Les GAFA épinglées par un rapport parlementaire américain, aux solutions radicales

Chirurgie au marteau-piqueur
Internet 20 min
Les GAFA épinglées par un rapport parlementaire américain, aux solutions radicales
Crédits : mjbs/iStock

La Chambre des représentants a livré mardi un rapport conséquent sur les activités de Google, Amazon, Facebook et Apple. Les plateformes américaines y sont épinglées à de nombreuses reprises pour pratiques anticoncurrentielles. Les auteurs suggèrent des mesures musclées, dont le démantèlement.

« En juin 2019, le Comité judiciaire initiait une enquête bipartisane sur l’état de la concurrence en ligne, dirigée par le Sous-Comité à la loi Antitrust, Commerciale et Administrative. Dans le cadre de cet examen exhaustif du marché, le Sous-Comité a examiné la domination d’Amazon, Apple, Facebook et Google, ainsi que leurs pratiques afin de déterminer comment leur puissance affecte notre économie et notre démocratie. De plus, le Sous-Comité a réalisé un examen des actuelles lois antitrust, règles de concurrence et leurs niveaux de mise en vigueur pour jauger de leur adéquation à répondre à la puissance du marché et à la conduite anticoncurrentielle dans les marchés numériques ». C’est ainsi que les treize députés chargés de l’enquête ouvrent leur rapport.

Épais de 469 pages, il conclut seize mois d’enquête, qui ont notamment vu la collecte de près de 1 287 997 documents, « des milliers d’heures » d’enregistrement, les auditions de 7 personnes, outre les 38 témoins, 38 participations d’un ensemble de 60 experts antitrust « de l’ensemble du spectre politique », ainsi que des entretiens avec 240 personnes directement concernées, participant aux places de marché, anciens employés ou autres.

Parmi les sept auditions, Jeff Bezos, Tim Cook, Sundar Pichai et Mark Zuckerberg, patrons d’Amazon, Apple, Google et Facebook. Leurs réponses aux questions du Sous-Comité sont présentées comme « évasives », quand il y en a. Le rapport suggère qu’ils « pourraient se croire hors de portée de supervision démocratique ».

Il comporte deux grandes parties, une pour les constats faits durant l’enquête, l’autre pour les solutions suggérées. C’est surtout ce dernier qui a attiré l’attention, car les remèdes proposés sont radicaux.

Les GAFA, tous différents, tous pareils

Le rapport des députés relève qu’en dépit des différences inhérentes à ces entreprises, elles ont d’abord en commun un statut de gardien de la porte vers une place de marché. Elles en contrôlent les accès, choisissent « les gagnants et les perdants » et imposent des « frais exorbitants ». Ce, même si les députés reconnaissent que ces boutiques ont toutes rapporté beaucoup d’argent aux personnes morales ou physiques qui en ont profité.

Deuxièmement, chaque GAFA se sert de cette position « pour maintenir sa puissance sur le marché ». Comment ? « En contrôlant l’infrastructure de l’ère numérique, elles ont surveillé les autres entreprises pour identifier les rivaux potentiels, et les ont en fin de compte rachetés, copiés ou amputés de leur menace concurrentielle ».

Plus globalement ils sont accusés d'avoir « abusé de leur rôle d’intermédiaires pour encore étendre leur domination » via de multiples techniques : préférence pour leurs propres produits, facturation prédatrice ou encore règles d’exclusion. Les députés pointent de petites startups – les fameux « gus dans un garage » – devenues « les types de monopoles que nous avons vus pour la dernière fois à l’ère des barons du pétrole et des chemins de fer ».

À ceci près que les GAFA tiennent à la fois les places de marché tout en y participant, « une position qui leur permet d’édicter des règles pour les autres, pendant qu’elles jouent avec d’autres ». Pour les députés, il n’y a en fait pas de différence aujourd’hui entre les cas présentés dans le rapport et les monopoles d’hier cassés par le Congrès, qu’il s’agisse des grands magnats du pétrole et des chemins de fer, ou de Microsoft. La situation serait d’autant plus urgente selon eux que les agences antitrust ont « échoué, à plusieurs moments-clé ».

Mais si les quatre entreprises visées par l’enquête ont de nombreuses similitudes dans les dangers qu’elles représentent, selon les députés, elles ont aussi leurs spécificités. Bien que les données avancées par le rapport soient spécifiques aux États-Unis, l’influence des GAFA est partout conséquente.

