Le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, ligne par ligne

Quand le Delta plane
Droit 14 min
Le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, ligne par ligne
Crédits : MarsBars/iStock

Le projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire a été déposé hier soir à l’Assemblée nationale, accompagné de l’étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Next INpact vous propose son explication ligne par ligne.

Le dernier projet de loi enregistré à l’Assemblée nationale portait sur la « gestion de la sortie de crise sanitaire ».

Deux mois plus tard, le gouvernement dépose un nouveau projet portant sur la « gestion de la crise sanitaire ».

Sous son nom raccourci, il se place dans la droite ligne de l’allocution du chef de l’État, le 12 juillet dernier. « L'apparition du variant se traduit […] par une augmentation des contaminations partout dans le monde. Pour lutter, une seule solution : le vaccin », expliquait en ce sens Emmanuel Macron. 

Son analyse d’impact ne dit pas autre chose : « En France, le nombre de cas quotidiens augmente depuis le début du mois de juillet, en suivant une courbe désormais exponentielle (plus de 4 800). Le taux d’incidence a lui triplé en deux semaines, passant de 18,7 cas pour 100 000 habitants le 26 juin à 58,5 cas pour 100 000 au 14 juillet. Le nombre de reproduction effectif national (nombre moyen de personnes infectées par un cas positif) est passé de 0,65 à 1,5 en 2 semaines, signe d’une progression très rapide de l’épidémie sur tout le territoire ».

Après sa présentation en Conseil des ministres hier à 18h30, le projet de loi a été enregistré dans la soirée à l‘Assemblée, en prévision de son passage en séance mercredi, après 15 heures, selon l’agenda parlementaire

Que prévoit le texte sur la rampe ? Son objectif « consiste à prolonger le régime de gestion de la sortie de crise sanitaire et à adapter les mesures de prévention susceptibles d’être mises en œuvre », et ce afin d’« éviter une dégradation générale de la situation sanitaire pendant la période estivale puis lors de la reprise de l’activité liée à la rentrée ».

Next INpact vous propose en conséquence une nouvelle présentation ligne par ligne de ses onze articles, croisées essentiellement avec l’étude d’impact (75 pages) et l’avis du Conseil d’État (19 pages).

Une sortie de crise sanitaire repoussée au 31 décembre (article 1)

Sous le règne de l'actuelle loi sur la gestion de la sortie de crise sanitaire, ce n’est que jusqu'au 30 septembre 2021 inclus que le Premier ministre peut prendre par décret une série de mesures pour règlementer les déplacements de personnes et des véhicules, l’ouverture des établissements recevant du public outre les rassemblements.

Le projet de loi repousse ce terme à la fin de l’année, « 30 septembre » devenant « 31 décembre 2021 » par un jeu de plume.

Une extension adoubée par le Conseil d’État, sur fond de variant Delta. Il a néanmoins lourdement regretté de n’avoir disposé que de très peu de temps pour ausculter ce dispositif. « Cette situation est d’autant plus regrettable que le projet de loi soulève des questions sensibles et pour certaines inédites qui imposent la recherche d’une conciliation délicate entre les exigences qui s’attachent à la garantie des libertés publiques et les considérations sanitaires mises en avant par le Gouvernement ».

Extension considérable du passe sanitaire

Le projet de loi ne se limite pas à repousser le terme de la crise sanitaire. Il vient dans le même temps modifier le spectre des mesures que peut prendre l’exécutif par décret durant la période.

Comme dans la précédente loi, le Premier ministre pourra toujours « imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l’une des collectivités d’outre-mer » la présentation d’un examen de dépistage ne concluant pas à une contamination au Covid‑19, un justificatif de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement.

