Y a-t-il une recrudescence de pannes dans le segment russe de la Station spatiale internationale (ISS) ? Pour certains observateurs, il semblerait que oui : vétusté, modules « à bout »… La Russie affirme que tout va bien, mais elle n’a pas forcément l’habitude de tout dire.
L'ISS est un immense patchwork de modules provenant de plusieurs pays. Cela tient au principe même de sa construction : « Tout a commencé le 25 janvier 1984, lorsque les États-Unis ont invité d’autres nations à participer à la construction d’une station spatiale habitée en permanence », explique l’Agence spatiale européenne (ESA).
« L’Europe, représentée par l’ESA, le Canada et le Japon ont répondu à cette invitation avec un grand enthousiasme et ont commencé à collaborer à la définition du projet ». En 1993, la Russie devient le cinquième partenaire. Américains et Russes l'ont depuis développé conjointement et sont les deux principaux contributeurs.
Segment russe vs américain : deux salles, deux ambiances
On retrouve cette bicéphalité dans la Station actuellement en orbite autour de nous. On parle en effet des segments orbitaux américain (USOS) et russe (ROS), respectivement exploités par la NASA et Roscosmos.
Le second, inspiré de la station spatiale Mir, est moins imposant que le premier qui abrite notamment le laboratoire de recherche Columbus développé par l’Europe. Des réparations ont régulièrement lieu un peu partout sur l'ISS (parfois avec des sorties dans l’espace, toujours impressionnantes), mais les pannes et autres petits soucis techniques s’enchainent ces derniers temps sur le segment russe, soulevant des inquiétudes…
D’autant que les Russes ont un certain passif.
Des pannes à répétitions… Les Russes se veulent rassurants
Il y a quelques jours « le système d’approvisionnement en oxygène Elektron-VM qui se trouve dans le module Zvezda, sur le segment russe de l’ISS, s’est éteint […] Un deuxième système, sur le segment américain, fonctionne normalement et rien ne menace la sécurité de l’équipage et de l’ISS », expliquait le service de presse de Roscosmos.
Des réparations ont depuis été faites. Mais une autre panne a « perturbé le fonctionnement des toilettes [pendant plusieurs heures, ndlr], et un aspirateur a senti le brûlé », détaille l’AFP reprenant des déclarations de l’agence de presse publique RIA Novosti, elle-même se basant sur des échanges entre les astronautes russes dans l’ISS et le Centre de contrôle des vols spatiaux russe (TsUP).
Une fuite d’air avait pour rappel été détectée en août : « Il a été établi que le problème se trouve dans le module de service Zvezda, qui contient des matériels scientifiques », ont confirmé les Russes. Elle a été réparée « temporairement avec les moyens disponibles », affirmait Roscosmos le 19 octobre, sans donner plus de détails.
Depuis, le centre de contrôle et le chef russe d’équipage de l’ISS « travaillent à un programme d’opérations visant à sceller de façon permanente l’emplacement des fuites », là encore sans information supplémentaire. Roscosmos se veut rassurante dans un communiqué transmis à l’AFP : « Les défaillances survenues à bord de l’ISS dans la nuit du 19 au 20 octobre ont été entièrement réparées de manière opérationnelle par l’équipage […] Tous les systèmes de la station fonctionnent normalement, rien ne menace la sécurité de l’équipage et du vol de l’ISS ».

La « communication » aléatoire de la Russie sur les incidents
Un des problèmes avec la Russie dans ce genre de situation est le manque de communication officielle claire et précise, sauf à se faire prendre en flagrant délit, ou presque. Dans le cas de l’explosion d‘un lanceur Soyouz en route vers l’ISS (heureusement sans perte humaine), il était par exemple difficile de faire l’autruche.
Mais ce n’est pas toujours aussi simple. On se souvient à ce sujet du lancement de la mission ExoMars de l’ESA avec l’explosion du dernier étage du lanceur Proton juste après avoir largué sa charge utile. Cet incident était sans gravité pour le reste de la mission, mais « les Russes se sont bien gardés de nous le dire », lâchait Francis Rocard, responsable du programme d'exploration du système solaire au CNES, durant une conférence de presse.
Une autre obscure affaire s’est déroulée en 2019, suite à une fuite sur un vaisseau Soyouz en 2018. Plusieurs hypothèses avaient été soulevées par les Russes, y compris celles d‘un sabotage. Lors de l’annonce de la fin de l’enquête, Dmitri Rogozine (patron de l’agence spatiale russe) déclarait, comme le rapporte Le Parisien : « Ce qui est arrivé est clair pour nous, mais nous ne vous dirons rien […] Il doit y avoir des secrets entre nous ».
La NASA confirmait et regrettait cette situation : « Ils ne m'ont rien dit […] Il n'est clairement pas acceptable qu'il y ait des trous dans la Station spatiale internationale », lâchait ainsi Jim Bridenstine, administrateur de la NASA. Ambiance… Pour ajouter une touche symbolique, le commandement de la Station spatiale internationale vient de passer de l’Américain Christopher Cassidy au Russe Sergueï Ryjikov, avec un échange de clé.
Bonjour 🔑
— Rêves d'Espace (@RevesdEspace) October 21, 2020
Hier soir, changement de commandement à l' #ISS.
Chris Cassidy a remis à Sergey Ryzhikov la clé symbolique de la Station Spatiale internationale.
📷 @roscosmos pic.twitter.com/o70tyGlhNv
« Tous les modules du segment russe sont à bout »
Mais dans cet imbroglio, le pire vient certainement de la déclaration d’un Russe – Guennadi Padalka (62 ans) – une légende locale qui a été dans Mir et l’ISS, et qui compte plus de 800 jours dans l’espace à son actif : « Tous les modules du segment russe sont à bout », affirme-t-il sans détour à l'agence RIA Novosti, repris par l’AFP.
Il précise que les équipements sont vieux de 20 ans et qu’ils ont donc déjà dépassé de cinq ans leur durée de vie. De son côté, l’AFP rappelle que « le secteur spatial russe a traversé une série de scandales de corruption, de détournements de fonds, mais il est aussi miné par les coupes budgétaires ». Pas de quoi arranger la situation…
D’autant que la Russie vient de perdre un monopole dont elle disposait depuis longtemps, n'étant plus seule à envoyer des humains dans l’espace. SpaceX fait de même avec Crew Dragon et Boeing se prépare avec Starliner.
Pour rappel, la construction de l’ISS a débuté en novembre 1998 « à l'occasion de la mise sur orbite du module de contrôle russe ZARYA, pierre inaugurale de la station », explique le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation. Elle est occupée en permanence depuis novembre 2000.
La question de son avenir a souvent été soulevée, mais sa mise à mort n’est pas actée pour le moment. Le tourisme spatial – aussi bien par les États-Unis que la Russie – pourrait être une source de revenus importante.