Amazon : un problème global, une position écrasante

Les conclusions du Sous-Comité au sujet d’Amazon sont sans appel : l’entreprise domine complètement le marché en ligne américain. À elle seule, elle représente environ la moitié de l’activité de ce secteur.

Un chiffre estimé sur la base de plusieurs études. Les chiffres grimpent encore dans certains secteurs, jusqu’aux e-books où Amazon écraserait la concurrence avec 80 % de parts de marché. L’entreprise représenterait également 60 à 70 % des ventes faites sur les places de marché.

Cette puissance est utilisée, toujours selon le rapport, pour briser les contrats avec les vendeurs et fabricants. La pression exercée serait telle que la plupart d'entre eux ne peuvent se tourner vers d’autres places de marché, quand bien même Amazon ferait grimper continuellement ses tarifs. Les négociations seraient en particulier touchées, et les éventuels concurrents suffisamment verrouillés pour qu’ils ne puissent plus faire autrement que de rester.

Sur les 2,3 millions de vendeurs, plus d’un tiers ne se servirait que d’Amazon. En d’autres termes, pour ces entreprises, celle de Jeff Bezos est leur vitrine. Un sentiment marqué de ne pas pouvoir faire autrement est apparu durant l’enquête, notamment car les structures concernées estiment que les clients sont là, pas ailleurs.

Mais c'est aussi une marque, qui doit se vendre, notamment à travers ses produits Amazon Basics. Le problème gagne donc en ampleur, car la société dispose des données de l’ensemble de sa place de marché. Une source précieuse d’informations pour proposer des produits entrant en compétition directe avec les autres vendeurs.

Ces moyens de pression ont également servi à faciliter des dizaines de rachats d’entreprises, selon les députés. Des rachats ayant entrainé un appauvrissement de la concurrence, donc des choix proposés aux consommateurs, et toujours une récupération importante de données liées aux achats. Dans au moins un cas, les députés affirment qu’Amazon a sciemment utilisé des techniques prédatrices pour affaiblir un concurrent en vue de le racheter.

Parmi les limites imposées aux vendeurs et soulignées par le rapport, on trouve l’interdiction pour eux de contacter directement les clients. Le packaging des colis et même l’email de confirmation après achat ne mentionnent pas le vendeur. « Un client Amazon typique ne sait pas qui est la source de la vente », pointent les députés.

L’influence de l’abonnement Prime est également mentionnée, puisque les abonnés ont de fortes chances de concentrer leurs achats sur la plateforme. Ainsi, un membre Prime dépenserait en moyenne 1 400 dollars par an sur Amazon, contre 600 pour un client simple. « Les membres Prime continueront d’utiliser Amazon et ne basculeront pas sur des plateformes concurrentes, en dépit de prix plus élevés et de produits de moindre qualité comparés à d’autres places de marché, et malgré les hausses récentes du prix de l’abonnement », note un vendeur. Le constat s’applique, comme toujours dans le rapport, aux États-Unis.

Dans l’ensemble, Amazon ferait tout ce qui est en son pouvoir pour rendre un départ de sa plateforme trop coûteux pour que l’immense majorité des vendeurs puisse se le permettre. La firme userait d’avantages injustes – y compris l’évasion fiscale – pour rendre captives les structures faisant appel à ses services. Sans intervention juridique, la puissance d’Amazon « est durable et ne s’érodera probablement pas à court terme ».

Apple : Epic et Spotify ont de quoi se frotter les mains

Le problème de la plus grosse capitalisation boursière du monde est différent. Le rapport souligne qu'Apple ne dispose pas, de fait, de monopole. Sa part de marché est d’environ 45 % aux États-Unis, et d’environ 20 % dans le reste du monde. Le Sous-Comité évoque un duopole formé par Apple et Google.

Mais si Apple ne contrôle pas le marché du téléphone, il exerce un pouvoir de type monopolistique sur les applications, pointe l’enquête. L’entreprise décide de ce qui peut donc être fait ou pas avec ses smartphones, puisqu’un iPhone ne saurait se résumer aux seules fonctions intégrées. Les clients attendent de leur appareil qu’il leur ouvre les portes du vaste marché des applications tierces.