Désormais, ces règles sont toutefois étendues aux personnels intervenant dans les services de transport concernés. Et le même Premier ministre peut maintenant exiger la présentation d’un de ces trois documents aux…

  • Activités de loisirs
  • Activités de restauration (sauf restauration collective et restauration professionnelle routière) ou de débit de boisson
  • Foires et salons professionnels
  • Établissements de santé et médico-sociaux pour les personnes accompagnantes ou rendant visite à un patient) et pour celles qui y viennent en soins programmées, sauf urgence.
  • Activités de transport public de longue distance sauf si le voyageur oppose une situation d’urgence qui a fait obstacle à l’obtention du justificatif.
  • Grands magasins et centres commerciaux au-delà d’un seuil défini par décret, étant précisé que ces lieux devront toujours garantir « l’accès des personnes aux biens et produits de première nécessité ».

Une « extension considérable du champ d’application du dispositif [qui] a pour objectif de permettre de limiter l’exercice des activités considérées aux personnes présentant une moindre probabilité de développer ou de transmettre la maladie », dixit le Conseil d’État, qui souligne que cette extension va porter « sur des activités de la vie quotidienne », donc « susceptible de porter une atteinte particulièrement forte aux libertés des personnes concernées ainsi qu’à leur droit au respect de la vie privée et familiale ».

« Contrôle du passe » et « vérification d’identité »

L’étude d’impact tente de crever un abcès : votre cafetier, votre restaurateur préféré pourra-t-il exiger vos papiers d’identité en appui du certificat que vous tendrez sous ses yeux ? « Oui » affirme en substance l’étude d’impact : « comme c’est déjà le cas pour la mise en œuvre du dispositif prévu par la loi du 31 mai 2021, le contrôle du passe impliquera la vérification de l’identité de la personne à laquelle se rapporte la preuve présentée, de manière inhérente à l’effectivité du dispositif, sans qu’il s’agisse d’un contrôle d’identité au sens de celui effectué par les forces de sécurité intérieure ».

Le juriste Serge Slama de noter judicieusement le caractère pour le moins « bizarre » du raisonnement. « C'est bien juridiquement un contrôle d'identité et non une vérification ».

Pour mémoire, explique le ministère de l’Intérieur, « lors d'un contrôle, vous pouvez justifier votre identité par tous moyens : carte d'identité, passeport, appel à témoignage.... Si le contrôle ne permet pas d'établir votre identité, vous pouvez être retenu pour une vérification, sur place ou au commissariat de police ».

La présentation du passe (à savoir le certificat de vaccination, de rétablissement ou du dépistage négatif) pourra se faire sous format papier ou électronique.

Les personnes chargées du contrôle pourront prendre connaissance des données nécessaires s’agissant de la seule régulation des déplacements vers ou depuis la France. Pour la régulation de l’accès, la présentation des documents sera « réalisée sous une forme ne permettant pas aux personnes ou aux services autorisés à en assurer le contrôle de connaître la nature du document qu’il contient ».

De la suspension jusqu’au licenciement

La mise en œuvre de ces mesures sera immédiate, la loi publiée au Journal officiel.

Après le 30 août, le passe sanitaire sera étendu aux personnes qui « interviennent » dans ces « lieux, établissements, services ou évènements », selon la gravité du risque de contamination. Le critère de « l’intervention » est très vaste : les salariés, mais aussi par exemple les prestataires ponctuels ou les bénévoles.

Que se passera-t-il lorsqu’une personne salariée ne présente aucune justificatif, certificat ou résultat ? La mesure prévue par l’avant-projet de loi – le licenciement au bout de deux mois - a été adoucie avec une logique de paliers.

Son employeur devra d’abord lui notifier la suspension de ses fonctions ou de son contrat de travail, suspension qui entraînera celle de sa rémunération.

Si elle n’a toujours pas présenté de justificatif au bout de cinq jours, elle sera convoquée à un entretien pour tenter de régulariser sa situation. Après deux mois, l’employeur pourra décider la cessation définitive des fonctions ou la rupture du contrat de travail.

Des sanctions pénales

Les personnes voulant accéder à un lieu ou voyager sans les justificatifs nécessaires s’exposeront à une contravention de quatrième classe, l’amende forfaitaire de 135 euros.

Les personnes qui méconnaissent l’obligation de réaliser un contrôle à l’entrée d’un grand magasin par exemple ou d’un restaurant seront éligibles à une sanction de 1 500 euros. Dans une logique de riposte graduée, au bout de trois reprises dans les trente derniers jours, les peines sont portées à 1 an de prison et 9 000 euros d’amende (et donc 45 000 euros d’amende pour les personnes morales au regard des règles du droit pénal général).

