Le sujet pourrait paraître désuet, et même presque amusant à l’heure où les smartphones rivalisent de puissance et de larges capacités de stockage. Et pourtant, les « features phones » ou téléphones basiques existent toujours. Et font même l’objet d’une foire d’empoigne au sein de la Commission copie privée.
Pour comprendre le psychodrame, il faut revenir sur le dernier barème de redevance en vigueur depuis le 1er octobre 2018. Tous les téléphones « permettant d’écouter des phonogrammes ou de visionner des vidéogrammes » sont soumis à un tarif actualisé.
La ponction culturelle que prélève Copie France pour les sociétés de gestion collective est destinée à compenser la possibilité de réaliser des copies d’œuvres sans autorisation préalable. Ces tarifs sont déterminés suite à des études d’usages effectuées auprès d’un panel de consommateurs.
Ils sont questionnés sur leurs habitudes de copies au regard des contenus culturels, nombre et types d’œuvres compris. Des résultats amalgamés, synthétisés et cuisinés surgit ensuite un barème de perception s’appliquant à l’ensemble des produits concernés sur le marché français. Cette méthode a été suivie pour l’ensemble des supports de stockage, dont les téléphones mobiles.
Avec un hic toutefois : le nouveau tarif relatif aux téléphones a oublié la problématique des appareils ultras basiques. Dans le précédent barème, issu d’une décision de 2012, la redevance était calculée en euro par gigaoctet. Jusqu’à une capacité de 8 Go, elle était alors de 0,7 €/Go. Un téléphone disposant de 128 Mo de stockage générait donc l’obligation de payer une redevance de 0,09 euro.
Un forfait de 4 euros, un tarif qui explose
Le nouveau barème, en vigueur depuis octobre 2018, est toujours calculé par tranches, mais la redevance est désormais forfaitisée. Jusqu’à 8 Go, son montant est de 4 euros, que le téléphone dispose de 8 Go ou de 128 Mo de stockage. Ainsi, pour 8 Go, l’ancien montant était de 5,6 euros contre 4 euros désormais.
Pour des modèles disposant d’un micro stockage de 128 Mo, le tarif est donc aussi à 4 euros contre 0,09 euro. Une multiplication par plus de 40. Une gifle pour le marché des téléphones basiques, vendus à très bas prix et où le poids de la redevance est proportionnellement beaucoup plus lourd. Le tout sur un segment de produits visant des porte-monnaie parfois très modestes.
Le 23 juin dernier, en Commission Copie privée, un représentant de Copie France a tenté de relativiser, considérant que « le marché des feature phones est extrêmement faible ». Selon les données en sa possession, « en 2019, un peu plus de 50 000 téléphones d’une capacité inférieure à 1 Go ont été déclarés à Copie France sur un total déclaré d’environ 17 millions de téléphones ».
200 000 euros sur 273 millions d'euros
Peu importe la situation des consommateurs désargentés : 200 000 euros (50 000 x 4 euros) n’est qu’une goutte d’eau pour des sociétés de gestion collective ayant prélevé 260 millions d’euros en 2019. Un « micro-marché » qui agace malgré tout les industries du secteur, conscientes des contraintes économiques. Pas étonnant que le sujet revienne régulièrement autour de la table.
Dans un document diffusé en Commission copie privée, le SECIMAVI a relevé que « Compte tenu du poids moyen des fichiers, les capacités de copies de fichiers sur ces téléphones sont très limitées, voire impossibles ».
Relevant que les fichiers personnels comme les photos viennent « réduire le peu de mémoire disponible », le Syndicat des Entreprises de Commerce International de Matériel Audio, Vidéo et Informatique estime « justifié d’adapter, voire supprimer totalement, les barèmes sur ces produits ».
Le membre de Copie France s’est pour sa part dit « très étonné que les industriels donnent une telle importance [à] la question de ces téléphones ». Remarque fusillée par la représentante de la Fédération Française des Télécoms : « il ne s’agit pas d’une question de taille de marché, mais d’une question de juste compensation du préjudice , tel que cela est prévu par le code de la propriété intellectuelle ». Et celle-ci de ne pas comprendre cette multiplication par 40 pour les téléphones d’ultra entrée de gamme.
Vers un nouveau barème pour les téléphones d'entrée de gamme
Toujours en juin dernier, Copie France a indiqué « que les ayants droit sont prêts à faire un compromis et à réitérer leur proposition de faire des tranches un peu plus précises en deçà de 8 Go ». Selon nos informations, ce nouveau barème pour ces premiers modèles a été proposé mi-septembre.
En guise de « compromis », les téléphones d’entrée de gamme seraient ainsi assujettis :
- Jusqu’à 128 Mo : 1 euro
- Entre 128 Mo et 512 Mo : 2 euros
- Entre 512 Mo et 2 Go : 3 euros
Barème qui doit fait l’objet d’un vote spécifique au sein d’une commission où les ayants droit sont en force. Il est donc visiblement hors de question pour Copie France de faire sortir ces modèles du champ de la redevance alors que la directive sur le droit d’auteur, en son considérant 35, prévient que « certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement ».