Face à la contestation, l’Intérieur en dit plus sur son fichage politique

Ca Pasp où ça casse
Droit 6 min
Face à la contestation, l’Intérieur en dit plus sur son fichage politique
Crédits : Senat.fr

Vendredi, Nextinpact décrivait dans un article trois importants décrets favorisant le fichage des opinions politiques. Nous étions surpris du silence du Ministère de l’Intérieur. Il a depuis donné quelques précisions. Parallèlement, la contestation s’organise.

À Next INpact, nous n’aimons pas vraiment parler de décret pris « en catimini » pour des documents parus au Journal officiel. Mais, alors que le ministère de l’Intérieur multiplie habituellement communiqués de presse, interviews et tweets, rien n’a accompagné la sortie de ces trois importants décrets.

Aucun signe avant-coureur pour cette réforme, qui n’était pas même mentionnée dans le livre blanc de la sécurité intérieure. Et ce alors que le travail est engagé depuis plusieurs mois (la CNIL a rendu ses avis en juin).

Face à la multiplication des articles, de BFM au Monde, le ministère de l’Intérieur a décidé de sortir de son silence. 

L’effet gilet jaune : + 50 % de fichés en trois ans

Interrogé mercredi après-midi par le sénateur socialiste Michel Dagbert, Gérald Darmanin a d'abord éludé. Si le gouvernement a modifié les décrets, c’est en raison de demandes de la CNIL et de l’évolution de la menace.

Le passage de l’activité politique et religieuse à la notion d’opinion serait lui une conséquence du RGPD (qui selon le ministre aurait été voté par le Parlement français...). Or, si l’article 9 du RGPD parle bien d’opinion, tout comme la directive Police Justice, il n’imposait absolument pas cet élargissement dans nos fichiers de police. Par ailleurs, selon Franceinfo, la CNIL n’a même pas été consultée sur cette modification

Dans des précisions données à l’AFP, l’Intérieur justifie l’élargissement des possibilités de fichage « au regard des troubles graves à l’ordre public qui se sont développés depuis 2015 ». Par ailleurs, selon l’AFP, début novembre 60 686 personnes étaient inscrites au Pasp, 67 000 au Gipasp et 221 711 à l’EASP.

L’EASP est logiquement le fichier le plus volumineux, car il regroupe l’ensemble des enquêtes administratives préalables à une habilitation (pour devenir policier, magistrat, policier municipal, agent de sécurité privée,…).

Reste que pour ces personnes, les informations collectées ont augmenté de façon exponentielle (l’ancienne version versus la nouvelle). Les fonctionnaires et agents de sécurité privée devront ainsi fournir leurs identifiants utilisés sur les réseaux sociaux et l’on pourra collecter des données sur leurs éventuels « troubles psychologiques ou psychiatriques ». Par ailleurs, ces 221 711 personnes vont pouvoir être suivies sur la durée, les données étant conservées cinq ans.

Autre point : la hausse du nombre de fiches aux Pasp et Gipasp est notable, puisqu’ils n’étaient que 43 446 et 40 474 en 2017. Une augmentation de plus de 50 % en trois ans. Dans son rapport de 2018, le référent national du Pasp détaillait les différentes catégories des personnes fichées :

  • actions de manifestations illégales ou appels à la violence à l’occasion de rassemblements ;
  • dévoiements de la liberté d’expression, d'opinion ou de religion portant atteinte à l'ordre public, aux droits fondamentaux, à l'intégrité des personnes, accompagnés d’agressions, stigmatisations ou profanations envers telle ou telle communauté particulière ;
  • violences en bandes, souvent liées à l’organisation d’une économie souterraine ou à des contestations idéologiques de modèles de développement, accompagnés d’affrontements individuels ou collectifs ;
  • menaces sur les institutions républicaines, discours prônant la haine ou la discrimination, radicalisation ;
  • pressions ayant pour but de créer chez des personnes un état de sujétion et de déstabilisation ;
  • actes de violence ou de vandalisme lors de manifestations sportives ou appels à commettre de telles violences.

Mais le référent rappelait que ces catégories ont évolué et que de nouvelles « pourront être créées dans l'avenir en fonction de l'évolution des menaces à la sécurité publique ».

Parmi les raisons de la poussée du Pasp et du Gipasp : le suivi des personnes radicalisées (mais fin 2017, elles étaient déjà fortement suivies) et les gilets jaunes. Rappelons que la fiche est conservée dix ans, à partir du dernier événement justifiant une inscription au fichier.

Des recours en préparation contre les décrets

Par ailleurs, la Quadrature du Net a annoncé qu’elle allait déposer un recours au Conseil d’État contre ces trois décrets dans les prochaines semaines.

Selon nos informations, plusieurs syndicats et associations devraient également porter un recours contre les décrets, qui doit être fait dans les deux mois.

Parmi les éléments développés par la Quadrature : le fichage non seulement des personnes physiques, mais également celui des personnes morales et des groupements, ainsi que le fichage des victimes et des entourages : « Si une fiche est ouverte pour une manifestation, le Pasp et le Gipasp permettent aussi de lister les personnes « entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites » avec ce « groupement ».

Jusqu’à présent, les fiches du Pasp et du Gipasp ne pouvaient lister l’entourage des « personnes dangereuses » que de façon succincte, sur la fiche principale de la personne dangereuse.

Désormais, si la police le juge nécessaire, chaque membre de l’entourage pourra avoir une fiche presque aussi complète que celle des personnes dangereuses (activités en ligne, lieux fréquentés, mode de vie, photo…). »

La Quadrature note également que le gouvernement n’a pas tenu compte de l’avis de la CNIL qui lui demandait d’« exclure explicitement la possibilité d’une collecte automatisée de ces données ».

L’association insiste aussi sur le lien entre Pasp, Gipasp et les autres fichiers de police. Comme le précise le rapport de 2018, l’accès à l’application Pasp se fait par le portail sécurisé CHEOPS qui donne accès, sous une même configuration, à différentes applications de la police.

Ce dernier « dispose d’une fonctionnalité originale, en cours d’enrichissement par des développements complémentaires. Il s’agit d’une gestion de liens pertinents entre individus du fichier qui aboutit à élaborer graphiquement des sociogrammes (leader d’un groupe, membres du groupe, antagonistes…) ».

Des fichiers deux-en-un

Un autre point pourrait faire tiquer le Conseil d’État, comme il a heurté la CNIL : le mélange entre fichier de sûreté de l’État et fichier d’ordre public. Les décrets ont en effet intégré cet objectif de sûreté de l’État à ces trois fichiers, leur donnant un caractère mixte.

Mais les fichiers de « sûreté de l’État » sont une catégorie particulière de fichiers : les droits d’accès ne se font pas directement auprès de la police mais passent par la CNIL. De même, le recours ne se fait pas au tribunal administratif mais auprès d’une formation spécialisée du Conseil d’État.

La CNIL avait demandé à l’Intérieur de clarifier la répartition des informations entre ce qui relève ou non de la sûreté de l’État. Elle souligne que pour les personnes fichées parce qu’elles ont été victimes ou parce qu’elles ont entretenu des relations avec les personnes suivies, « les modalités du traitement rendent en pratique l'exercice de leurs droits particulièrement ardu ».

Le décret n’a rien clarifié, mais le ministère a promis « d’initier une réflexion » pour permettre un recours effectif.

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