Apple exerce un rôle absolu de portier sur l’App Store, duquel elle tire « des profits supranormaux ». Précisément ce que lui reproche Epic, engagé dans une vaste guerre juridique et de communication avec la pomme. En ligne de mire, la fameuse commission de 30 % notamment. Et plus l’App Store s’étend, plus les profits générés augmentent, tout comme la part qu’ils représentent dans le chiffre d’affaires de la firme.

Autre gros point de grogne dénoncé par Epic, IAP, pour « in-app system payment ». Les éditeurs tiers sont obligés de passer par le système, sous peine d’être éjectés de l’App Store. Précisément ce qui s’est passé pour Fortnite, une situation provoquée par le studio. Parmi les auditions réalisées par le Sous-Comité, celles de ProtonMail et de Hey, qui vont dans le même sens. Pas étonnant, puisque ces entreprises et d’autres (Tile, Blix, Blockchain, Basecamp, Deezer, Match, News Media Europe…) ont rejoint Epic pour fonder la « Coalition for App Fairness ».

L’IAP ne représente pas qu’un problème de présence : il augmente les frais pour les éditeurs. Et puisque certains services se retrouvent directement en concurrence avec les propres produits d’Apple, la différence est jugée anticoncurrentielle. Spotify n’aurait pas pu rêver de meilleur avis sur la question, puisque c’était précisément l’objet de sa propre plainte. Apple a beau avoir introduit la règle des 15 % à partir de la deuxième année, reste une première année complète sur laquelle Apple ponctionne ses 30 %.

Tel que la firme l’expliquait initialement, ces 30 % devaient couvrir les frais d’hébergement et surtout de distribution. Il est vrai que pour des applications pesant plusieurs centaines de Mo, voire plusieurs Go (Fortnite pèse plus de 2 Go), ces frais peuvent rapidement devenir importants.

Certes les développeurs concernés n’ont de fait pas à se préoccuper de ces questions. Mais dans le cas d’un Spotify pesant au maximum 140 Mo, l’intérêt est dans le flux musical, qu’Apple ne prend pas en charge. Le rapport est d’autant plus intéressant qu’il a déniché un document interne montrant que la direction, y compris Steve Jobs, savait « que l’exigence d’IAP amoindrirait la concurrence et limiterait le nombre d’applications disponibles ».

Parmi les autres problèmes mentionnés, citons-en deux. D’une part, les API. Ces interfaces de programmation contiennent les fonctions que les développeurs peuvent utiliser. Elles relient les applications aux fonctions du système et au matériel. Le rapport mentionne cependant qu’Apple s’est gardée sous le coude des API « cachées » lui octroyant des avantages spécifiques pour ses propres produits.

D’autre part, les applications par défaut. Cette situation vient en fait d’évoluer avec iOS 14, qui permet de choisir un navigateur et un client email tiers par défaut, plutôt que les sempiternels Safari et Mail. Même si la fonction a été curieusement affectée d’un bug réinitialisant les préférences après un simple redémarrage de l’appareil, elle tient maintenant ses promesses. Les éditeurs tiers ont très rapidement mis à jour les applications concernées, et on peut par exemple sélectionner Firefox et Outlook, ou Opera et Gmail.

Facebook : un énorme chapitre sur les rachats d’entreprises

Les deux problèmes principaux de Facebook tiennent dans son nombre d’utilisateurs et sa politique de rachats. Le réseau social, toutes applications confondues, touche pratiquement trois milliards de personnes sur la planète.

Un poids entrainant une inertie telle que les utilisateurs ne peuvent se risquer d’aller voir ailleurs, de peur de ne pas avoir tous leurs contacts sous la main. Le problème est connu et est directement lié à la politique de rachats de l’entreprise. Facebook et Messenger n’atteindraient pas de pareils scores sans le rachat d'Instagram et WhatsApp.

Le succès de la première est énorme et ne se dément pas avec le temps, car elle a notamment su reprendre les Stories de Snapchat et à se frayer une part conséquente chez les jeunes, là où justement Facebook est en perte de vitesse. Quant à WhatsApp, c’est actuellement la messagerie instantanée la plus utilisée, en dépit d’une évolution très lente qui la place loin derrière certains concurrents en matière de fonctionnalités, comme Telegram.

Actuellement, Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp sont quatre des sept applications les plus utilisées aux États-Unis. À elle seule, l’application Facebook rassemble 200 millions d’Américains et est installée sur 74 % des smartphones du pays. Cette situation entraine un risque conséquent pour la concurrence.

