La reproduction, sans autorisation, d’une photographie sur Internet constitue-t-elle automatiquement un acte de contrefaçon des droits d’auteur ? C’est la position que semblent soutenir les copyrights trolls chargés de réprimer les reproductions non autorisées des photographies dont ils assurent la surveillance. La protection conférée par le droit d’auteur à une photographie n’est cependant pas aussi systématique… Une tribune de Me Étienne Nicolet, cabinet Advant Altana.
Il n’est pas rare qu’une personne ou une entreprise utilise dans le cadre de son activité, même à titre non lucratif, une photographie destinée à illustrer un article, un blog ou encore un produit ou un service proposé à la vente.
Si la photographie est accessible, consultable et reproductible sans difficulté technique particulière, elle n’est pas pour autant, de fait, libre de droits. Certaines photographies peuvent en effet être protégées au titre du droit d’auteur. Leur reproduction sans autorisation de leur auteur est alors susceptible de constituer un acte de contrefaçon. D’autres photographies, en revanche, ne sont pas éligibles à la protection conférée par le droit d’auteur et leur reproduction n’est donc, en théorie, pas fautive.
Dans ce contexte, l’on constate depuis quelques années l’émergence d’un phénomène dit de « copyright trolling » particulièrement présent dans le domaine de la photographie.
Concrètement, des sociétés privées – PicRights étant l’un des trolls les plus connus – sont généralement mandatées par les titulaires des droits d’exploitation des photographies (par exemple, des agences de presse) dans le but de contrôler, via des technologies capables de reconnaître avec précision des images, que les photographies dont ils assurent la surveillance ne sont pas reproduites sans autorisation par des tiers sur Internet.
En cas de constatation de la reproduction d’une photographie qui n’aurait pas été autorisée par le titulaire des droits, le troll adresse alors de façon systématique un courrier à l’internaute ou à l’entreprise indélicat(e) afin de l’informer des prétendus faits de contrefaçon dont il (elle) serait rendu(e) responsable. En outre, le troll réclame le versement d’une indemnisation destinée à réparer le prétendu préjudice subi et à mettre un terme amiable au différend.
Une protection pas toujours systématique
Cependant, comme il a été dit, la protection d’une photographie par le droit d’auteur n’est, elle, pas toujours systématique. Pour être protégeable, encore faut-il en effet que la photographie soit originale. Ainsi, de par son caractère systématique, le copyright trolling est susceptible d’engendrer des situations dans lesquelles des prétendus faits de contrefaçon sont abusivement reprochés à un tiers en l’absence même de toute protection au titre du droit d’auteur de la photographie.
Les objectifs de la protection conférée par la législation sur le droit d’auteur sont alors dévoyés au détriment, parfois, d’internautes ou d’entreprises insuffisamment informés sur la nature réelle des faits reprochés et prêts à céder aux injonctions du troll pour mettre rapidement un terme au différend.
Pour mieux appréhender les dérives du copyright trolling dans le domaine de la photographie, les critères dégagés par le droit positif concernant l’originalité d’une photographie – permettant de la protéger au titre du droit d’auteur – seront rappelés en vue de les confronter au cas du copyright trolling.
La protection par le droit d’auteur à l’aune du droit positif
En application des articles L. 111-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.
Ce droit appartient à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. En outre, les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie sont spécialement considérées par le Code de la propriété intellectuelle comme des œuvres de l’esprit.
La protection d’une œuvre de l’esprit est ainsi acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de sa création. Encore faut-il toutefois que la création soit originale. En l’absence de définition légale de la notion d’originalité, il est ainsi revenu à la jurisprudence de définir ce qu’était une œuvre originale.
À ce titre, dans un arrêt du 1er décembre 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») a jugé « qu’une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci », que « tel est le cas si l’auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l’œuvre en effectuant des choix libres et créatifs » et de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation.
En effet, selon la Cour, il convient de vérifier si « au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage », si « lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée » et si « enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels ».
Les juridictions françaises ont également eu l’opportunité de préciser les contours de la notion d’originalité. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt didactique du 9 février 2021, s’est encore récemment illustrée.
