La cour administrative d’appel de Paris a rejeté la procédure lancée par Bercy à l’encontre de Google. Appliquant les critères de la convention fiscale passée entre la France et l’Irlande, elle estime que le géant n’a pu faire l’objet d’un redressement de plus d’un milliard d’euros sur cinq impôts.
L’administration fiscale avait opéré plusieurs contrôles, parfois très médiatisés, dans les tréfonds de Google portant sur les années 2010, 2011 et 2012. Elle avait déduit de son enquête que l’entité disposait en France d’un établissement stable, justifiant dès lors la compétence du droit fiscal français et des prélèvements afférents.
Le 12 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris, suivant les conclusions du rapporteur public, déchargeait cependant Google. L’entreprise faisait donc annuler un redressement de plus d’un milliard d’euros au terme de cinq jugements concernant la retenue à la source, l’impôt sur les sociétés, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la TVA et la taxe professionnelle.
Le ministre de l’Action et des Comptes publics a néanmoins fait appel devant la cour de Paris, contestant ces décisions. Dans cinq arrêts, celle-ci vient de confirmer une nouvelle fois les positions de Google.
Le critère de l’établissement stable dans la convention franco-irlandaise
Pour comprendre ces décisions, il faut revenir un instant à la convention fiscale signée entre la France et l’Irlande en 1968. Un texte, signé à une époque où Google n’était envisagé que dans les romans de SF ou d’avant-garde, visant à lutter contre les doubles impositions. Un phénomène qui intervient dès lors que deux États s’estiment l’un et l’autre compétents pour taxer le même revenu.
Pour le départager, la convention retient à titre principal le critère dit de l’établissement stable, celui d’« une installation fixe d’affaires où une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Une entreprise agissant en France pour le compte d'une entreprise installée en Irlande « est considérée comme "établissement stable" dans le premier État si elle dispose dans cet État de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise ».
L’imposition a alors lieu dans l’État de « l’établissement stable ». Toute la question en appel a donc été de savoir si Google Ireland dispose bien en France d’un tel établissement, soit des infrastructures quelconques autres que celles affectées à Google France SARL.
La thèse de Bercy
Pour Bercy, cela ne fait pas de doute. Au titre de la taxe professionnelle, par exemple, Google Ireland Limited exercerait une activité en France en vendant des espaces publicitaires à des clients Français via AdWords.
Deux formules leur sont proposées: « OSO » pour Online Sales Organization et « DSO », acronyme de Direct Sales Organization. La première permet à chacun d’« élaborer eux-mêmes, en ligne, leurs campagnes publicitaires ». La seconde assure au surplus un service d’assistance par les salariés de Google France. Pour les services fiscaux, le principe même du « DSO » est le témoignage éclatant d’une activité professionnelle à titre habituel justifiant le prélèvement de la taxe professionnelle.
De même, la société dispose d’immobilisations affectées à cette activité, justifiant inévitablement un rattachement aux règles d’imposition locale. Sur quel fondement ? Simple : selon le Code général des impôts, la base d’imposition de la taxe professionnelle réside alors dans la valeur locative de ces immobilisations.
Google a contesté l’analyse. Le nez dans les contrats entre Google Inc et la SARL Google France, la cour d’appel va rejoindre le géant du Net.
Une réalité contestée par les contrats Google
D’après ces données contractuelles, Google France fournit à Google Ireland « tous les services, les conseils, les recommandations et l’assistance ». Ils précisent néanmoins que Google France n’a pas la possibilité d’engager l’antenne irlandaise. Surtout, la société irlandaise ne dispose pas d’immobilisation « autres que ceux dont disposait la SARL Google France pour les besoins de sa propre activité de prestataire de services ».
Les services de Gérald Darmanin avaient aussi flairé la présence d’infrastructures informatiques (des routeurs, des backbones, etc.), autant de signes d’immobilisations corporelles. Mais la cour d’appel a rejeté cette assimilation : « ces équipements, seulement destinés à améliorer la vitesse de connexion au réseau des utilisateurs français, ont un caractère auxiliaire aux centres de données et aux serveurs hébergeant le moteur de recherche Google, lesquels ne sont pas situés en France mais ailleurs dans le monde »,
La société Google Ireland Limited, « qui ne dispose pas d’immobilisations en France pour les besoins d’une activité professionnelle de vente de publicité, ne peut [donc] être assujettie à la cotisation minimale de taxe professionnelle ».
Une logique généralisée à l’ensemble des prélèvements
S’agissant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la conclusion a été identique, pour les mêmes raisons (défaut d’immobilisation à disposition de Google Ireland Limited, outre l’absence de salariés affectés à la vente de publicités).
Idem, pour la TVA ou la retenue à la source ou l’impôt sur les sociétés.
Dans ce dernier cas, les juges ont expliqué que Google Ireland n’a pas en France d’établissement stable, tout simplement parce que, si Google France SARL est bien en situation de dépendance de Google Ireland, elle ne dispose pas du pouvoir de l’engager « dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant les activités propres de cette société ».
Google Ireland Limited ne disposait pas davantage d’une « installation fixe d’affaires » constituée des locaux et le personnel de la SARL. Autant d'autres critères qui auraient, s’ils avaient été tous démontrés, justifié l’assujettissement français, selon la convention bilatérale.
Une convention âgée de plus de 50 ans, un projet de loi en cours
Les services fiscaux ont donc échoué à faire valider le redressement de Google, ce en raison d’une convention fiscale signée voilà plus de 50 ans avec l’Irlande. On ne sait à présent si Bercy entend porter le dossier devant le Conseil d’État, qui n’examinerait le cas échéant que l’application des règles de droit, non le fond.
Sur la question de la fiscalité du numérique, un projet de loi est actuellement en discussion au Sénat, après avoir été adopté par l’Assemblée nationale. Il vise à instaurer une taxe sur les recettes des entreprises du numérique ayant enregistrée au moins 25 millions d'euros taxables au titre des services fournis en France et 750 millions d'euros à l’échelle mondiale. Selon le gouvernement, « elle s’assimile à une taxe sur le chiffre d’affaires qui n’entre pas dans le champ d’application des conventions fiscales relatives à l’imposition des revenus ». Son rendement annuel espéré est de 3 ou 400 millions d'euros, pour toutes les entreprises concernées.