Le rapport, peu tendre avec l’entreprise, s’en prend également aux organes fédéraux de régulation antitrust. Les rachats d’Instagram et de WhatsApp n’ont pas été bloqués alors qu’ils contreviennent, selon les auteurs, directement aux lois. « Si vous possédez deux réseaux sociaux, ils ne devraient pas être autorisés à se consolider l’un l’autre. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas illégal. Vous pouvez comploter en rachetant des concurrents et en interdisant la concurrence », souligne ainsi un ancien employé.

Il y aurait collusion entre les plateformes, avec « un monopole interne ». Facebook ne s’en cache pas, au contraire, comme le montre son projet visant à faire communiquer Messenger, Instagram et WhatsApp, sur la base d’un modèle commun. Ce dernier expose d’ailleurs des craintes liées au chiffrement de bout en bout, dont WhatsApp se sert pour l’ensemble de ses communications (protocole Signal).

Et comment Facebook s’est-il hissé à cette position ? « En acquérant, copiant ou tuant » tous les concurrents qui se présentaient. La seule vraie concurrence que rencontre aujourd’hui le réseau social vient de ses propres autres services. « En l'absence de concurrence, la qualité de Facebook s'est détériorée, résultant en une protection de la vie privée de moins bon niveau et une hausse spectaculaire de la désinformation sur la plateforme »

On retrouve également des points communs avec Amazon, en ce que Facebook rachète des entreprises pouvant renforcer son contrôle sur les données. Par exemple, le service VPN Onavo qui aurait, selon le rapport, permis à Facebook d’engranger de précieuses données non publiques sur ce qu’utilisent d’autres entreprises.

Ces informations permettraient à leur tour un ciblage plus précis des sociétés à racheter, avant qu’elles ne deviennent réellement concurrentes ou pour compléter le flux de données. De la même manière qu’Apple et Google forment un duopole dans les smartphones, les auteurs évoquent un duopole sur la publicité, formé par Facebook et Google. Même en mettant ce dernier de côté et sa position de leader dans ce domaine, Facebook apparaît comme inévitable, tant ses services permettent d’atteindre une vaste population mondiale.

Google : recherche, publicité, rachat, Android, plus rien ne va

Concernant Google, le rapport tire tous azimuts. Mais il faut dire que la firme est présente un peu partout, et toujours en position de force. Ses trois grands domaines d’expertise sont la recherche, Android et la publicité.

Au cœur de l’ensemble ? Les données, vitales dans le domaine de la publicité, laquelle compte pour plus de 80 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. Sur la recherche tout d’abord, les députés notent un changement complet de paradigme. On ne parle plus d’un moteur indexant simplement ce qui existe et le référençant, mais d’un moteur de recommandations. Une situation largement accentuée par le fait que Google n’est plus à considérer comme un répertoire neutre, mais un outil pour lequel il faut se battre pour bénéficier d’une bonne position – autrement dit, la première page – sous peine d’être considéré comme inexistant.

Selon le rapport, Google représente plus de 80 % des recherches aux États-Unis, la part grimpant à 92 % dans le reste du monde. Aujourd’hui, on ne dit plus d’ailleurs « cherche sur le web », mais « demande à Google ». Une présence si écrasante que beaucoup passent par le moteur de recherche pour accéder à un site, le processus étant plus rapide que de taper l’adresse. Même constat pour les recherches de contenu sur un site spécifique, Google fournissant souvent de meilleurs résultats que les moteurs internes.

Cette même position de monopole permettrait à Google, selon plusieurs témoignages, d’exiger de ses clients Google Ads qu’ils payent afin que les internautes puissent être atteints s’ils les cherchent. Les tarifs gonfleraient à l’envi, sans réelle marge de négociation puisque la firme ne souffre pratiquement d’aucune concurrence.

Le problème n’a fait que s’accentuer avec les développeurs logiciels de la firme. Selon un témoin, Google contrôle un vaste pan de l’écosystème publicitaire, via celui de « portions significatives dans les navigateurs web, système d’exploitation et plateformes sur lesquelles ces publicités sont fournies ».

Comme avec Amazon, il y a également un problème de rachats. Trois en particulier ont largement participé à faire de Google l’empire de la publicité qu’il est aujourd’hui : DoubleClick en 2007, AdMob en 2010 et AdMeld en 2011. Le premier surtout fut déterminant, car il permettait à Google d’entrer dans la publicité graphique.