L’empreinte de la personnalité de l'auteur
S’appuyant sur les critères dégagés par la CJUE, les juges d’appel ont considéré que « les choix du photographe ne [devaient] pas avoir été simplement dictés par la mise en valeur du sujet à photographier », que « les clichés ne [devaient] pas traduire qu’un savoir-faire technique » ou encore que « les photographies [devaient] rendre compte de la conception du photographe lui-même » pour conclure que « la comparaison avec d’autres photographies [de l’artiste] témoigne de l’absence de banalité de la combinaison des choix effectués et d’une approche propre à [l’auteur] exprimant sa sensibilité personnelle à la musique et son admiration pour l’artiste ».
Autrement dit, il est traditionnellement admis qu’est originale une œuvre qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et qui n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable.
L’originalité d’une œuvre est toutefois une notion particulièrement subjective qui n’est, d’un point de vue juridique, officiellement reconnue qu’au jour où un tribunal est saisi de la question – étant précisé que les juridictions ont tendance à apprécier de façon stricte l’originalité d’une photographie.
En pareille hypothèse, il appartient en effet à l’auteur de la photographie qui se prévaut de droits de définir et de préciser les contours de l’originalité qu’il allègue et ouvrant droit à la protection au titre du droit d’auteur. En d’autres termes, à défaut pour l’auteur de la photographie de parvenir à démontrer l’originalité de son œuvre, celle-ci ne peut faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur.
En synthèse, la reproduction sans autorisation d’une photographie par un tiers n’est donc pas, en toutes circonstances, fautive sur le terrain du droit d’auteur. Cela étant, et bien qu’il s’agisse d’une problématique distincte de celle traitée dans le présent article, il convient de brièvement indiquer que, dans certaines hypothèses, au terme d’un examen concret et circonstancié des faits, la reproduction non autorisée par un tiers – notamment dans un contexte de concurrence commerciale directe – d’une ou plusieurs photographies qui ne seraient pas protégeables au titre du droit d’auteur peut néanmoins exposer ce tiers à se rendre responsable d’actes de concurrence déloyale ou parasitaire au sens de l’article 1240 du Code civil.
Ainsi, même en l’absence d’actes de contrefaçon, la loyauté des pratiques commerciales reste de mise en toutes circonstances.
La protection par le droit d’auteur à l’aune du copyright trolling
Les copyright trolls sont des sociétés qui se limitent la plupart du temps à demander des indemnités aux personnes qui reproduisent sur Internet sans autorisation préalable les photographies placées sous leur surveillance.
Les revenus des copyright trolls proviennent donc principalement des sommes payées « spontanément » – aucune contrainte n’étant formellement caractérisée – par les supposés « contrevenants », qu’ils partagent avec les titulaires des droits d’auteur.
Or, en l’absence de toute justification concernant l’originalité de la/les photographie(s) reproduite(s) sans autorisation par le contrevenant, la finalité de cette méthode de recouvrement interroge. En effet, sous couvert d’alléguer de façon souvent péremptoire que l’image(s) reproduite(s) de façon litigieuse est (sont) protégée(s) par le droit d’auteur et qu’un acte de contrefaçon est constitué indépendamment de la connaissance ou de l’intention du prétendu contrevenant, le copyright troll ne justifie d’aucun d’élément destiné à étayer ses prétentions. Ainsi, le copyright troll mise sur l’ignorance de la législation relative au droit d’auteur de sa cible – pour ne pas dire victime – pour obtenir une somme d’argent en « dédommagement ».
Or, il n’est pas rare qu’une grande partie des demandes d’un copyright troll puisse concerner des photographies relativement banales, donc dénuées d’originalité, les privant de fait de toute protection au titre du droit d’auteur.
Une question préjudicielle portant précisément sur la licéité de l’activité d’un copyright troll – chargé en l’espèce de surveiller un catalogue de films pornographiques dont il avait acquis certains droits auprès des producteurs – a d’ailleurs été récemment soumise à l’appréciation de la CJUE par le tribunal de l’entreprise d’Anvers, en Belgique.
