De nombreuses menaces pèsent sur la vie sur Terre. Certaines sont sur place, d’autres peuvent venir du fin fond de la galaxie. Comme dans un téléfilm, un géocroiseur pourrait s’écraser sur notre planète et détruire tout ce qui s’y trouve. Les agences spatiales américaine et européenne testent une solution d’évitement.
Prévu pour cet été, le lancement de l’impacteur DART (Double Asteroid Redirect Test) a été repoussé à novembre à cause de la crise sanitaire. Il a finalement décollé la semaine dernière à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX.
Un « caillou » de l’espace peut dégommer la Terre
Comme son nom l’indique, le but de l’opération est de tester à grande échelle « une technologie de défense de la Terre contre des dangers potentiels d’astéroïdes ou de comètes ». Chaque année depuis 2015, la journée internationale des astéroïdes (reconnue par les Nations Unies) se déroule le 30 juin afin de se rappeler que le risque zéro n’existe pas et que les campagnes d’observation du ciel sont indispensables.
Cette date n’est pas choisie au hasard : c’est l'anniversaire de l'événement de la Toungouska (Sibérie) de 1908. Parmi les menaces on peut citer l’astéroïde Apophis surnommé le « destructeur de monde », qui ne représente finalement aucun risque pour la Terre jusqu’en 2068 au moins d’après les derniers calculs.
Mais que pouvons-nous faire en cas de risque de collision avéré ? Pas grand-chose… si ce n’est tenter de dévier la trajectoire de l’objet stellaire. C’est justement le but de DART.
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Objectif : impacter un objet de 160 m à 11 millions de km
L’Agence spatiale américaine prend la précaution de préciser que, durant cet exercice, la sonde va impacter un astéroïde qui ne représente aucune menace pour la Terre. L’enjeu n’est donc pas de sauver des vies, mais de tester à « blanc » le dispositif : « Son objectif est de modifier légèrement le mouvement de l’astéroïde d’une manière qui peut être mesurée avec précision à l’aide de télescopes au sol ».
« DART montrera qu’un engin spatial peut naviguer de manière autonome vers un astéroïde cible et entrer intentionnellement en collision avec lui – une méthode de déviation appelée impact cinétique. Le test fournira des données importantes pour aider à mieux se préparer à un astéroïde qui pourrait présenter un risque d’impact sur la Terre, le cas où un tel astéroïde serait découvert », explique la NASA.
« Cette mission a une destination étonnante : un astéroïde de 780 m de diamètre autour duquel orbite une lune de 160 m », ajoute l’Agence spatiale. Le principe est le suivant : l’impacteur jettera son dévolu et sa carcasse afin de créer une collision sur le plus petit corps du système binaire. L’opération se déroulera à 11 millions de kilomètres de la Terre ; en septembre ou octobre 2022, avec « une vitesse estimée à environ 6,6 km/s ».

Une orbite raccourcie de plusieurs minutes
Les scientifiques préviennent que le « mouvement du système d’astéroïde Didymos autour du Soleil ne sera pas perturbé ». Néanmoins, cette collision à grande vitesse – plus de 23 000 km/h tout de même – « devrait modifier l’orbite de Dimorphos (un objet de 160 m de diamètre) autour de son parent Didymos (qui mesure, lui, 780 m de diamètre) ». Cette modification devrait être « infime mais révélatrice ».
La NASA estime qu’elle sera d’une « fraction d’un pour cent au minimum », mais que cela sera suffisant « pour être mesurée par les télescopes et les radars situés sur la Terre ». C’est d’ailleurs le but : engranger des données.
L’Agence rappelle que la lune Dimorphos orbite autour de Didymos à une vitesse relative beaucoup plus lente, que celle de la paire autour du Soleil. Ainsi, « le résultat de l’impact cinétique de DART dans le système binaire peut être mesuré beaucoup plus facilement qu’un changement dans l’orbite d’un seul astéroïde autour du Soleil ». Les scientifiques s’attendent à ce que l'impact réduise l'orbite de Dimorphos « de plusieurs minutes ».
L’Europe ferme la porte, mais l’ESA revient par la fenêtre
L'Europe devait pour rappel participer à cette mission avec l'Asteroid Impact Mission (AIM), mais elle s'est retirée pour des raisons financières fin 2016, au grand dam des responsables du projet et de plusieurs scientifiques.
« La porte a été claquée, mais comme je suis convaincu de la nécessité d'un tel projet, je vais essayer de trouver un moyen de passer par la fenêtre. C'est tout simplement trop important » affirmait pour sa part Jan Woerner, qui était alors à la tête de l'Agence spatiale européenne.
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Fin 2019, L'ESA revient finalement avec la mission Hera qui s'intéresse de près aux effets de l'impact de DART. Elle est spécialement pensée « pour réaliser une enquête détaillée des conséquences de la collision de DART ».
Lancée trop tard pour suivre les changements en direct, elle apportera tout de même de précieuses informations a posteriori. L’Agence rappelle d’ailleurs que « à l’origine, DART et Hera ont été conçus sur la base de doubles engins spatiaux coordonnés [mais indépendants, ndlr], l’une des missions devant réaliser la déviation et l’autre les prises de mesures précises des résultats ». Malgré ce décalage temporel entre DART et Hera, une coordination est assurée au niveau international avec le consortium scientifique AIDA (Asteroid Impact and Deflection Assessment).
Des chercheurs du monde entier sont impliqués. Si les instruments au sol et les satellites d’observation seront en mesure de détecter la petite modification de l’orbite de Dimorphos, les scientifiques manqueront de données cruciales pour boucler parfaitement leurs équations. C’est notamment le cas de la masse précise de Dimorphos, de sa composition, de sa structure interne, de la taille et de la forme du cratère créé par DART lors de l’impact.

Rendez-vous en 2026 entre Hera et Dimorphos
C’est donc là qu’entre en jeu la mission Hera, qui doit décoller deux ans plus tard, en novembre 2024. La sonde de l’Agence spatiale européenne entamera alors, à partir de fin 2026, son « enquête sur la scène du crime » laissée par l’Agence spatiale américaine. Les quatre années de séparation ne changent rien aux mesures : Dimorphos ne changera pas de taille ou d’orbite « tout seul ».
Hera ne fera pas le voyage seule, la sonde sera accompagnée de deux CubeSats (de la taille d’une boîte à chaussures) qui réaliseront des observations d’appoint : « Milani réalisera des observations spectrales en surface, tandis que Juventas effectuera les premiers sondages jamais réalisés de l’intérieur d’un astéroïde ».
Au final, les missions DART et Hera servent le même but de manière complémentaire : « transformer l’expérience d’impact à grande échelle qu’est DART en technique de déviation bien assimilée et reproductible ».
La suite on s’en doute : être prêt à utiliser cette technique si un géocroiseur dangereux venait à être détecté sur la trajectoire de la Terre. En fonction de sa masse et de sa taille, il pourrait causer des dommages irréversibles, voir un cataclysme dont la planète pourrait ne pas se relever. La solution serait alors d’essayer de dévier sa trajectoire.
« L’impact d’un astéroïde est un risque naturel que nous pourrions essayer d’éviter, si nous le voyions arriver suffisamment à l’avance », rappelait à juste titre Jan Wörner quand il était directeur général de l’Agence spatiale européenne. Pour rappel, l’objet qui a conduit à l’extinction massive des dinosaures devait mesurer environ une dizaine de kilomètres de diamètre « seulement ».
