Avantage quantique en Europe : retour sur un choix sémantique lourd de sens

Avantage quantique en Europe : retour sur un choix sémantique lourd de sens

« Une différence importante »

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

15/02/2021 8 minutes
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Avantage quantique en Europe : retour sur un choix sémantique lourd de sens

Après les États-Unis et la Chine, une équipe européenne affirme avoir atteint l’« avantage quantique » en laboratoire. Eleni Diamanti du CNRS nous explique pourquoi elle ne parle pas de « suprématie quantique » et nous donne des détails sur les tenants, aboutissants et débouchés que l’on peut en attendre.

Il y a quelques jours, des scientifiques du CNRS, de l’université d’Édimbourg (Écosse) et de l’entreprise QC Ware Corp (France et USA) ont affirmé avoir mis au point une machine quantique capable d’effectuer « une tâche de vérification donnée en quelques secondes alors que le même exercice prendrait un temps équivalent à l’âge de l’univers pour un ordinateur classique ». Hasard (ou pas) du calendrier, cette annonce intervient juste après celle du Plan Quantique français promettant pas moins de 1,8 milliard d’euros pour la recherche.

Notre dossier sur le Plan Quantique en France : 

Le sujet est complexe, le communiqué bref : « Pour cette démonstration, ils ont combiné un algorithme interactif complexe, qui permet de résoudre un certain type de problèmes mathématiques avec des informations limitées, et un système expérimental photonique simple, réalisable dans tous les laboratoires photoniques de pointe ».

On note également que plutôt que de parler de « suprématie quantique », les chercheurs préfèrent le terme « avantage quantique ». Eleni Diamanti, chercheuse au CNRS et coauteure des travaux dans Nature Communications, nous explique les raisons de cet important choix sémantique, et répond à nos questions.

Les choix derrière les mots

La première annonce de « suprématie quantique » a été faite par Google et la NASA en octobre 2019. Avec son processeur Sycamore à 53 qubits, le géant américain aurait « effectué un calcul en 200 secondes qui prendrait 10 000 ans au supercalculateur le plus rapide du monde ». IBM s’était rapidement inscrit en faux.

Big Blue affirmait alors qu’une « simulation idéale de la même tâche peut être effectuée sur un système classique en 2,5 jours et avec une fidélité beaucoup plus grande ». Elle y voyait « une excellente démonstration des progrès de l’informatique quantique basée sur la supraconductivité […], mais elle ne doit pas être considérée comme une preuve de la suprématie quantique ». Il faut dire que cette course quantique est autant médiatique que scientifique.

En décembre 2020, rebelote, mais avec un prototype d’ordinateur quantique développé par l'Université des sciences et technologies de Chine. Baptisée Jiuzhang, cette machine n’a « besoin que de 200 secondes pour traiter 50 millions d'échantillons par échantillonnage de boson gaussien (GBS), alors que le superordinateur le plus rapide au monde a besoin de 600 millions d'années ».

On vous épargne les détails techniques pour se concentrer sur le cœur de cette annonce : « C'est la première fois que la Chine atteint "la suprématie quantique". La Chine est ainsi devenue le deuxième pays à atteindre "la suprématie quantique" », affirme le Quotidien du Peuple, un organe de presse officiel du Parti communiste chinois… et donc une déclaration à prendre avec des pincettes.

Dans le titre de leur publication, les chercheurs chinois annoncent plutôt avoir obtenu un « avantage de calcul quantique utilisant des photons », pas de suprématie à proprement parler donc… mais ils ont tout de même tendance un peu à mélanger les deux dans leur exposé des faits :

« Si l’amélioration semble écrasante, de sorte qu'aucun ordinateur classique ne peut effectuer la même tâche dans un laps de temps raisonnable […] on parle davantage de calcul quantique ou de suprématie quantique. Ici, nous utilisons le premier terme ».

Blanc bonnet et bonnet blanc ? Pas tout à fait

Pour Olivier Ezrati (consultant et auteur sur les questions d’IA, IoT, et quantiques), ces deux termes n’ont pourtant pas vraiment la même signification : 

« Un avantage quantique est observé avec un calculateur quantique lorsqu’il réalise une opération en un temps meilleur que les supercalculateurs les plus performants exploitant l’algorithme classique le plus efficace du moment. Meilleur, mais pas forcément de plusieurs ordres de grandeur.

Une suprématie quantique intervient si un calcul quantique spécifique n’a pas d’équivalent classique exécutable dans un temps humainement raisonnable. Il vaut mieux que ce temps soit complètement déraisonnable, du genre de quelques milliers, millions voire milliards d’années ».

Bref, deux salles et deux ambiances : Google parle sans détour de « suprémacie » dans le titre et le contenu de sa publication, tandis que les scientifiques chinois sont en partie plus mesurés avec leur « avantage quantique ».

Dans tous les cas, « la bifurcation vers les technologies quantiques est en marche », résume Philippe Chomaz, directeur scientifique à la direction de la recherche fondamentale du CEA. Pour simplifier, la question n’est pas tant de savoir « si » les ordinateurs quantiques prendront le dessus, mais plutôt « quand ». 

La notion d'« avantage quantique » est également le choix fait par les chercheurs européens, qui viennent de faire une annonce en la matière. Eleni Diamanti a accepté de revenir sur ce choix et l'avancée du projet. 

Aussi bien dans le communiqué du CNRS que dans la publication dans Nature, le terme « supremacy » n’est pas utilisé, pour quelle raison ?

