Grâce au numérique, tous auteurs ?

Grâce au numérique, tous auteurs ?

Et vous, et vous et vous ?

Avatar de l'auteur
Stéphanie Chaptal

Publié dans

Internet

24/11/2020 11 minutes
5

Grâce au numérique, tous auteurs ?

Si le numérique a changé la façon dont nous lisons et parlons de nos lectures, il a aussi facilité le passage à l’acte pour les écrivains en herbe. Quitte à se passer totalement ou ponctuellement des maisons d’édition traditionnelles.

Depuis ses tout premiers balbutiements grand public, le Web a été un espace de création, y compris pour les amateurs de mots. À l’époque, quand les gens ne créaient pas de sites Web ou de Skyblog dédiés à leur prose, ils passaient par des Livejournal ou des sites de publication de fanfiction.

Un terme défini selon Wikipedia, comme « un récit que certains fans écrivent pour prolonger, amender ou même totalement transformer un produit médiatique qu’ils affectionnent, qu’il s’agisse d’un roman, d’un manga, d’une série télévisée, d’un film, d’un jeu vidéo ou encore d’une célébrité ».

Certains noms, comme Marjorie Liu (romancière et scénariste de BD, dont Monstress) ou EL James (l’autrice de Cinquante nuances de Grey) ont débuté par les fanfictions avant de voler de leurs propres ailes.

Depuis, les outils dédiés à la publication personnelle se sont multipliés, des solutions d’impression à la demande et de numérisation se sont développées et certains distributeurs, dont le fameux Amazon et son programme dédié à l’auto-édition se sont engouffrés sur le marché. À juste titre ?

La liberté avant tout

Pour les auteurs ayant choisi la voie de l’auto-édition, le parcours peut être payant. Selon un sondage réalisé auprès d’auteurs autoédités européens par BookonDemand en 2019, 45 % d’entre eux sont satisfaits de leurs ventes. Si deux tiers des auteurs interrogés ne déclarent gagner que moins de 500 euros, 14 % des sondés gagnent plus de 5 000 euros avec leurs ventes et 4 % gagnent plus de 40 000 euros !

Comme en témoignent les données de l’Observatoire du dépôt légal, l’auto-édition ne cesse de gagner du terrain : en 2019, elle représente 5,8 % des dépôts et 29 % des déposants.

Avec sa plateforme Kindle Direct Publishing, Amazon a fait exploser le marché de l’auto-édition aux États-Unis, et dans le monde anglo-saxon, étant vite rejointe par son concurrent Kobo Writing Life. En France le marché reste plus fragmenté, en raison d’un grand nombre de plateformes où publier son livre ou prépublier ses écrits, mais également d’un certain prestige toujours accordé au « Papier » et au fait d’avoir une version physique à présenter

L’édition à compte d’auteur, qui fait supporter tous les frais à la charge de l’écrivain, garde toujours mauvaise presse, à l’exception des éditions L’Harmattan dans le domaine des arts et des sciences sociales, qui fêtent leurs 45 ans avec un modèle mixte : certains livres sont publiés à compte d’auteur, d’autres de façon plus traditionnelle à compte d’éditeur. Pourtant certains ont fait le choix de tout miser sur l’auto-édition.

Ainsi Christophe Martinolli, auteur indépendant et scénariste, nous confie :

« J’y suis allé vraiment pour la liberté. En tant qu’auteur pour la télévision on est soumis à des contraintes extraordinaires pour un budget et des cases extrêmement contraignantes. Techniquement c’est extrêmement simple et à la portée de tous. Je me suis rendu compte que la grosse différence entre l’auto-édition et l’édition : c’est que dans la première le lecteur fait office de comité éditorial. Il n’y a pas de filtre.

Après dans le numérique, on n’a pas de chiffres de l’auto-édition. Tout seul, j’ai fait plus de 5000 exemplaires en numérique tous titres confondus entre les plateformes Amazon, Kobo, Google et ma propre librairie en ligne, hébergée sur Prestashop. »

« L’auteur peut rééquilibrer les enjeux avec les éditeurs. »

En pratique, son processus de travail est très classique et ne diffère que peu d’un auteur classique. « L’écriture se fait sur Google Doc, ce qui me permet de partager mon fichier à des correcteurs et des relecteurs. Puis de l’exporter pour créer un fichier epub. Chaque plateforme a ses petites astuces. »

De fait, les outils consacrés aux auteurs se sont multipliés ces dernières années, dans le sillon des éditeurs de texte tendance minimaliste, basés sur Markdown, comme Dabble, Manuskript, Scrivener, Ulysses ou encore Werdsmith.

Livres de Christophe Martinolli

« Amazon aime bien le format .docx et Kobo comprend mieux les .odt, après il est possible de retravailler les epub avec Calibre pour qu’il soit compatible sur toutes les liseuses. Tout ce qui concerne la fabrication de la couverture, moi je délègue à une graphiste et un illustrateur. En fait je fais un boulot d’éditeur en prime en même temps » ajoute Martinolli qui voit d'autres facilités à l'auto-édition se reposant uniquement sur le numérique.

« Il n’y a pas de dépôt légal à faire, c’est automatisé avec les robots de la BNF ; en papier il faut envoyer un exemplaire à la BNF. Je suis passé par un site gratuit, Cyber Scribe qui te référence chez Dilicom pour que le libraire puisse commander des versions physiques des livres ». Surtout, il conserve tous ses droits dérivés.

« Par exemple, avec Après l’effondrement, j’ai été repéré par la filiale Audible d’Amazon, pour une adaptation en audio book de la série. Ils m’ont proposé 900 euros d’à-valoir et 10 % de droits d'auteur sur les prix de vente ensuite. Grâce à l’auto-édition, l’auteur peut rééquilibrer les enjeux avec les éditeurs ».

Libre, mais pas sans frais

Auteur de thriller, Arnaud Codeville a également choisi la voie de l’auto-édition pour se vendre depuis six ans, plutôt sur un coup de tête. « J’avais le projet d’écrire un roman à partir d’un scénario de jeu de rôle que j’avais créé. Comme j’avais la structure, ça allait être un peu plus simple ! Fallait juste que j’invente des personnages qui subissent plus ou moins l’histoire. À la base c’était un délire, vraiment, ce n’était pas vraiment pour être publié… Comme je suis graphiste de profession, je connais un peu les tenants et les aboutissants de la mise en page. Et du coup j’en ai fait imprimer une dizaine que j’ai offert à mes potes… Et voilà ! »

Face à leurs retours, il envisage de passer la vitesse supérieure : « Je me suis renseigné sur l’édition traditionnelle… Et je me suis aperçu que ça puait un peu l’arnaque ce milieu, quoi ! Du coup, j’ai découvert l’auto-édition. Au final, au lieu d'imprimer mes livres par 10, j’en ai imprimé 500. Et j’ai découvert Amazon et le KDP, c’est super simple à mettre en place. La première année, il me semble que j’en ai vendu 1 500 copies de La Tour de Sélénite. »

Arnaud Codeville

Sauf qu’être auteur autoédité quand on veut être lu implique certains frais. « Je me suis payé une correctrice. Dans l’auto-édition, on trouve des choses à gerber. Je suis désolé : quand tu prends un bouquin et qu’il y a une faute dans la 4e de couverture, ou même dans le titre… Malheureusement comme il n’y a pas de contrôle éditorial derrière… »

Mais cela peut aussi avoir son lot de bonnes surprises. Codeville se souvient :

« Deuxième roman, 1974 : je découvre par hasard qu’il y a un concours des Plumes Francophones (ndlr : concours interne à Amazon où les lecteurs choisissent les meilleurs livres auto-édités sur sa plateforme en français, le gagnant empoche 3000 euros et voit son livre proposé également en format audio) et je le gagne.

Du coup, j’en ai vendu 20 fois plus que La Tour ! Aux alentours de 20 000, 25 000 exemplaires… Et en broché, vendu tout seul sur des salons ou par correspondance, j’en ai fait 6 ou 7 impressions de 500 exemplaires. Là il y a des maisons d’édition qui sont venues me voir en me disant : “nous sommes intéressés pour publier pour le 2e roman. Est-ce que vous avez un 3e roman en cours ?”

