification DMCA, et exigeons la suppression de l'œuvre piratée pour vous assurer que le piratage cesse complètement ».
Chaque année, l’outil de détection automatisé a à son palmarès des millions de demandes de déréférencement de Google, notamment adressées au nom de l’ALPA ou de la SACEM. Non sans bug, comme ce jour de 2013, lorsque mandatée par Microsoft, LeakID avait accidentellement réclamé la désindexation de plusieurs pages de… Microsoft ou des liens vers Open Office ou en 2014 quand elle avait réclamé la désindexation de plusieurs demandes de déréférencement.
Pour le cas présent, on peut imaginer ce simple scénario : l’empreinte des vidéos propriétés de BFM a « matché », en scrutant le live du Parti Pirate reprenant le débat arbitré par Apolline de Malherbe et Maxime Switek. Et la notification générée a été envoyée tout aussi automatiquement au titulaire du compte avec ses funestes conséquences.
Seulement, le Parti Pirate (PP) ne veut pas fermer les yeux sur cet énième épisode. Selon nos informations, il vient de saisir de façon inédite le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour que la chaîne soit rappelée à l’ordre. Et Next INPact a pu obtenir la missive.
Le droit d’auteur lu au travers des yeux de la CJUE
Dans ce courrier adressé à l’attention de Roch-Olivier Maistre, président du gendarme de l’audiovisuel, le PP souligne sans mal que « le pluralisme politique est essentiel pour garantir que chaque citoyen soit en mesure d’accéder à une information politique diversifiée ».
Ainsi, « chaque citoyen peut exercer sa liberté d’opinion et de choix, au fondement de la démocratie ». Et « pour y parvenir, il est indispensable que les contenus relevant d’un débat d’intérêt général soient accessibles au plus grand nombre », insiste le courrier avant de s’armer de la convention passée entre BFMTV et le CSA.
Dans cette convention datant de novembre 2019, la chaîne s’est engagée à « respecter la législation française en matière de propriété intellectuelle ».
Or, cette même législation doit être lue sous le prisme notamment du droit européen, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne. Une CJUE moins absolutiste que peuvent l'être certaines industries culturelles.
« La protection du droit de propriété intellectuelle est certes consacrée (…). Cela étant, il ne ressort nullement de cette disposition, ni de la jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue » avait exposé la Cour de justice de l’Union européenne dans son important arrêt Scarlet Extended de 2011, plusieurs fois repris dans des décisions ultérieures.
« Un système de filtrage qui bloquerait de manière systématique les contenus faisant une utilisation légitime d’objets protégés porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et d’information » a encore rappelé le 15 juillet dernier l’avocat général dans ses conclusions relatives à l’article 17 de la directive Droit d’auteur, relatif au filtrage.
Selon le Parti Pirate, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a elle aussi souligné « la nécessité de tenir compte de la circonstance que le type de contenu en cause revêt une importance particulière, notamment dans le cadre du débat politique ou d’un débat touchant à l’intérêt général ».
En somme, si le droit d’auteur ou les droits voisins des chaînes doivent être protégés, il est toujours nécessaire d’effectuer une mise en balance en tenant compte, sur l’autre plateau, de l’impérieuse liberté d’expression.
Des débats augmentés qui méritent d’être protégés
Plaidant sa cause, le PP rappelle que ses émissions sur sa chaîne Twitch « reprenant des débats politiques sont systématiquement présentées sous une forme "augmentée" et accompagnés d’un propos introductif, de liens supplémentaires (tels que des ressources de fact-checking) et d’une invitation à interagir ».
Ces émissions « basées sur des débats politiques diffusés par des chaînes hertziennes accessibles à tous peuvent constituer une "utilisation d’oeuvres [...] afin de rendre compte d’événements d’actualité" ».
Cette dernière citation est judicieusement extraite de l’article 5 de la directive sur le droit d’auteur qui, depuis 2001, fixe la liste des exceptions et limitations au monopole (non absolu) des titulaires de droits.
Ne pas privatiser un débat politique d’intérêt général
Et pas de doute pour ce parti, la notification, fondée sur une législation américaine, émise au nom d’une chaîne française, qui diffuse en clair ses contenus, est « infondée ».
Elle conduit en l’état à ce qu’une chaîne privatise « des contenus participant du libre exercice par les citoyens de leur liberté d’opinion ». Et ferme le clapet à un parti engagé pour les législatives de 2022.
L’index sur la loi de 1986 dite Loi Léotard, le courrier va jusqu'à considérer que « les intérêts économiques des actionnaires de BFM TV et de ses annonceurs ont primé sur la liberté de communication en ligne », en contrariété avec le troisième alinéa de cet article.
Et le cas échéant, une telle primauté est inacceptable. Le parti demande en conséquence au CSA, qui deviendra prochainement Arcom, « de s’assurer que les débats politiques diffusés en clair par toute chaîne hertzienne puissent être relayés le plus largement possible, et par tout moyen dès lors que toutes les garanties en matière d’absence de manipulation de l’information sont fournies ».
Le Parti Pirate réclame la mise en demeure de BFM TV
Elle lui demande d’adresser une mise en demeure afin de « ne pas dévoyer des législations étrangères pour faire échec à la reprise de contenus relatant des événements politiques d’actualité ou relevant d’un débat politique d’intérêt général, dès lors que cette reprise est exempte de toute manipulation de l’information et identifie la source des contenus d’origine ».
Autres vœux : BFM TV devra répondre aux demandes raisonnables de reprise simultanée d’un débat politique, « dans des conditions non discriminatoires, en particulier dès lors que le débat est également diffusé sur le propre site Internet de la chaîne ».
De même, la chaîne ne pourra « pas exiger de contrepartie financière dès lors que les contenus sont diffusés en clair », et devra « motiver ses décisions de refus, en indiquant précisément les éléments de faits et de droit qui [les] fondent ». Enfin, elle devra informer le CSA sous 24 heures de toute décision de refus.