Plusieurs décrets d’application attendus

Il reviendra à un décret de régler la situation des mineurs et des personnes qui justifient d’une contre-indication médicale à la vaccination. Des points qui avaient été simplement oubliés par l’exécutif dans l’avant-projet de loi.

Un autre décret détaillera précisément « les éléments permettant d’établir le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid‑19, le justificatif de statut vaccinal concernant la covid‑19 ou le certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid‑19 ». Il sera pris après avis du comité de scientifiques.

« Un décret du 16 juillet a par ailleurs prévu que l’exigence de passe sanitaire ne s’appliquerait aux mineurs de 12 ans et plus qu’à compter du 30 août », rappelle l’étude d’impact.

L’isolement obligatoire de 10 jours pour les personnes contaminées (articles 2 à 4)

Dans le Code de la Santé publique, le Premier ministre peut déjà ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement ou de quarantaine. Elles ne peuvent viser que les personnes qui, ayant séjourné au cours du mois précédent dans une zone de circulation de l'infection, entrent sur le territoire hexagonal, arrivent en Corse ou dans l'une des collectivités d’Outre-mer.

Le projet de loi modifie ce régime. Déjà pour les voyageurs, susceptibles d’être affectées, la quarantaine sera la seule option possible. Le placement et le maintien en isolement à domicile ou tout autre lieu d'hébergement adapté sera dédié aux personnes affectées.

Surtout, est consacré le principe de l’isolement obligatoire de ceux qui réalisent un test concluant à la positivité au Covid-19. Un imposant élargissement des règles en vigueur qui draine plusieurs risques d’atteinte, « au droit des personnes concernées à mener une vie familiale normale », « à leur liberté d’aller et de venir », « ainsi qu’au droit au respect de la vie privée », concède le Conseil d’État.

Cet isolement durera 10 jours. Les personnes pourront sortir entre 10 heures et 12 heures, en cas d’urgence ou encore « pour effectuer les déplacements strictement indispensables et ne pouvant être réalisés dans cette plage horaire ». Ces plages pourront être aménagées par le préfet pour tenir compte des contraintes familiales.

Ces dispositions ont été introduites sur demande du Conseil d’État puisque dans sa version initiale, le projet de loi ne permettait aux intéressés de sortir que sur la plage 10 heures-12 heures. Il lui est apparu en effet « nécessaire de les autoriser également à quitter leur domicile pour des motifs d’urgence, notamment médicale, ou pour faire face à certaines nécessités de la vie quotidienne ».

Pas de contrôle nocturne de l'isolement obligatoire

Des contrôles pourront avoir lieu mais seulement sur une partie des plages. Des contrôles à 3 ou 4 heures du matin ne seront donc pas possibles. Ils seront même interdits entre 23 heures et 8 heures du matin.

Cette précision n’avait pas davantage été apportée par le gouvernement initialement. Elle a encore été hautement suggérée par le Conseil d’État.

La violation d’une mesure d’isolement sera « passible de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe dès le premier manquement, et la procédure de l'amende forfaitaire sera applicable à cette contravention » détaille encore l’exécutif.

Ce placement en isolement automatique et obligatoire va être accompagné d’une modification du traitement de données encadrant la crise sanitaire, le fichier SI-DEP.

Selon le Conseil d’État, à l’avenir, il aura aussi « pour objet d’identifier les personnes contaminées par la covid-19 [...] aux fins de permettre l’édiction des mesures individuelles de placement en quarantaine ou à l’isolement ainsi que le suivi et le contrôle de ces mesures par les services et agents qui en sont chargés ».

S’il valide l’accès à ce traitement par les services préfectoraux, il considère que le texte initial va trop loin lorsqu’il ouvre les vannes de ces données à une ribambelle d’agents (police, police municipale, etc.). « Un tel accès n’est pas nécessaire dans la mesure où les agents des services préfectoraux habilités à consulter le fichier pourront communiquer directement aux agents de contrôle les informations dont ils ont strictement besoin et dont ils sont habilités à prendre connaissance ».