Nous avons fait le choix d'être prudents avec l'utilisation de ce terme puisque notre machine quantique qui nous a permis de montrer cet avantage quantique algorithmique ('quantum computational advantage', terme de toute façon préférable à 'supremacy') n'a pas vocation d'amener à terme à un ordinateur quantique universel.

Le terme 'supremacy' est souvent associé à ce but final, pour la machine Google par exemple, qui pour l'instant est très loin d'être un ordinateur quantique universel, mais c'est l'objectif ultime.

Est-il possible d’avoir de plus amples détails sur l’algorithme utilisé ? Comme dans le cas de Google, il s’agit d’un cas théorique sans « utilité » concrète dans la pratique ?

Notre algorithme, même théorique, se distingue par rapport aux algorithmes de Google ou de la machine chinoise par le fait qu'il ne s'agit pas d'un algorithme d'échantillonnage (sampling), mais de vérification avec une réponse de type 'oui ou non'. C'est une différence importante qui le rend de fait plus utile.

Par exemple, un cas pratique d'utilisation est d'imaginer un scénario où un utilisateur d'un service (client) souhaiterait vérifier si le processeur (serveur) peut comme annoncé trouver une solution à un problème complexe (de type NP-complet). Le serveur ne souhaite pas dévoiler toute la solution, mais juste une partie suffisante pour convaincre le client. Notre algorithme permet cette vérification de façon extrêmement efficace.

La programmation de l’algorithme sur la machine quantique a-t-elle été un défi ? […] Votre recherche porte-t-elle principalement sur la partie logicielle, matérielle ou les deux ?

De nouvelles techniques algorithmiques ont été au cœur de ce travail. La machine elle-même est relativement simple, mais elle utilise une astuce assez importante qui nous avait déjà permis de montrer un avantage quantique dans un autre contexte (pas algorithmique) dans une publication précédente.

Est-il aussi possible d’avoir plus de détails sur la machine utilisée (nombre de qubits, type de fonctionnement, etc. ) et son mode de fonctionnement ? 

C'est une question un peu difficile à répondre comme cela. Nous espérons pouvoir trouver le temps d'écrire une note vulgarisée sur notre travail comme on est conscients que le sujet est complexe et contient beaucoup de subtilités. En tous cas, la machine utilisée est photonique et utilise le codage de l'information quantique (comme dicté par l'algorithme) sur des propriétés des impulsions lumineuses émises par un laser.

Ces photons envoyés, disons par le serveur traversent un circuit simple d'optique linéaire et sont détectés par des détecteurs de photons uniques. L'étape de vérification par le client se passe à ce stade.

Comme expliqué en réponse à votre première question, cette machine n'a pas vocation à amener à un ordinateur quantique universel, il s'agit ici d'un exemple concret d'un algorithme pour lequel on peut montrer un avantage quantique même avec la technologie actuellement disponible.

Avez-vous d’autres pistes à l’étude sur votre machine afin de proposer une démonstration de l’avantage quantique « utile » ?

Nous étudions actuellement l'utilisation de notre machine pour la démonstration d'un avantage quantique sur le calcul de la différence entre deux séries des données. D'autres pistes suivront sûrement !

Écrit par Sébastien Gavois

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Les choix derrière les mots

Blanc bonnet et bonnet blanc ? Pas tout à fait

Aussi bien dans le communiqué du CNRS que dans la publication dans Nature, le terme « supremacy » n’est pas utilisé, pour quelle raison ?

Est-il possible d’avoir de plus amples détails sur l’algorithme utilisé ? Comme dans le cas de Google, il s’agit d’un cas théorique sans « utilité » concrète dans la pratique ?

La programmation de l’algorithme sur la machine quantique a-t-elle été un défi ? […] Votre recherche porte-t-elle principalement sur la partie logicielle, matérielle ou les deux ?

Est-il aussi possible d’avoir plus de détails sur la machine utilisée (nombre de qubits, type de fonctionnement, etc. ) et son mode de fonctionnement ? 

Avez-vous d’autres pistes à l’étude sur votre machine afin de proposer une démonstration de l’avantage quantique « utile » ?

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

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Commentaires (5)


la machine utilisée est photonique et utilise le codage de l’information quantique
(comme dicté par l’algorithme) sur des propriétés des impulsions lumineuses émises par un laser…



‘pas si simple à reproduire’ (purée) !!! :eeek2:


Ces précautions lexicales sont bienvenues dans une époque où chaque petite avancée scientifique donne lieu à un communiqué souvent bien trop emphatique.



Par exemple, un cas pratique d’utilisation est d’imaginer un scénario où un utilisateur d’un service (client) souhaiterait vérifier si le processeur (serveur) peut comme annoncé trouver une solution à un problème complexe (de type NP-complet). Le serveur ne souhaite pas dévoiler toute la solution, mais juste une partie suffisante pour convaincre le client. Notre algorithme permet cette vérification de façon extrêmement efficace.




Ça pourrait servir pour le minage de crypto-monnaies du coup ?


Google parle sans détour de « suprémacie » dans le titre
=> « suprématie » ou « supremacy »
Et vous pouvez supprimer le comm :)


Une vidéo sympa sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=CTu2uvTconE
TL;DR : suprématie oui, mais… Mais en fait, les calculs fait par Google montre juste que leur ordinateur quantique « fonctionne » (ce qui est déjà extra-ordinaire en soit).