Pour l’instant je n’ai pas envie, je n’ai pas confiance. »

En revanche, le troisième livre s’est relativement moins vendu à 6 ou 7 000 exemplaires « seulement ». Pourquoi ? Selon l’auteur, « au bout d’une journée, je me suis fait pirater. Et ça a été téléchargé des milliers de fois sur des plateformes numériques ». Cela ne le décourage pas pour autant, puisqu'il prépare un quatrième livre pour 2021.

Un modèle mixte pour plus de visibilité

D’autres écrivains, comme Axelle « Psychée » Bouet, préfèrent éviter l’auto-édition pure. Créatrice des Chants de Loss, un univers crossmedia associant jeu de rôle et romans, l’autrice estime que « y’a tellement de bonnes histoires qui sortent sur le Web, chez les éditeurs, en auto-édition, que je serai passée inaperçue ».

Pour elle, tout dépend aussi de l'accompagnement :

« Même si mon éditeur est tout petit, qu’il n’a pas de réseau de distribution, qu’il fait ça comme il peut et qu’il ne faut pas en attendre de miracle, il a l’avantage de soutenir ma démarche et de me laisser les coudées franches pour la prépublication sur internet, comme je veux. Avec un plus gros éditeur, il y aurait sûrement des contraintes, que je négocierai avec acharnement, parce que je peux me le permettre et que je n’aime pas qu’on m’impose ce qui ne me plait pas. Avec Stellamaris, mon éditeur, je fais limite ce que je veux ».

En revanche, elle a adopté un modèle mixte en prépubliant ses romans gratuitement chapitre après chapitre sur son site : « Cela crée une fanbase qui attend le prochain rendez-vous, réagit à chaque nouveau chapitre, se passionne, en discute, partage, etc. Côté satisfaction morale, il y a clairement un gros plus ».

Les Chants de Loss by Psychée Tipeee

Une approche communautaire qui ne suffit pas pour autant : « ça ne fait pas forcément non plus une base clientèle. Sur l’ensemble de mes lecteurs, disons qu’environ 10 % ont acheté mes romans et moins de 1 % participe à des plateformes de mécénat (chez moi, principalement Tipeee). Bref, la gratuité, elle ne se fait pas à titre gratuit : elle est un moyen de créer une grosse communication promotionnelle, à la condition d’y mettre les formes et d’arriver à employer des techniques pour attirer du monde ».

En auto-édition, l’auteur doit également devenir éditeur, attaché de presse et commercial de sa propre œuvre. Un travail à temps plein que tous n’ont pas forcément envie de faire ni le talent nécessaire.

Faire sa promotion en ligne

Imaginons ainsi que vous avez publié votre premier livre auto-édité. Comment vous faire connaître ? L’une des premières solutions passe par les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram ou même Mastodon sont d’excellentes plateformes pour cela, et pour promouvoir vos écrits.

Outre le fait d’avoir un compte à son nom de plume, les auteurs autoédités peuvent participer à des groupes de discussion dans leurs genres de prédilection et prendre contact directement avec des influenceurs à qui envoyer leurs écrits contre une chronique ou un post valorisant.

Certains mots-dièses sur ces différentes plateformes sont intéressants à suivre comme #bookstagram #autoedition #livrestragram #lecturedumoment ou #jeudiautoedition.

Avoir un site Web dédié et le mettre à jour régulièrement est également une bonne idée : il servira à centraliser les informations concernant l’auteur et l’œuvre, mais également pourra servir de plateforme complémentaire pour vendre en direct ses livres en numérique sans avoir à payer un pourcentage à une plateforme dédiée.

Il existe également des solutions pour disposer d’un véritable service de presse. Ou plus exactement pour mettre en contact les auteurs et les magazines, blogueurs ou libraires susceptibles de promouvoir leur livre. Si NetGalley s’adresse plutôt aux maisons d’édition, SimplementPro met directement en relation les auteurs et les blogueurs pour l’envoi de services de presse en numérique uniquement.

