Voici la « plus grande carte de la matière noire jamais réalisée »

Et toujours plus de questions…
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Voici la « plus grande carte de la matière noire jamais réalisée »
Crédits : Bjoern Meyer/iStock

Cette carte de la matière noire couvre « un quart du ciel de l’hémisphère sud » et comprend plus de cent millions de galaxies. Elle ouvre de nouvelles perspectives aux chercheurs, mais soulève aussi des questions sur les théories actuelles. Les scientifiques attendent le lancement d’Euclid pour améliorer encore cette carte.

La matière noire (ou sombre) est une « substance » dont l’existence fait consensus chez les physiciens, mais « elle demeure, plus de 80 ans après sa découverte, toujours aussi mystérieuse », rappelle le CNES. Sur bien des points, l’Univers reste en effet hermétique : « 95 % de son contenu, la matière noire et l’énergie noire, nous sont invisibles alors qu’elles ont un effet gravitationnel ».

Matière noire et cisaillement gravitationnel

Plus intrigant encore, la matière noire serait présente partout autour de nous : « un humain est traversé environ 100 000 fois par seconde par un wimp ». Ce wimp (Weakly Interactive Massive Particle) est une particule candidate à la matière noire, que l'on peut littéralement traduire par « mauviette », explique le Centre national de la recherche scientifique.

Si la matière noire fait consensus, c’est notamment car sa présence « est trahie par le phénomène de cisaillement gravitationnel, qui dévie la trajectoire de la lumière à ses alentours. Depuis 1993, la mesure de ce phénomène permet aux chercheurs de détecter la présence de matière noire, à partir d’image de galaxies ». Comme pour tous les phénomènes gravitationnels, plus la distorsion est importante, plus la concentration en matière noire est élevée.

Jusqu’à présent, les observations ne couvraient qu’une petite partie du ciel, mais une équipe de chercheurs annonce avoir « constitué la plus grande carte de la matière noire jamais réalisée ». Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Cette carte est « une véritable prouesse »

Pour y arriver, les scientifiques ont travaillé sur des clichés dans les bandes de fréquences de la lumière visible et de l’infrarouge proche avec la caméra de la collaboration internationale Dark Energy Survey (DES) du Chili. Sa définition est de 570 Mpixels, via 62 capteurs individuels. Les chercheurs ont ainsi pu observer « plus de cent millions de galaxies » pour dresser leur carte.

Cette manière de faire (exploiter des images de galaxies pour révéler la matière noire) « a été ouverte en 1993 par Nick Kaiser, professeur à l’ENS », explique l’École Normale Supérieure. Pour mener à bien leurs travaux, les chercheurs dont il est aujourd’hui question ont « développé de nouvelles méthodes statistiques nourries par les avancées de l'intelligence artificielle ». 

Niall Jeffrey, co-auteur principal de ce travail et chercheur au LPENS (Laboratoire de Physique de l’École Normale Supérieure), ne cache pas sa joie : « C’est une véritable prouesse que d’avoir pu cartographier l’Univers aux plus grandes échelles sur une grande partie du ciel ». La carte couvre ainsi « un quart du ciel de l’hémisphère sud », explique le LPENS.

carte de la matière noire
Crédits : CNRS N. Jeffrey / Dark Energy Survey collaboration

Théorie contre observation : nouveau round

Ces résultats sont surprenants pour Niall Jeffrey car cette carte montre que la distribution de la matière noire est plus lisse et étendue que les prédictions théoriques ne le laissaient penser. « L'observation semble s'écarter de la théorie de la relativité générale d'Einstein, ce qui pose une énigme aux chercheurs », ajoute la BBC qui s’est entretenue avec le chercheur. Or, il faut que la théorie colle aux observations, pas le contraire.

Les conséquences peuvent être importantes : « Si cette disparité est vraie, alors peut-être qu'Einstein avait tort […] Vous pourriez penser que c'est une mauvaise chose, que la physique est peut-être brisée. Mais pour un physicien, c'est extrêmement excitant. Cela signifie que nous pouvons découvrir quelque chose de nouveau sur ce qu'est réellement l'Univers », explique-t-il à nos confrères. 

Carlos Frenk, cosmologiste, directeur de l’Institute of Computational Cosmology à l'Université de Durham et chercheur principal de Virgo, ne sait pas trop sur quel pied danser face à cette découverte : « J'ai passé ma vie à travailler sur cette théorie et mon cœur me dit que je ne veux pas la voir s'effondrer. Mais mon cerveau me dit que les mesures sont correctes, et que nous devons envisager la possibilité d'une nouvelle physique ». Cette nouvelle voie reste à définir.

Le satellite Euclid de l’ESA attendu au tournant

Au-delà de prendre la tête du concours à celui qui a « la plus grosse », cette carte de la matière noire permet « d'imposer des contraintes importantes aux théories sur l'origine de l'Univers », ajoute le CNRS. C’est une première étape et les scientifiques attendent maintenant de pied ferme le projet Euclid de l’Agence Spatiale Européenne. Il permettra de mesurer « plus d'un milliard de galaxies » et donc de proposer une « carte de l’invisible » plus précise.

Les attentes sont importantes puisqu’Euclid « révolutionnera ce champ de recherche ». La France est fortement impliquée dans ce projet avec la participation d’environ 500 membres, « dont le responsable scientifique de la mission (Yannick Mellier) et son adjoint (Francis Bernardeau) ». 

Cette mission comprend pour rappel un satellite qui devrait décoller durant la seconde moitié de 2022. Il embarque deux instruments qui sont déjà « construits et entièrement testés » depuis un an, selon l’Agence Spatiale Européenne. Ils ont été livrés à Airbus Defence and Space à Toulouse et l’intégration avec le satellite a débuté l’été dernier afin de former le module de charge utile de la mission.

On y retrouve un télescope avec un miroir de 1,2 mètre de diamètre, prévu pour fonctionner à la fois dans les longueurs d’onde visibles avec l’imageur Visible instrument (VIS) et dans le proche infrarouge avec Near Infrared Spectrometer and Photometer (NISP). 

VIS dispose d’une mosaïque « de 36 capteurs CCD, composés chacun d’une matrice de 4 000 pixels par 4 000 pixels. Le détecteur possédera au total environ 600 mégapixels ». De son côté, NISP « bénéficiera du plus grand champ visuel sur un instrument infrarouge ayant jamais volé dans l’espace ». De plus amples détails sont disponibles sur ce site dédié à Euclid.

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