Des documents internes ont montré que la firme préparait son entrée dans ce secteur en 2006, l’estimant alors à 4,3 milliards par an. La Federal Trade Commission (FTC), explorant les termes du rachat, a jugé que le domaine était si concurrentiel que la non-entrée de Google, combinée à son rachat de DoubleClick, ne changeraient pas la donne.

Le rachat d’AdMob, au contraire, a fait craindre à la FTC un risque concret. Cependant, la Commission semblait être certaine à l’époque que les propres préparatifs d’Apple dans ce domaine viendraient contrebalancer la jonction de deux ténors de la publicité mobile. Les efforts d’Apple n’ayant jamais pris, l’activité fut abandonnée en 2016, sans laisser le concurrent espéré par la FTC. Autre point d’inquiétude, la fusion des lots de données.

C’est particulièrement le cas avec le rachat de DoubleClick. En 2007, lors du rachat, Google avait promis à la FTC que les deux lots de données resteraient séparés, pour que les informations de DoubleClick ne puissent pas recouper l’énorme quantité de données déjà cumulée par Google à travers ses services. En 2016, la promesse est rompue.

Interrogé lors d’une audition pendant l’enquête sur ce revirement, Sundar Pichai a répondu que le contexte avait changé : les outils de contrôle de la vie privée étaient beaucoup plus performants, permettant de contrebalancer la fusion des données. L’une des députés a cependant une autre explication. Parmi les documents recueillis, l’un mentionnait que la direction de DoubleClick connaissait les craintes de Google sur le terrain de la vie privée si la fusion intervenait dès le rachat. La réaction du public aurait été très négative.

Son avis ? Tout simplement qu’après neuf ans, Google avait estimé que le temps avait suffisamment passé, sentiment renforcé entre temps par une puissance devenue bien plus importante sur le marché de la publicité. Le Sous-Comité espère aujourd’hui que ces informations serviront les autorités dans leur examen du rachat de FitBit.

Android est également visé, mais comme vecteur du moteur de recherche. Les enquêteurs notent bien que le système est gratuit et qu’il est même possible de se passer complètement de Google, via AOSP. Mais l’accès au bouquet de services Google, avec des produits aussi utilisés que Gmail et YouTube, était conditionné à l’acceptation d’un traitement préférentiel de Google Search. Précisément ce qui avait entrainé la condamnation de Google par les régulateurs européens en 2018, pour 4,3 milliards d’euros.

Même situation avec les fournisseurs d’accès. Selon le rapport, des documents internes montreraient clairement que Google savait quels effets seraient engendrés par ces nouveaux termes.

Démanteler, légiférer, promouvoir, interdire, renforcer

À ce stade bien sûr, les solutions proposées sont avant tout des recommandations. Il s’agit d’un rapport d’enquête, qui ne préfigure en rien l’attitude générale du Congrès. Même s’il s’agit d’un (rare) processus bipartisan, les mesures à adopter diffèreront largement selon les sensibilités des deux chambres. Le Sénat ayant le dernier mot et étant républicain, il ne saurait prendre pour argent comptant un rapport émis par une Chambre démocrate.

Les suggestions sont radicales, à commencer par l’outil législatif le plus à même de changer rapidement la situation : le démantèlement. Pour le Sous-Comité, toutes ces entreprises nécessiteraient de voir une ou plusieurs activités séparées de l’entité principale. En clair, découper ces énormes usines en plusieurs plus petites.

Dans le cas d’Amazon par exemple, séparer la place de marché de ses propres produits. L’entité « place de marché » devrait alors négocier le même contrat avec l’entité « produits » qu’avec les autres constructeurs. Autre exemple flagrant, imposer à Facebook la séparation avec Instagram et WhatsApp, dont les rachats n’auraient jamais dû être autorisés. Même chose pour Google avec YouTube.

Les députés suggèrent également de créer de nouvelles lois pour combattre la discrimination des produits au sein des plateformes, que ce soit en impactant les tiers ou en favorisant ses propres produits. Rien n’interdit actuellement qu’une entreprise affiche ses préférences pour ses produits sur sa propre place de marché. Détail « amusant », le rapport évoque l’ancien Open Internet Order en référence, la série de règles pro-neutralité du net votée par la FTC en 2015, et supprimée trois ans plus tard.