Écrit par Stéphanie Chaptal

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

La liberté avant tout

« L’auteur peut rééquilibrer les enjeux avec les éditeurs. »

Libre, mais pas sans frais

Un modèle mixte pour plus de visibilité

Faire sa promotion en ligne

next n'a pas de brief le week-end

Le Brief ne travaille pas le week-end.
C'est dur, mais c'est comme ça.
Allez donc dans une forêt lointaine,
Éloignez-vous de ce clavier pour une fois !

Fermer

Commentaires (5)


Attention avec Amazon et Audible (En anglais), les retours, jusqu’à un an après la vente, se feraient au frais de l’auteur …


(Remarque un peu hors sujet)
Il faut noter un problème spécifique à la France… C’est les prix assez exorbitant de la litérature !
Exemple d’il y a plus de trente ans (donc papier) livre technique US non disponible en français plus cher que le même bouquin trouvé en Allemagne (et avec une plus-value) traduit dans la langue de Goethe.
Aujourd’hui, la différence minime entre le prix d’une même œuvre en version papier et celle en version électronique est difficilement explicable d’autant que sur la somme payée très très peu arrive en retour à l’écrivain(e).
J’ai travaillé en URSS, il était possible de trouver des livres français trois fois moins cher qu’au Pays ! Les Russes de l’époque, même le moujik lambda (mais non alcoolisé) semblait mieux éduqué qu’un prof de littérature de notre Éducation Nationale… Peut-être pour deux raisons le Livre abordable à tous mais aussi pour cause de «pas grand chose à faire autre que bouquiner».


L’URSS ne respectait pas le copyright. Les auteurs traduit ne touchait donc pas un kopeck.
Aujourd’hui on appellerait ça du piratage.


Perso ce qui m’énerve, en tant qu’artiste, c’est que si tu veux vraiment vendre une oeuvre, quelle qu’elle soit, t’es obligé.e de faire la danse du ventre sur les réseaux sociaux (+éventuellement blog, site communautaire, etc…), ce qui te bouffe 99% de ton temps, et les résultats sont très souvent décevants, que ce soit en termes de notoriété (buzz, likes, partages) ou en termes de ventes ou de soutien financier (tipee ou autre).



Et ce que tu sois bon ou pas, intéressant ou pas, talentueux ou pas, j’ai pu constater nombre de fois que ta notoriété sur les réseaux n’a absolument rien à voir avec un supposé talent artistique, plutôt avec un talent de communicateur, de bateleur et d’animateur de foire. Ou avec un physique attirant.



Le problème, c’est que les labels, comme les maisons d’éditions, ont tendance à ne publier QUE les auteur.e.s (ou composit.rices.eurs) qui font un bon buzz… ou de la télé(-réalité), ou de la radio…
Avantage : du coup les frais de com’ sont très réduits, vu que t’as déjà créé un battage autour de ta personne, y’a plus qu’à ferrer le pigeon… Pigeon ? Pigeon ? Viens, petit, petit… voilà, c’est ça…



Je n’ai absolument aucun talent de ce genre, je suis donc condamné à errer dans les limbes de la création… :craint: :crever:


Petite pub pour David Revoy (connu dans ma sphère entre autres pour ses dessins pour framasoft) qui, après moultes péripéties, s’est mis à publier ses BDs à l’aide d’outils de création 100% logiciel libre, de son port USB de tablette à l’interface web de l’imprimeur, en documentant le tout.



Licence Creative commons + patreon, un modèle prometteur, et de plus en plus répandu, il me semble. Le souci c’est qu’il faut arriver à une masse critique de supporteurs. L’avantage, c’est que l’on n’est pas obligé de travailler à plein temps dès le début.



En l’occurence, ce n’est pas forcément un très bon animateur, et il ne met pas particulièrement son physique en avant, mais il a trouvé une communauté niche (logiciel libre) qui le soutient (traduction des œuvres et articles de blog, infrastructure et conseils techniques, développement d’outils dédiés…), et ça semble fonctionner :)