Le projet de loi « anti-gaspillage » entend obliger les marketplaces (de type Amazon ou Cdiscount) à reprendre de nombreux biens usagés : ordinateurs, électroménager, jouets, habits, vélos, etc. Cette reprise devra se faire au « point de livraison », donc potentiellement à domicile, en cas de vente d’un produit neuf. Le tout sans frais pour le client.
Sur la base du principe « pollueur-payeur », le gouvernement s’apprête à étendre le régime dit de « responsabilité élargie des producteurs » (REP). À ce jour, les commerçants sont à ce titre tenus de reprendre gratuitement les équipements électriques et électroniques de leurs clients, dans la limite de la quantité de produits neufs vendus.
C’est ce qu’on appelle la reprise « un pour un » – et qui prévaut y compris en cas de vente en ligne. Si vous achetez un nouveau frigo, le vendeur doit vous reprendre l’ancien, sans frais.
Seul hic, les cybermarchands sont accusés de ne pas suffisamment respecter leurs obligations, créant ainsi une distorsion de concurrence au détriment des boutiques traditionnelles.
Des marketplaces appelées à assumer les obligations des vendeurs
En 2018, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a ainsi observé, au fil d’une enquête, que 65 % des e-commerçants ne respectaient pas leurs obligations de reprise « un pour un », « avec comme principale anomalie l’absence de reprise pour 45 % des sites contrôlés, la facturation de la reprise « un pour un » ou encore des conditions de reprise dissuasives ou l’impossibilité de reprise en cas de retrait dans un point relais ».
Plus de huit sites sur dix n’informeraient même pas leurs clients quant aux modalités de reprise gratuite des déchets électriques et électroniques.
Dans l’étude d’impact annexée au projet de loi « relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire », le gouvernement pointe clairement du doigt « la croissance du commerce électronique, et notamment de la part des places de marché dans les ventes à distance ». Et pour cause : « Ces plateformes n’ont pas d’obligations de contrôle vis-à-vis des producteurs qui utilisent leurs services d’intermédiation. »
Dans le collimateur de l’exécutif, les nombreux sites de type Amazon, Cdiscount ou Darty, sur lesquels les internautes retrouvent aussi bien de produits vendus par ces enseignes que d’autres relevant de vendeurs tiers.
Le projet de loi présenté la semaine dernière par Brune Poirson, la secrétaire d’État en charge de la Transition écologique, prévoit ainsi de « responsabiliser » les plateformes. Dès lors qu’un intermédiaire facilitera, « par l'utilisation d'une interface électronique telle qu'une place de marché, une plateforme, un portail ou un dispositif similaire », il deviendra expressément tenu « de pourvoir (...) à la gestion des déchets » relevant du principe de responsabilité élargie du producteur.
Autrement dit, les marketplaces devront assumer les obligations de reprise de leurs vendeurs, en cas de défaut de la part de ces derniers. Les sites comme La Redoute ou La Fnac pourront uniquement se défausser s’ils disposent d’ « éléments justifiant que le tiers a déjà rempli ces obligations ».
Une obligation de reprise, sans frais, élargie à de nouveaux produits
Le projet de loi « anti-gaspillage » introduit surtout une obligation de reprise de tous les produits soumis à la responsabilité élargie des producteurs. Le texte impose ainsi aux distributeurs de « reprend[re] sans frais, ou [de faire] reprendre sans frais pour [leur] compte, les produits usagés dont l’utilisateur final du produit se défait, dans la limite de la quantité et du type de produit vendu ou des produits qu’il remplace ».
Cette reprise « un pour un » prévaudra notamment pour :
- Les équipements électriques et électroniques, qu’ils soient destinés à être utilisés par des particuliers ou des professionnels (ordinateurs, téléphones, écrans, machines à laver, etc.)
- Les imprimés papiers, à l’exception des livres
- Les produits ou matériaux de construction (à compter du 1er janvier 2022)
- Les piles et accumulateurs
- Les médicaments
- Les meubles
- Les vêtements, chaussures et le linge de maison (destinés aux particuliers)
- Les jouets (à compter du 1er janvier 2021)
- Les « articles de bricolage et de jardin » (à compter du 1er janvier 2021)
- Les voitures, motos, quad et autres « véhicules à moteur à deux ou trois roues », de type trotinettes électriques (à compter du 1er janvier 2022)
- Les pneumatiques
- Les « huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles » (à compter du 1er janvier 2022)
- Les bateaux
- Les « articles de sport et de loisirs », de type vélos (à compter du 1er janvier 2021)
- Les mégots de cigarettes (à compter du 1er janvier 2021)
- Les « lingettes pré-imbibées pour usages corporels et domestiques » (à compter du 1er janvier 2024)
En cas de vente à distance, précise le projet de loi « anti-gaspillage », la reprise « sans frais » des produits usagés devra être « réalisée au point de livraison du produit vendu » (point relais, domicile, etc.). L’internaute devra en outre être « informé lors de sa commande des quantités de produits usagés qui peuvent être ainsi repris ».
Pour les magasins dépassant une certaine surface (aujourd’hui de 400 m²), le texte prévoit même une reprise sans obligation d’achat. N’importe qui pourra ainsi déposer ses produits usagés, qu’il soit client ou non.
L’exécutif espère ainsi que cette réforme simplifie grandement la vie des Français. « La reprise sans frais au point de livraison représente un gain significatif pour les particuliers », avance en ce sens l’étude d’impact du projet de loi « anti-gaspillage ». Celle-ci évoque en guise d’exemple les personnes dépourvues de véhicule, ou celles « ne disposant pas des capacités physiques leur permettant de rapporter leurs produits usagés en déchèterie ».
Le gouvernement s’attend surtout à ce que les flux de déchets soumis à un régime REP « diminuent », tant en déchèterie qu’au travers des ordures ménagères.
Une « décision courageuse », qui risque de faire grimacer les e-commerçants
Si cette réforme risque de s’avérer douloureuse pour certains e-commerçants, au regard des coûts de logistique liés à la récupération des produits usagés à domicile, le ministère de la Transition écologique rappelle que les distributeurs, eux, « n’auront pas de coûts supplémentaires à supporter » pour la reprise des pneus et des déchets d’équipements électriques et électroniques, étant donné qu’ils sont « déjà soumis à cette obligation de reprise ».
Les marketplaces pourront en outre « bénéficier de soutiens financiers de la part des régimes de responsabilité élargie des producteurs, ces opérations étant assimilables à des opérations de collecte de déchets couverts par la REP », souligne l’exécutif. Pour l’heure, ce serait entre 8 et 34 millions d’euros qui échapperaient chaque année au financement des filières REP, en partie au titre des contributions relevant des places de marché.
« Le gouvernement a pris une décision courageuse », salue l’avocat Émile Meunier, qui défend notamment l’association Halte à l’obsolescence programmée. « Sur le principe, c’est très bien ! » poursuit-il, joint par nos soins.
« Cette réforme risque néanmoins de prendre du temps à se mettre en place. Les plateformes ne vont pas manquer de soulever que ça va augmenter leurs prix de vente, parce que cette réforme va les obliger à toute la collecte des biens usagés. »
« Il faudra s'assurer pendant les débats parlementaires que des sanctions soient bien prévues », ajoute l’avocat. Autre bémol : le projet de loi prévoit qu’un décret autorise des dérogations à ces nouvelles obligations « lorsque des dispositifs permettant d’assurer un niveau de service équivalent sont prévus ». Des termes pour le moins vagues...
« J’espère que des députés ou sénateurs demanderont des précisions au gouvernement. Il ne faudrait pas que ces dispositions d’apparence anodine permettent de dénaturer la portée de cette réforme », met en garde Émile Meunier.