Autre suggestion, promouvoir l’innovation par l’interopérabilité et les accès ouverts, au besoin par la loi. Les enquêteurs ont bien noté qu’une grande partie de la puissance des plateformes vient de la captivité des données, entrainant la peur de tout perdre en changeant de crèmerie. Si elles deviennent librement accessibles, les consommateurs retrouvent leur « liberté » et les entreprises doivent se battre sur le seul terrain des fonctions.

Vient ensuite une piste plus musclée sur le terrain des rachats. Actuellement, toute acquisition d’entreprise est considérée comme sans danger jusqu’à ce que les autorités compétentes prouvent le contraire. Ce que souhaite le Sous-Comité ? L’inverse, tout du moins pour les grandes plateformes. Toute opération de rachat serait considérée comme anticoncurrentielle – donc interdite – à moins que les deux entreprises puissent prouver le contraire. Le paysage technologique s’en trouverait profondément modifié.

Enfin, les auteurs recommandent de muscler la législation antitrust. Dans son état actuel, elle serait trop faible pour inquiéter véritablement les grandes plateformes. Ils évoquent une érosion continue depuis le début des années 1980, rongées petit à petit par des décisions de justice.

Et non seulement les lois doivent être renforcées, mais il faut une révision complète des budgets des agences concernées, actuellement sous-alimentées, donc incapables de remplir correctement leur mission.

Une efficacité qui dépendra de l’élection présidentielle de novembre

Si les constats réalisés par les enquêteurs semblent faire consensus, les mesures à adopter font débat entre les démocrates et républicains. Ken Buck notamment, député républicain et membre du Sous-Comité dont est issu le rapport, ne remet pas en cause les problèmes mis à jour par les enquêteurs.

Selon lui, il est évident que la réponse ne peut venir que du Congrès : « Des sociétés comme Apple, Amazon, Google et Facebook ont agi de manière anticoncurrentielle ». Mais il préfère les frappes chirurgicales et prendre le temps de la réflexion. Certaines recommandations lui paraissent trop dures. Un avis partagé par d’autres républicains.

Une grande partie de ce qui se jouera ensuite dépendra du résultat de l’élection présidentielle le mois prochain. Qu’il s’agisse de Donald Trump ou Joe Biden toutefois, le même agacement se fait sentir sur la question de la « Big Tech », même si les raisons en diffèrent largement.

On peut donc tabler sur une suite, mais son contenu dépendra de la composition du Congrès, donc de celui qui remportera la course à la Maison-Blanche. Les démantèlements apparaissent pour l’instant les moins probables, car ils ne se produisent qu’aux termes de longues et coûteuses batailles devant les tribunaux. Ce qui fait dire d’ailleurs à l’ancien directeur général de Microsoft, Steve Ballmer, que cela ne se produira pas.

Reste que le rapport en lui-même est une condamnation sans précédent de l’attitude des GAFA. Les nuages s’amoncèlent, et il est très probable qu’Epic ait attendu précisément ce contexte pour déclarer sa guerre à Apple. Dans le sillage des résultats de l’enquête, d’autres plaintes pourraient tomber et des langues se délier.

La simple existence de ces conclusions devrait modifier le comportement des grandes plateformes, sans remettre en cause les problèmes soulignés.

Toutes les entreprises ont répondu par communiqué de presse ou billet de blog.

« La présomption que le succès ne peut être que le résultat d’un comportement anticoncurrentiel est tout simplement fausse », assène ainsi Amazon. Et d’évoquer les erreurs de logique des enquêteurs, en dépit « d’évidence accablante du contraire », qui mèneraient des millions de vendeurs indépendants hors de la boutique, et les consommateurs à moins de choix et des prix plus élevés. Une menace d’apocalypse donc.

Chez Google, on joue la carte de la date et de l’amour des Américains pour les produits de la firme : « Nous sommes en désaccord avec le rapport, qui contient des allégations dépassées et inexactes de commerciaux rivaux au sujet de Search et d’autres services. Les Américains ne veulent tout simplement pas que le Congrès brise les produits Google ou nuise aux services gratuits qu’ils utilisent tous les jours ».

Côté Facebook, on ne voit pas le mal : l’entreprise est « une success-story américaine », et les acquisitions font partie intégrante de n’importe quelle industrie. Mieux : « Instagram et WhatsApp ont atteint de nouveaux sommets parce que Facebook y a investi des milliards ».

Quant à Apple, la firme reste fidèle à son style lapidaire : « Notre société n’a de position dominante dans aucune des catégories dans lesquelles nous sommes présents ».

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !