Virgin Orbit va dans l’espace, la NASA écourte le test de son Space Launch System (SLS)

Virgin Orbit va dans l’espace, la NASA écourte le test de son Space Launch System (SLS)

NASA qui pleure et Virgin qui rit

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

18/01/2021 8 minutes
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Virgin Orbit va dans l’espace, la NASA écourte le test de son Space Launch System (SLS)

Ce week-end, Virgin Orbit tentait de nouveau d’aller dans l’espace avec son LauncherOne. De son côté, la NASA devait réaliser un test de huit minutes des moteurs du premier étage de sa fusée SLS devant emmener des astronautes sur la Lune. Le premier est un succès, le second un échec partiel.

Cela fait maintenant plusieurs années que Virgin Orbit travaille sur son projet dont le but est de démocratiser l’envoi de petits satellites en orbite. Un marché où la société est très loin d’être seule : bon nombre d’acteurs du New Space s‘y intéressent – c’est le cas de Rocket Lab qui veut passer au réutilisable –, mais aussi des « vieux » comme SpaceX et Arianespace avec l’adaptateur SSMS pour Vega.

Tous misent sur un lanceur qui décolle depuis le sol. Virgin Orbit propose une approche totalement différente pour s’envoler dans l’espace : sa fusée LauncherOne est placée sous l’aile d’un Boeing 747-400 modifié qui sert de rampe de lancement. L’avion peut ainsi être comparé à un premier étage recyclable puisqu’il revient se poser sur la terre ferme une fois son colis largué à 35 000 pieds (environ 10 km d’altitude). La fusée allume alors le moteur NewtonThree de son étage principal, puis NewtonFour pour l’étage supérieur. 

Le premier vol de LauncherOne remonte à fin 2018, mais la fusée était restée bien sagement attachée sous l’aile de l’avion. Des essais du genre se sont déroulés jusque début 2020. Fin mai, c’est le « jour J » et le moment pour la fusée de se jetter à l’eau… au sens propre comme au figuré. Elle a en effet terminé sa course dans l’océan. 

Le premier tombe à l’eau, le second rejoint l’espace

Virgin Galactic préférait y voir le côté positif : « Sur certaines des parties les plus difficiles de notre vol – libération, chute contrôlée, séquence d'allumage de la fusée et partie initiale du vol guidé et propulsé – notre système a fait exactement ce que nous avions prévu ». Problème, neuf secondes après le largage, « quelque chose a mal fonctionné, provoquant l'extinction du moteur »… et donc la chute dans l’océan.

Après de nombreux mois d’attente, la mission « Launch Demo 2 » a été lancée ce week-end, avec succès cette fois. Quelques heures avant le décollage, la société prenait tout de même les devants dans le cas (plausible) où un éventuel problème viendrait jouer les trouble-fête. Après tout, comme son nom l’indique, il s’agit d’un test.

Bonne nouvelle, aucun grain de sable n’est venu gripper les rouages et toutes les étapes se sont déroulées sans la moindre anicroche : allumage puis extinction du moteur du premier étage, séparation, allumage de celui du second étage pour la première fois dans le vide, éjection de la coiffe, mise en orbite circulaire et libération des neuf cubesats (pour le compte de la NASA) sur une orbite basse. Pendant ce temps-là, le Boeing 747-400 est rentré à sa base. 

Un avion et une fusée… l’équivalent de trois étages

Virgin Galactic en profite pour faire un point rapide sur les caractéristiques techniques de son avion Cosmic Girl et sa fusée LauncherOne. Le premier est donc un Boeing 747-400 qui a volé pour la première fois en décembre 2001 – il a eu une vie avant d’arriver chez Virgin Galactic – puis a effectué 1 045 vols commerciaux entre les aéroports de Londres et de New York.

De son côté, la fusée mesure 22 mètres de long, pour une capacité en charge utile allant de 300 kg (orbite héliosynchrone) à 500 kg (orbite basse). Le moteur NewtonThree (N3) du premier étage à une poussée de 327 kN contre 22 kN pour NewtonFour (N4) du second. Sa vitesse maximale est d’un peu plus de 28 000 km/h. 

Maintenant que les essais sont validés avec succès, Virgin Orbit va certainement pouvoir passer à la suite des opérations… avec le début des lancements commerciaux ?

Virgin Orbit Cosmic Girl

Cosmic Girl et LauncherOn sous son aile gauche

SLS a (enfin) allumé ses quatre moteurs… pendant 67,2 secondes

Si on doit sabrer le champagne chez Virgin Galactic, la situation est certainement plus tendue à la NASA. Comme prévu, l’Agence spatiale américaine a procédé à un test de mise à feu statique du premier étage de son lanceur lourd Space Launch System (SLS). Il a par contre été écourté.

Le plan d’essai prévoyait d’allumer les quatre moteurs RS-25 pendant près de huit minutes, soit la durée de vol du premier étage lors d’un lancement classique, avant extinction et séparation. « L'équipe a terminé avec succès le compte à rebours et allumé les moteurs, mais ils se sont arrêtés un peu plus d'une minute [67,2 secondes précisément, ndlr] après la mise à feu », explique la NASA.

Cet essai s’est déroulé au Stennis Space Center de l’Agence américaine, pas loin de la baie de Saint Louis dans le Mississippi. La base « n’avait pas été témoin d’un tel niveau de puissance depuis les tests des étages de Saturn V dans les années 1960 », affirme le directeur du centre (Rick Gilbrech). 

Un clin d’œil symbolique puisque les monstres fusées Saturn V étaient celles des missions Apollo qui ont envoyé les premiers hommes sur la Lune. Le programme Artemis lancé sous l’impulsion de Donald Trump doit prendre la relève et permettre aux humains de retourner sur notre satellite naturel.

Le premier étage de SLS mesure 65 m de hauteur et 8,5 m de diamètre. Il sera capable de fournir une poussée de 8 900 kN avec ses quatre moteurs, mais elle n’était « que » de 7 200 kN pour ce test. Des détails sur les différentes versions et les caractéristiques de la fusées sont disponibles dans ce document.

Des soucis avec un composant du moteur 4 

Selon NASA Spaceflight, l’arrêt  prématuré a été « déclenché par une indication de panne majeure sur un composant du moteur 4 ». L’ensemble du premier étage est malgré tout en bonne santé. Toujours selon nos confrères, deux minutes minimum étaient nécessaires pour récupérer suffisamment de données et valider le test.

Les informations récoltées sont évidemment en cours d’analyse afin de savoir exactement ce qu’il s’est passé et déterminer les causes de cette interruption brutale. Il est donc encore trop tôt pour dire ce qui va se passer ensuite. Jim Bridenstine, administrateur de la NASA, préfère voir le verre à moitié plein : « Le test de samedi est un pas en avant important pour s'assurer que l’étage principal de la fusée SLS est prêt pour la mission Artemis I et pour transporter des équipages lors des futures missions ».

« Bien que les moteurs ne soient pas restés allumés pendant toute la durée du test, l'équipe a validé le compte à rebours, l’allumage et a obtenu des données précieuses pour la suite des opérations », ajoute-t-il. Même son de cloche chez John Honeycutt, responsable du programme SLS à la NASA : « Voir les quatre moteurs s'enflammer pour la première fois […] est une étape importante », la question est de savoir si cela sera suffisant.

Valider tout de même l’essai pour « rester dans les temps » ?

Les huit minutes du test devaient non seulement mettre les moteurs à l‘épreuve de ce qu’ils devront subir lors du lancement de la mission Artemis I (sans membre d’équipage), mais aussi tester l’orientation ajustable des moteurs, les réservoirs d’ergols et l’ordinateur de bord. 100 To de données devaient ainsi être récupérés. Il y en a certainement moins, mais elles vont être passées au crible.

Malgré tout, l'Agence spatiale américaine n'exclut pas de valider le test et d'envoyer le premier étage en Floride afin de le préparer au vol de la mission Artemis I programmée pour cette année… afin de « rester dans les temps ». Ce programme n’est plus à quelques mois près. Le développement de la fusée a été lancé en 2011 et le vol inaugural était prévu pour 2017.

NASA SLS
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Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

Le premier tombe à l’eau, le second rejoint l’espace

Un avion et une fusée… l’équivalent de trois étages

SLS a (enfin) allumé ses quatre moteurs… pendant 67,2 secondes

Des soucis avec un composant du moteur 4 

Valider tout de même l’essai pour « rester dans les temps » ?

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Commentaires (14)


Petite question naïve : avec cette poussée formidable (« que » de 7 200 kN pour ce test) comment fait-on pour que le moteur ne “décolle” pas ?


Pour décoller de base il y a en plus deux booster.



Et puis, comme ils sont pas con, en prime, ils l’accrochent. ;-)


Je me posais la même question lors des tests des moteurs d’Ariane 6…



Vibrations, traction, évacuation. Niveau ingénierie ça doit être sympa aussi.
Je crois avoir vu récemment une vidéo assez bien faite sur les pas de tir, je vais chercher.


Pseudooo

Je me posais la même question lors des tests des moteurs d’Ariane 6…



Vibrations, traction, évacuation. Niveau ingénierie ça doit être sympa aussi.
Je crois avoir vu récemment une vidéo assez bien faite sur les pas de tir, je vais chercher.

La base de Stennis dispose de sa page youtube (https://www.youtube.com/c/NASAStennis/videos)


Ne décolle pas, ok, elle est accrochée. Je me demande surtout comment fait la fusée pour résister aux forces liées au fait qu’elle soit justement accrochée, force probablement différentes de celles rencontrées en vol ?


liebekinder

Ne décolle pas, ok, elle est accrochée. Je me demande surtout comment fait la fusée pour résister aux forces liées au fait qu’elle soit justement accrochée, force probablement différentes de celles rencontrées en vol ?


Elle est fixée d’une manière permettant de ne pas la détruire en répartissant correctement les forces, normalement sur les parties les plus résistantes de la fusée. Sachant que, même si une fusée peut sembler fragile compte tenu de l’épaisseur des parois (parfois quelques millimètres seulement), elle peut tout de même résister à plusieurs dizaines de tonnes de pression sans trop de problèmes (le premier étage supporte le second étage - voir le troisième - ET la ou les charges utiles - la condition est que les forces soient correctement appliquées, on a déjà vu quelques fusées ou prototype finir en morceaux à cause de cela…).



Et dans ce test “Green Run”, il n’était pas prévu de faire subir au premier étage toutes les situations de vol, notamment sur les inclinaisons des moteurs pour contrôler la direction, pour justement ne pas créer des problèmes sur la structure de la fusée et risquer d’endommager l’étage qui est celui qui servira pour la première mission Artemis (en théorie fin 2021).



Ici, le test à tout de même permis de valider l’allumage des 4 moteurs en simultanés, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent (ils étaient utilisés sur les navettes spatiales, mais il n’y en avait que 3). Le moteur semblant poser problème, à confirmer, serait celui qui a servi seulement 3 fois, contrairement aux 3 autres (l’un a même déjà servi 14 fois).



Pour la suite des tests, la NASA à déjà indiqué qu’il serait possible de procéder au remplacement ou aux réparations du moteur sur place, ce qui évite de devoir le déplacer à nouveau à son point d’origine par barge/bateau.


Tharamac

Elle est fixée d’une manière permettant de ne pas la détruire en répartissant correctement les forces, normalement sur les parties les plus résistantes de la fusée. Sachant que, même si une fusée peut sembler fragile compte tenu de l’épaisseur des parois (parfois quelques millimètres seulement), elle peut tout de même résister à plusieurs dizaines de tonnes de pression sans trop de problèmes (le premier étage supporte le second étage - voir le troisième - ET la ou les charges utiles - la condition est que les forces soient correctement appliquées, on a déjà vu quelques fusées ou prototype finir en morceaux à cause de cela…).



Et dans ce test “Green Run”, il n’était pas prévu de faire subir au premier étage toutes les situations de vol, notamment sur les inclinaisons des moteurs pour contrôler la direction, pour justement ne pas créer des problèmes sur la structure de la fusée et risquer d’endommager l’étage qui est celui qui servira pour la première mission Artemis (en théorie fin 2021).



Ici, le test à tout de même permis de valider l’allumage des 4 moteurs en simultanés, ce qui n’avait pas été fait jusqu’à présent (ils étaient utilisés sur les navettes spatiales, mais il n’y en avait que 3). Le moteur semblant poser problème, à confirmer, serait celui qui a servi seulement 3 fois, contrairement aux 3 autres (l’un a même déjà servi 14 fois).



Pour la suite des tests, la NASA à déjà indiqué qu’il serait possible de procéder au remplacement ou aux réparations du moteur sur place, ce qui évite de devoir le déplacer à nouveau à son point d’origine par barge/bateau.


Merci pour ces détails.



@Sébastien : n’y aurait-il pas une version du “poster” explicatif (celui en bas de l’article) avec des unités métriques ? Quand on pense que la NASA en interne utilise le système métrique…


On l’attache a un truc plus lourd que ce que permet sa poussée.
Vu la taille de la structure …



On peut se rendre compte de la taille du machin ici



Ils ajouté pour “1 000 000 poud” d’acier en plus par exemple



Arka_Voltchek a dit:


Et puis, comme ils sont pas con, en prime, ils l’accrochent. ;-)




ça, je m’en serais douté !


C’est impressionnant de revoir fonctionner les moteurs RS-25 n’empêche.



Artemis I étant prévue en novembre 2021, encore quelques mois à patienter pour voir ce monstre décoller en espérant qu’il n’y ait pas de décalage. Le côté un peu incertain aussi, c’est la politique spatiale de l’administration Biden qui reste peu connue il me semble (je pense que c’est pas dans leurs prio). Je doute qu’ils arrêtent tout comme ça puisque 3 missions sont planifiées avec d’autres agences (notamment l’ESA), sans parler des missions de soutien. Mais vu l’ampleur des budgets (35 milliards de dollars) et les critiques que le programme a suscité, j’espère qu’il n’y aura pas de coupes.



serpolet a dit:


ça, je m’en serais douté !



Pseudooo a dit:


Je me posais la même question lors des tests des moteurs d’Ariane 6…



Vibrations, traction, évacuation. Niveau ingénierie ça doit être sympa aussi. Je crois avoir vu récemment une vidéo assez bien faite sur les pas de tir, je vais chercher.




Je me demandais aussi, et au final les “points d’ancrage” avec la structure doivent être aux endroits où les contraintes doivent s’exercer :




  • sur la table de poussée, là où les moteurs sont fixés à la fusée

  • entre chaque étage



Car si on “soude” la structure n’importe comment, je pense que ça fini en joli feu d’artifices. Si tu soudes la table de poussée, et les “inter-étages”, ce qui représente les zones les plus solides, ça simule pas trop mal.



Après vla les vibration et les harmonies, difficiles à reproduire sur du statique…


A la réflexion (oui ça m’arrive :francais: ), pourrait-on imaginer, plutôt qu’une structure rigide qui risquerait de casser en cas de pression anormale, une structure dotée d’une certaine élasticité, qui d’une part possèderait des valeurs de tolérance supérieure à la poussée (= poussée maximale comprise entre tant et tant = réutilisable pour plusieurs types d’essais de moteurs), et d’autre part une valeur certaine d’amortissement des vibrations, qui doivent être légion lors des tests, surtout s’ils se prolongent un peu trop ?


:D Si, à 50 ans, tu n’as pas une grosse Virgin Orbit, tu as raté ta vie… :francais:



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(reply:1850344:DantonQ-Robespierre)




Il est fort probable que tout cela n’est pas juste soudé (j’ai fait un raccourci) mais bien monté sur des cales et autre amortisseurs .



Ce qui justement ne permet pas de recréer tout le contexte d’un lancement, où chaque étage appuie sur le précédent et vibre à des fréquences différentes.



Certaines fusées US et FR ont eu des soucis de vibrations et d’harmonie je crois, au point d’exploser en vol ou juste au décollage.