Comme promis en janvier dernier l’association Regards Citoyens a déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’enjeu ? Obtenir les relevés bancaires des députés pour gérer leur indemnité représentative de frais de mandat (ou IRFM) de décembre 2016 à avril 2017.
À l’été 2019, l’organisation en charge de « Nos Députés » avait subi un échec devant le Conseil d’État. Alors que celle-ci souhaitait obtenir copie des relevés bancaires de l’ensemble des parlementaires pour la période de décembre 2016 à avril 2017, la haute juridiction administrative a estimé que l'indemnité, « destinée à couvrir des dépenses liées à l'exercice du mandat de député » est « indissociable » de leurs fonctions.
Or ces fonctions « se rattachent à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement ». Face au bouclier de la souverainté nationale, impossible du coup d’évoquer la loi CADA pour rendre transparent « l’usage de cet argent public », et notamment pour « rétablir la confiance des citoyens dans la bonne utilisation des moyens publics mis à la disposition des élus pour leurs mandats ».
D'ailleurs, seuls 10 députés avaient répondu favorablement à ses demandes de communication, mais pas les 564 autres. Une atteinte « au droit de savoir » dénonçait encore l’association.
Une logique de transparence
Après un long périple, sa demande fut tour à tour rejetée par la CADA, par le tribunal administratif de Paris et repoussée enfin par le Conseil d’État qui a d’ailleurs refusé de transmettre sa question prioritaire de constitutionnalité.
Après trois ans de recours et de ballotage, Regards Citoyens a donc décidé de déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. « Alors que l’ensemble des administrations françaises sont tenues de justifier leurs dépenses, notamment devant les parlementaires, ceux-ci ne rendaient compte à personne de leurs dépenses professionnelles ».
Elle souhaite encore et toujours « pousser le Parlement vers une logique de transparence démocratique avantageuse pour tous ». La publication du relevé détaillé des dépenses « permettrait à la fois d’illustrer de manière concrète et détaillée la légitimité de la très grande majorité d’entre elles, de repérer les abus grâce au regard des citoyens, journalistes ou autres lanceurs d’alertes, et ainsi de limiter le nombre d’opérations de contrôle par les institutions » (notre actualité).
Une possible atteinte à la liberté d'expression
Sa requête a été enregistrée à la CEDH. Elle en appelle à l’article 10 de la Convention qui consacre le droit à la liberté d'expression, lequel comprend celui « de recevoir ou de communiquer des informations ». Elle rappelle que selon ce texte, des restrictions peuvent être imposées, au droit de recevoir des informations d'intérêt général, à condition d’être prévues par la loi, d’être proportionnelles et nécessaires dans une société démocratique.
Regards Citoyens considère que la France a manqué à ces trois étages. D’un, le Conseil d’État « ne s'est fondé sur aucune restriction prévue par la loi pour refuser la communication des documents ». De deux, la juridiction « n’a pas opéré de test de proportionnalité, puisqu'elle n'a pas mis en balance les intérêts en présence : le statut des parlementaires d'une part, et la liberté d'information caractérisée par le droit d'accès à ces documents d'autre part ». De trois, « l’accès aux documents ici demandés est incontestablement nécessaire à la pleine information des citoyens ».
Elle juge encore et toujours essentiel « que les parlementaires se montrent exemplaires en matière de transparence ». Alors que les scandales médiatiques s’empilent au fil des ans, autour de ces stratégiques frais de mandat, elle regrette que « la politique financière du Parlement [soit] toujours aussi opaque ».
Une longue route avant un éventuel arrêt
La requête a été enregistrée par le greffe de la CEDH (le document). C’est une première étape, mais loin d’être la dernière avant un possible arrêt. Comme nous le précise le juriste Nicolas Hervieux, la cour va poursuivre son examen pour déterminer si elle passe en phase 2, la phase contradictoire où elle pourrait prendre une décision de communication de cette requête au gouvernement français.
Tant que cette décision de débat contradictoire n’est pas prise, il persiste un risque majeur de rejet (funeste sort qui frappe une large majorité des dossiers). La cour a en effet la possibilité de déclarer irrecevables les procédures qui ne lui sembleraient pas manifestement bien fondées.