Dans ses conclusions, l’avocat général avait estimé que « le procédé est, littéralement parlant, légal ». Il avait cependant immédiatement nuancé son propos en considérant que ce procédé « reven[ait] à exploiter non pas les droits économiques d’auteur, mais les atteintes à ces droits, en créant ainsi une source de revenus fondée sur la violation du droit ».
Ainsi, en pareille hypothèse, le but poursuivi par le copyright troll était « uniquement de réprimer les atteintes aux droits d’auteur et aux droits voisins et d’en tirer un avantage financier » ce qui, selon l’avocat général, pouvait s’apparenter à « un abus de droit prohibé en droit de l’Union ». En conclusion, Il avait estimé que « le droit d’auteur [était] ainsi détourné de ses objectifs et utilisé, voire abusé, à des fins qui lui [étaient] étrangères ».
Dans son arrêt du 17 juin 2021, la CJUE semble avoir suivi les conclusions de l’avocat général. La Cour a en effet dit pour droit que le copyright troll était « susceptible de bénéficier, en principe, » des dispositions relatives à la protection du droit d’auteur « à moins qu’il ne soit établi […] sur la base d’un examen global et circonstancié, que sa demande est abusive ».
Photo banale ou photo originale ?
Pour caractériser un éventuel abus de droit, la Cour a ainsi invité la juridiction belge à notamment « examiner le mode opératoire [du copyright troll] en évaluant la manière dont [celui-ci] propose des solutions amiables aux contrevenants présumés et en vérifiant s’[il] introduit réellement des actions en justice en cas de refus de solution amiable ».
À ce titre, la Cour avait en effet relevé qu’il était permis de douter que le copyright troll « ait l’intention d’introduire une action en réparation, dans la mesure où il existe des indices forts selon lesquels, généralement, [il] se borne à proposer une résolution à l’amiable dans le seul but d’obtenir une indemnité forfaitaire de 500 euros ».
En outre, selon la Cour, la juridiction belge « pourrait également examiner s’il apparaît, au regard de l’ensemble des circonstances particulières du cas d’espèce, que [le copyright troll] tente en réalité, sous couvert de propositions de solutions à l’amiable en raison de prétendues contraventions, à extraire des revenus économiques de l’affiliation même des utilisateurs concernés à un réseau de pair à pair (peer-to-peer) tel que celui en cause, sans chercher spécifiquement à combattre les atteintes au droit d’auteur que ce réseau provoque ».
Le raisonnement de la CJUE rendu à propos du téléchargement illégal – qui génère une reproduction non autorisée – de films pornographiques sur un réseau de peer-to-peer nous semble en tous points transposable à la reproduction non autorisée d’une photographie sur Internet.
Ainsi, on l’aura compris, au-delà de l’existence même de l’originalité de la photographie – qui dans certains cas ne semble pas pouvoir être démontrée compte tenu de son extrême banalité – c’est le mode opératoire lui-même du copyright trolling, du fait de son caractère systématique, qui semble être remis en question par la CJUE.
Il appartiendra bien entendu à la juridiction belge – et aux autres juridictions nationales qui seraient saisies au cas par cas d’une question similaire – de déterminer si la méthode employée par le troll est légitime ou si elle constitue, au contraire, un abus de droit.
Reproduction sans autorisation n'est pas toujours contrefaçon
Dans l’attente d’une prise de position des tribunaux sur la licéité de certaines formes de copyright trolling, l’internaute ou l’entreprise qui serait confronté(e) à la menace d’un copyright troll se doit de prendre le temps de réfléchir à une stratégie de défense et ne pas céder de façon précipitée aux injonctions du copyright troll.
En particulier, en matière photographique, en l’absence d’autorisation du titulaire de droits pour l’exploitation d’une photographie, la question de l’originalité de cette dernière et, donc, de sa protection au titre du droit d’auteur, doit être examinée attentivement par le prétendu contrefacteur.
Un premier réflexe, pour juger du degré de banalité de la photographie peut consister à effectuer une recherche par similarité dans la banque d’images de Google Images ou encore d’iStock. Naturellement, cette recherche ne constitue qu’une première étape et ne dispense pas le supposé contrevenant de l’assistance d’un conseil pour définir un axe de défense et prendre toutes mesures utiles à la préservation de ses intérêts.