La durée d’isolement de dix jours « commencera à courir à compter de la date de réalisation de l’examen de dépistage virologique ou de tout examen médical probant concluant à une contamination par la covid-19. Toutefois, la mesure de mise en isolement cessera de s’appliquer avant l’expiration de ce délai si un nouveau test réalisé fait apparaître que la personne n’est plus positive au virus de la covid-19 » avertit l’étude d’impact du gouvernement.

Le même document concède que ces mesures sont attentatoires aux libertés individuelles, mais elles visent « à limiter le recours à des mesures contraignantes de portée générale, qui limiteraient plus significativement les droits et libertés de l’ensemble de la population, en cas de dégradation globale de la situation sanitaire, et affecteraient donc davantage les particuliers ».

Une question demeure : l’isolement obligatoire ne va-t-il pas inciter les personnes à ne pas se faire dépister ?

La vaccination obligatoire (articles 5 et suivants)

Le projet de loi impose une obligation vaccinale pour toutes les personnes qui exercent leur activité dans une ribambelle d’établissements, centres et autres maisons de santé. Cela concerne également les professionnels de santé, notamment ceux en libéral, les étudiants ou élèves qui travaillent dans ces locaux, mais aussi les pompiers, sans oublier les activités de transport sanitaire.

Pour le Conseil d’État, « la liste des personnes établie par le projet de loi est suffisamment précise, repose sur un critère objectif en rapport avec l’objet du projet de loi et n’est pas manifestement inappropriée à l’objectif de protection de la santé poursuivi ». Il a réclamé simplement quelques précisions à la marge.

Ces personnes devront présenter idéalement un justificatif de statut vaccinal soit un justificatif de rétablissement. Puisque ces éléments touchent aussi à la vie privée, ils pourront fournir ces documents « sous une forme qui ne permettra pas à la personne chargée du contrôle de connaître l’origine de l’immunisation ». Un vœu exprimé par le Conseil d’État là encore dont on ne connaît pas encore la réalité concrète.

Sans présentation de l’un ou l’autre de ces documents, ces personnes ne pourront plus exercer dès le lendemain de la publication de la loi, sauf à fournir un test négatif de dépistage. À compter du 15 septembre, nulle autre alternative : l’obligation vaccinale s’imposera à elles.

Comme dans l’article 1, les personnes qui ne présentent pas de justificatif verront leur contrat suspendu avec interruption de la rémunération, puis entretien dans un délai de cinq jours pour tenter de trouver une solution. Si la situation perdure sur deux mois, ce défaut de production du justificatif pourra être reconnu comme motif de de cessation des fonctions ou rupture du contrat de travail.

Le texte prévoit également des sanctions pénales pour ces personnes qui se rendrait dans un établissement recevant du public malgré tout. Le risque, rappelle le Conseil d’État, « une contravention de quatrième classe. La sanction peut être portée en cas de trois récidives dans un délai de 30 jours par une peine allant jusqu’à six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d'intérêt général ».

Pour les responsables qui ne procèderaient pas aux contrôles, le texte s’oriente finalement vers une contravention de cinquième classe, voire un an de prison et de 45 000 euros d'amende « s’ils sont verbalisés à plus de trois reprises dans un délai de trente jours ».

Enfin à l’article 9 est consacrée l’autorisation d’absence légale pour les salariés et agents publics pour se rendre aux rendez‑vous médicaux liés aux vaccinations anti-Covid.

« Ces absences n’entraînent aucune diminution de la rémunération et sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par les intéressés au titre de leur ancienneté ».

Plus de 600 amendements pour l'examen en commission 

Enfin, l’un de ses derniers articles rend applicable à la réparation des préjudices imputables à la vaccination obligatoire contre la covid-19, le principe de réparation intégrale via l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Le projet est examiné en séance mercredi, après son passage en commission où plus de 600 amendements ont déjà été déposé. Une fois adopté, il sera transmis au Sénat pour un examen jeudi et vendredi.

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