Saisie par des éditeurs néerlandais, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de trancher : la revente d’ebooks d’occasion est synonyme de nouvelle « communication au public », dès lors soumise à autorisation des ayants droit.
La traditionnelle règle de « l’épuisement des droits » ne s’applique donc pas pour les livres numériques. Tout du moins pour ceux ayant été téléchargés, « pour un usage permanent ».
Aujourd’hui, quand vous revendez un livre traditionnel à un ami, sur Leboncoin ou dans un vide-grenier, il n’est pas nécessaire d’avoir préalablement obtenu le feu vert de l’éditeur, ou même de l’auteur. Et pour cause : « l’épuisement des droits » permet à l’acquéreur d’une œuvre protégée de la revendre librement. La principale condition est que l’œuvre ait été acquise licitement.
C’est sur la base de cette règle que la société Tom Kabinet, implantée aux Pays-Bas, pensait pouvoir revendre licitement des livres numériques (achetés bien souvent auprès de particuliers) depuis 2014, à un tarif bien entendu moindre qu’en « première main ». L’effacement du fichier source était exigé lors du rachat, avant qu’un « filigrane numérique » ne soit posé sur la copie revendue à titre définitif.
Sans surprise, les éditeurs n’ont guère apprécié ces pratiques, qui ont rapidement été trainées devant les juridictions néerlandaises. Ces dernières ont toutefois saisi la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles, afin de savoir si les ayants droit pouvaient s’opposer à ces reventes d’occasion, sur le fondement de la directive sur le droit d’auteur.
La règle de l’épuisement réservée aux « objets tangibles »
Toute la question était de savoir si l’on pouvait reconnaître ici la règle de l’épuisement des droits. Non, a clairement répondu la CJUE. Les magistrats ont « notamment déduit du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, à l’origine de cette directive, ainsi que des travaux préparatoires de cette dernière, que le législateur de l’Union avait eu l’intention de réserver cette règle d’épuisement à la distribution d’objets tangibles, tels que des livres sur support matériel ».
Pas question donc d’en faire profiter les ebooks. « Les copies numériques dématérialisées, à l’inverse des livres sur un support matériel, ne se détériorent pas avec l’usage, de sorte que les copies d’occasion constituent des substituts parfaits des copies neuves. En outre, les échanges de telles copies ne nécessitent ni effort ni coût additionnels, de sorte qu’un marché parallèle de l’occasion risquerait d’affecter l’intérêt des titulaires à obtenir une rémunération appropriée pour leurs œuvres de manière beaucoup plus significative que le marché d’occasion d’objets tangibles », soulignent au passage les juges.
Comme le préconisait l’avocat général, la cour a considéré que les pratiques de Tom Kabinet s’assimilaient à une nouvelle « communication au public » des ebooks en question, dès lors soumise à l’autorisation préalable des ayants droit (ce qui passe bien souvent par une compensation financière).
Cette lecture devra néanmoins être vérifiée par les juridictions néerlandaises, à qui l’affaire va être renvoyée, précise l’arrêt de la CJUE. Ce dernier donne malgré tout une grille de lecture qui ne laisse guère de place au doute :
« Dès lors que la mise à disposition d’un livre électronique est en général, ainsi que l’ont relevé [les éditeurs à l'origine de la procédure, nldr], accompagnée d’une licence d’utilisation autorisant seulement la lecture, par l’utilisateur ayant téléchargé le livre électronique concerné, de celui‑ci à partir de son propre équipement, il y a lieu de considérer qu’une communication telle que celle effectuée par Tom Kabinet est faite à un public n’ayant pas été déjà pris en compte par les titulaires du droit d’auteur et, partant, à un public nouveau, au sens de la jurisprudence ».
Autant dire que cet arrêt risque de porter un coup d’arrêt – c'est le cas de le dire – à la filière, déjà bien balbutiante, des livres numériques d’occasion.