Une juge britannique refuse d'extrader Julian Assange

Incarcération de masse VS surveillance de masse
Droit 8 min
Une juge britannique refuse d'extrader Julian Assange
Crédits : El Pais

La juge Vanessa Baraitser a balayé la plupart des arguments présentés par les avocats du fondateur de WikiLeaks, qu'elle refuse cela dit d'extrader au vu des problèmes de santé mentale de Julian Assange, et des risques de suicide afférents, qu'elle estime incompatibles avec une extradition.

Le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, ne peut pas être extradé vers les États-Unis pour faire face à des accusations d'espionnage et de piratage d'ordinateurs gouvernementaux, rapporte la BBC. La juge de district Vanessa Baraitser a statué que, bien que les procureurs américains aient satisfait aux critères pour que M. Assange soit extradé pour être jugé, les États-Unis étaient incapables de l'empêcher de tenter de se suicider.

Elle a notamment cité les conditions de détention auxquelles Julian Assange devrait faire face aux États-Unis, et leur effet néfaste sur l'état psychologique de ce dernier, pour justifier sa décision: « les procédures décrites par les États-Unis ne vont pas l'empêcher de se suicider (..) pour des raisons de santé mentale », précise l'AFP.

« Je suis convaincue que les procédures décrites par les États-Unis n'empêcheront pas M. Assange de trouver un moyen de se suicider et pour cette raison j'ai décidé que l'extradition serait oppressive en raison de préjudice moral et j'ordonne sa libération », précise Vanessa Baraitser dans son jugement de 132  pages, où le terme « suicide » est mentionné 107 fois.

Les représentants de l'accusation ont de leur côté annoncé qu'ils feraient appel, dans la foulée de la décision de la juge, ce qui pourrait entraîner des années de plus de querelles juridiques, mais également empêcher Julian Assange d'être libéré de la prison londonienne de Belmarsh où il est incarcéré. Une audience devrait se tenir mercredi pour savoir s'il doit être libéré. 

Les procureurs affirmaient qu'Assange avait aidé l'analyste de la défense américaine Chelsea Manning à enfreindre la loi américaine sur l'espionnage, qu'il s'était rendu complice de piratage par d'autres et qu'il avait publié des informations classifiées mettant en danger les informateurs, ce qui n'avait pour autant jamais été démontré.

Au total, les procureurs américains avaient inculpé Assange, 49 ans, de 17 chefs d'accusation d'espionnage passibles d'une peine maximale de 175 ans de prison. Depuis sa première arrestation en Grande-Bretagne il y a 10 ans, il a d'abord été placé sous bracelet électronique, puis vécu reclus dans l'ambassade d'Équateur, et enfin incarcéré dans une prison ultra-sécurisée.

Les arguments de la défense

Les avocats de la défense avaient quant à eux rappelé qu'Assange souffrait de problèmes de santé mentale de grande envergure, y compris des tendances suicidaires, qui pourraient être exacerbés s'il était placé dans des conditions de prison inhospitalières aux États-Unis.

Le site Lundi.am vient de publier un résumé en français des conclusions écrites de ses avocats. Ils y rappelaient que l'extradition n’est demandée « pour aucune des infractions habituelles passibles d’extradition, telles que le meurtre, le trafic de drogue ou la fraude, qui sont clairement couverts par le traité ».

Ils rappelaient également qu'« il n’est pas non plus recherché pour quelque acte terroriste que ce soit. Bien plutôt, son extradition est demandée pour l’infraction extraordinaire d’espionnage, universellement reconnu comme un "délit politique" ». Or l’extradition pour de tels délits politiques est expressément exclue du traité anglo-étasunien, qui est le seul fondement juridique de cette demande en droit international.

Ils déploraient en outre « l’histoire très inhabituelle de cette poursuite judiciaire [qui] pointe vers une motivation politique claire, étant donné le dépot tardif en 2018 par l’administration Trump d’accusations remontant aussi loin que 2010 et 2011 », alors que les événements impliquant Chelsea Manning ont eu lieu il y a une décennie, et qu'une décision a été prise sous l’administration Obama en 2013 selon laquelle « il n’y aurait pas de poursuites judiciaires pour des raisons claires de principe constitutionnel ».

Selon eux, « les poursuites ont ensuite été engagées sous la pression expresse du président Trump, de ses adjoints politiques, Mike Pompeo et Jeffrey Sessions en 2018, et se sont considérablement étendues sous la direction du procureur général Barr en 2019 ».

Et ce, dans le cadre d’un « plan concerté de l’exécutif, tout d’abord pour handicaper sa défense juridique en ciblant ses avocats, et pour le faire inculper, expulser de l’ambassade et extrader, et ensuite pour assurer l’escalade des accusations portées contre lui dans les deux actes d’accusation qui se sont succédés ». 

Ils déploraient au surplus que « l’histoire de ces poursuites s’est accompagnée d’une série d’actes exécutifs extraordinaires portant atteinte à l’État de droit », comprenant notamment la surveillance illégale qui fait actuellement l’objet d’une enquête de l’Audiencia Nacional, la Haute Cour espagnole, « activité qui s’est même étendue à un complot d’assassinat ou d’enlèvement de Julian Assange, et au ciblage actif de ses avocats, de ses médecins et même de son fils nouveau-né » (cf Assange espionné jusque dans les toilettes pour femmes).

Ils dénonçaient par ailleurs le fait que son procès se déroulerait « devant un jury composé à partir d’un groupe avec une forte représentation d’employés, d’ex-employés, de contractants de la défense et des renseignements ainsi que leurs proches (...) dans un tribunal situé à une quinzaine de kilomètres seulement du siège de la CIA », ce qui ne permettrait pas un jugement équitable.

En conclusion, les avocats plaidaient le fait qu'une extradition exposerait « M. Assange au risque réel de poursuites judiciaires totalement imprévisibles dans le cadre d’une extension capricieuse de la loi, ainsi qu’à un procès et à une procédure de condamnation qui constituent un déni de justice flagrant ».

Elle l’exposerait en outre « à des préjudices et des discriminations en raison de ses opinions politiques et de sa nationalité étrangère, ainsi qu’à la quasi-certitude de conditions d’emprisonnement à la fois inhumaines et oppressives ».

De plus, « cette poursuite judiciaire sans précédent » constituerait « un déni flagrant de son droit à la liberté d’expression et représente une menace fondamentale pour la liberté de la presse dans le monde entier ».

« Le système d'incarcération de masse américain vient de leur faire perdre leur procès »

En dépit de ces arguments, Kevin Gosztola, qui a live-tweeté l'audience, rapporte que « la juge Baraitser a accepté pratiquement toutes les allégations contre Assange », et notamment celles qui « en faisaient un cas dangereux pour la liberté de la presse ».

Et bien que la demande d'extradition ait été rejetée, il qualifie cette décision d'alarmante, à mesure que « quelqu'un d'autre pourrait facilement être criminalisé à l'avenir » pour ces mêmes motifs.

Le juge a en effet estimé qu'Assange n'était pas protégé par le traité américano-britannique et que la loi sur l'extradition de 2003, qui ne protège pas contre les poursuites pour délits politiques, permettait l'extradition. Selon Baraitser, les activités présumées d'Assange, et notamment la supposée assistance qu'il aurait offerte pour pirater un mot de passe, allaient au-delà du journalisme d'investigation.

De plus, le droit à la liberté d'expression ne donne pas à M. Assange « une discrétion illimitée pour décider de ce qu'il va publier », et que les allégations avérées « équivaudraient donc à des infractions dans cette juridiction qui ne seraient pas protégées par sa liberté d'expression ».

Baraitser a en outre estimé que les procureurs ont porté des accusations contre Assange « en toute bonne foi », et qu'il n'existait pas suffisamment de preuves qu'une décision avait été prise de ne pas poursuivre Assange sous Obama.

Baraitser a également rejeté les allégations contre UC Global concernant l'espionnage d'Assange à l'ambassade d'Equateur, et estimé que des protections constitutionnelles et procédurales seraient appliquées de sorte de garantir un procès équitable.

« Le système d'incarcération de masse du gouvernement américain vient de leur faire perdre leur procès contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange », conclue Gosztola.

Le Drian réitère son refus d'un asile politique en France

Des dizaines d'ONG, médias et personnalités, dont le rapporteur de l'ONU sur la torture, avaient appelé à sa libération, estimant notamment que son extradition et qu'un procès nuiraient gravement à la liberté de la presse et au journalisme d'investigation.

De nombreuses autres, ainsi que Stella Moris, partenaire d'Assange et mère de ses deux fils, avaient par ailleurs appelé le président américain Donald Trump via Twitter à accorder une grâce à Assange avant qu'il ne quitte ses fonctions le 20 janvier. Des demandes réitérées ce matin, notamment de la part d'Edward Snowden, suite à l'annonce du refus de son extradition.

Et même si Trump ne le ferait pas, précise AP, d'aucuns spéculent que son successeur, Joe Biden, pourrait adopter une approche plus clémente dans la procédure d'extradition d'Assange.

Plusieurs députés, dont Jean Lassalle, Jean-Luc Mélenchon ou Claire Bouchet (LREM) ont, de leur côté, interpellé le mois dernier le ministère des Affaires étrangères sur les possibilités d'obtention d'un asile politique sur le territoire français pour Julian Assange.

Mi-novembre, Jean-Yves Le Drian avait déjà répondu qu'« interrogée en 2015, la France avait jugé qu'il n'y avait pas lieu d'apporter une réponse favorable à une demande d'asile politique adressée aux autorités françaises par M. Assange, en raison d'éléments liés à la situation juridique et à la situation de fait de l'intéressé », qu'« il n'apparaît pas aujourd'hui que les éléments d'analyse sur ce dossier et sur la situation de M. Assange aient évolué » et que « nous faisons confiance à la justice du Royaume-Uni, qui est un État de droit ».

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