L'univers serait composé à seulement 5 % de matière ordinaire, contre 95 % d'énergie et de matière noire (ou sombre). Ces dernières sont pour le moment invisibles, mais ce n'est pas faute d'essayer de les détecter. Le Dark Matter Day est l'occasion de revenir sur le sujet et de remonter le temps jusqu'au Big Bang. Attachez vos ceintures.
Mardi 31 octobre, c'est Halloween son défilé d'enfants déguisés à la recherche de bonbons, mais c'est également la journée internationale de la matière noire, alias Dark Matter Day. Le Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN) est de la partie et proposera un événement, retransmis en direct sur Internet et traduit en français. Un Facebook Live est également en cours par ici depuis le CAST (CERN Axion Solar Telescope) pour évoquer la matière noire.
Initiée par le groupe scientifique « Interactions Collaboration » représentant les laboratoires de physique des particules dans le monde, elle vise à mettre en lumière cette matière inconnue qui serait pourtant abondamment présente dans l'Univers, tout en donnant de la visibilité aux travaux de recherche. Par ricochet, il est également question de l'énergie noire.
Comme le précise le CNRS, « l’Univers reste très mystérieux : 95 % de son contenu, la matière noire et l’énergie noire, nous sont invisibles alors qu’elles ont un effet gravitationnel ». La matière serait partout autour de nous et « un humain est traversé environ 100 000 fois par seconde par un wimp ». Il s'agit de l'acronyme de Weakly Interactive Massive Particle, une particule candidate à la matière noire, que l'on peut littéralement traduire par mauviette.
De notre côté, nous avons décidé de passer du côté obscur de la force.
De la matière invisible qui expliquerait beaucoup de choses
Si certains parlent de matière noire, d'autres lui préfèrent le terme de matière sombre ou encore de matière invisible. Peu importe son nom : comme elle échappe à la détection directe, « on ne sait pas si elle existe », explique le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).
La situation rappelle celle des ondes gravitationnelles il y a quelques années, avant leur détection par LIGO et Virgo (voir cette actualité). Nous supposons fortement que la matière noire existe, mais la seule solution pour l'affirmer serait une observation directe, ce qui n'a pas encore été fait.
Les enjeux sont importants, qu'elles existent ou non : « elle expliquerait pourquoi notre Univers se compose de galaxies, d’amas de galaxies, mais aussi de vides immenses. Cependant, si on ne la détectait pas, il faudrait revoir la théorie de la gravitation d’Einstein », excusez du peu.
La matière ordinaire et noire expliquée par le modèle du Big Bang
Dans l'Univers, la matière ordinaire (celle que l'on connait, que l'on peut observer) est disponible en grande quantité. On la retrouve dans tout ce qui nous entoure (planètes, étoiles, comètes, vivant, etc.) et elle est composée à partir de 12 particules fondamentales (voir cette actualité) et peut interagir avec les quatre forces fondamentales : forte, faible, électromagnétique et gravitationnelle.
Afin d'expliquer certaines observations de l'Univers qui ne collaient pas avec les calculs théoriques (nous y reviendrons), des scientifiques ont eu l'idée de la matière noire. Elle ne réfléchit et n'émet pas de lumière, n'interagit pas avec la force électromagnétique, mais a des effets sur la gravitation. Sa masse serait importante selon les scientifiques : « une particule de cette matière serait de 1 à 100 000 fois plus importante que celle d’un proton par exemple ».
Pour expliquer la présence de matière ordinaire et de matière noire, il faut remonter plus de 13 milliards d'années en arrière, à l'époque du Big Bang. Notre Univers « se présente sous la forme d'une soupe dense et extrêmement chaude [NDLR : 10^28 kelvins] de particules de lumière, de matière et de matière noire » explique poétiquement le CEA. Les particules interagissent et entrent en collision entre elles.
Très rapidement, celles de matière noire arrêtent leur collision avec la matière ordinaire et n'interagissent plus entre elles. Cette époque correspond au gel de la matière noire : « plus aucune particule de matière ne sera ensuite créée » explique le CEA.
Sous l'effet de leur force gravitationnelle, ces particules influenceront la structure même de l'Univers tel qu'on le connait aujourd'hui. Elles creusent des puits gravitationnels dans lesquels la matière ordinaire et la lumière se regroupent pour donner naissance aux étoiles.
Pourquoi pense-t-on que la matière noire existe ?
Voilà pour le modèle théorique du Big Bang, mais pourquoi les scientifiques pensent que la matière noire existe vraiment ? Deux indices appuient très fortement cette hypothèse : la lentille gravitationnelle et la vitesse de rotation des étoiles dans une galaxie. Prenons quelques instants pour les détailler.
Dans le premier cas, il s'agit d'une déformation de l'espace-temps : « l’image d’une étoile située derrière un objet massif (appelé lentille), tel qu’un trou noir ou un amas de galaxies, nous parvient déformée » à cause de la gravitation. En étudiant la déformation de la lumière, les chercheurs peuvent estimer la masse totale de la lentille. Or, en ne considérant que la masse de la matière visible (et donc ordinaire), les calculs ne permettent pas reproduire le résultat mesuré. La présence de matière noire invisible (augmentant la masse de la lentille) pourrait être la solution.
Le second indice se base sur la vitesse de rotation des étoiles dans les galaxies. Alors que les chercheurs pensaient qu'elle irait en décroissant plus les astres étaient éloignés du centre, il n'en est rien. Ils mesurent au contraire une vitesse de rotation qui se stabilise. Là encore, la présence d'une matière invisible permettrait d'expliquer ce phénomène.
Dans les deux cas, les estimations indiquent généralement que toute la matière de l'Univers serait à 80 % environ noire (et donc seulement 20 % ordinaire), qui échappe pour le moment complètement à nos instruments.
Comment détecter la matière noire ?
Trois pistes sont à l'étude pour y remédier : « détecter l’effet qu’elle induit sur la matière ordinaire, la produire par l’énergie dégagée lors de la collision de protons de haute énergie, ou encore observer les produits de l’annihilation de deux particules de matière noire qui se produit dans le cosmos » expliquent les scientifiques du CNRS.
Dans le premier cas, il s'agit de mesurer l'impact entre une particule de matière noire et un noyau de matière ordinaire, ce qui provoquerait un léger recul de ce dernier. Nous n'aurions alors pas vu de la matière noire directement, mais nous aurions mesuré son effet. Comme dans le cas des ondes gravitationnelles, il faudrait réussir à mesurer cette infime variation.
Deuxième piste, la création de matière noire pourrait être réalisée par le Grand Collisionneur de hadrons (LHC). Dans cet accélérateur de particules, des protons de très haute énergie entrent en collision afin de créer des particules avec une masse très importante. Théoriquement, cela pourrait donner naissance à de la matière noire.
Problème, s'il s'agit bien de matière noire, elle sera invisible pour les détecteurs. Comment l'observer alors ? L'astuce des scientifiques est de regarder le bilan énergétique de chaque collision afin de voir s'il « manque » de l'énergie. Si c'est le cas, alors cela signifierait qu'une particule de matière noire (alias un wimp) pourrait avoir été créée durant l'expérience.
Enfin, dernière piste : « l’annihilation de deux particules de matière noire produirait des particules ordinaires détectables, dont des photons de hautes énergies appelés rayons gamma ». Ces derniers se propagent en ligne droite, permettant au scientifique de remonter facilement jusqu'à leur source et ainsi détecter de la matière noire. Pour rappel, l’annihilation est la rencontre entre une particule et son antiparticule, ayant pour conséquence l'émission d'énergie.
Peu importe la piste étudiée, aucun résultat probant n'a pour le moment été annoncé officiellement.
Et l'énergie noire alors ?
Depuis 6 milliards d'années, on observe une accélération de l'expansion de l'Univers. La présence d'une force nouvelle et inconnue appelée énergie noire (ou énergie sombre) en serait la cause. Comprendre l'énergie noire n'est pas chose aisée, comme en atteste l'explication du CERN :
« Elle est distribuée de façon uniforme dans l’Univers, non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps – autrement dit, son effet ne se dilue pas avec l’expansion de l’Univers. Cette répartition égale signifie que l’énergie sombre n’a pas d’effet gravitationnel local, mais plutôt un effet global sur l'Univers entier. Il en résulte une force répulsive qui tend à accélérer l’expansion de l’Univers. »
Au total, la matière et l'énergie noire composeraient 95 % de notre Univers... autant dire qu'il nous reste encore tout à découvrir sur ce sujet. Des missions scientifiques sont en préparation, notamment le satellite Euclid de l'Agence spatiale européenne.