Après avoir dit et redit qu’elle envisageait de faire payer les automobilistes passés gratuitement aux péages libérés par des gilets jaunes, Vinci s’est finalement ravisée, après les critiques adressées par le porte-parole du gouvernement. De nombreux internautes s’interrogent néanmoins sur sa capacité juridique à pouvoir réclamer ces paiements.
Vinci avait fait savoir lundi qu’elle allait inviter les automobilistes passés librement aux péages à verser les sommes dues. « Notre choix n’est pas d’opter pour les procédures habituelles, réservées aux contrevenants qui forcent les péages, sanctionnées d’amendes et pénalités », nous avait-t-elle expliqué.
Un courrier allait être adressé aux titulaires de carte grise passés à l’as. « Nous sommes dans une démarche d’appel au civisme sur la preuve de la bonne foi. Si un automobiliste nous déclare un trajet de 15 km d’autoroute, nous appliquerons le tarif afférent ».
Ce choix fut fusillé hier matin par Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement : « j'invite les cadres dirigeants du groupe Vinci à aller sur les ronds-points. Il faut savoir entendre ce que les Français ont dit », expliquait-il sur FranceInfo, après avoir jugé cette décision « très incongrue ». « C'est ma conviction personnelle (...). Je considère que le comportement n'est, à mon avis, pas optimal ». Comme relevé par BFM, d’autres politiques avaient plus vivement réagi encore, tel Nicolas Dupont Aignan, évoquant une « rapacité sans limites ».
Finalement, hier, en fin d’après-midi, Vinci a décidé de lever la barrière. Dans un communiqué, l’exploitant annonce que « cette procédure, sans doute insuffisamment expliquée, donc mal comprise », a suscité « un grand nombre de réactions négatives ». Vinci Autoroutes a depuis « décidé de renoncer à son application et en appelle au civisme de chacun dans ces circonstances exceptionnelles ».
Le « bad buzz » aura donc eu raison de cet épisode. Le dossier est désormais clos, mais il pourrait ressurgir au fil de nouvelles manifestations aussi bien chez Vinci Autoroutes qu’auprès d'autres exploitants. Malgré ce changement de cap, des incompréhensions restent de mise, notamment s’agissant de leur capacité à relever les plaques d’immatriculation à l’aide des caméras installées aux péages. L’occasion de revenir plus en profondeur sur ces points.
Acquitter le prix du péage, une obligation
Le principe est inscrit à l’article R421-9 du Code de la route : « le fait, pour tout conducteur, de refuser d'acquitter le montant du péage ou de se soustraire d'une manière quelconque à ce paiement est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe ».
L'amende infligée par les agents assermentés n'est pas la seule voie d'accès. Le 529-6 du Code de la route ouvre une possibilité alternative, à savoir une transaction entre l'exploitant et le contrevenant.
Un débat porte sur cette notion de soustraction. On pourrait soutenir que ce critère n’est pas vérifié lorsque ce fait ne relève pas des automobilistes. Les barrières étaient ici levées et les systèmes de paiement rendus inaccessibles par les gilets jaunes. Ils n'ont donc pas pu payer.
Néanmoins, il existe d’autres moyens pour payer ces frais, notamment avec ce service en ligne, ouvert toutefois qu’à ceux ayant reçu un avis de paiement ou une constatation de non-paiement de péage.
Comme le relève Me Alexandre Archambault, les règlements d’exploitation imposent en outre à l’utilisateur qui ne peut pas payer de signer une reconnaissance de dette. Le texte ajoute d’ailleurs que « le péage reste dû quelles que soient les restrictions apportées à la circulation ».
En somme, lorsque le porte-parole du gouvernement trouve la réaction de Vinci pour le moins saugrenue, il invite la société à ignorer ces dispositions qui l'obligent à réclamer ce paiement.
Un problème perdure : comment Vinci peut déterminer le montant à payer lorsqu'elle ne peut déterminer le lieu d'entrée et/ou de sortie du véhicule ? Cette difficulté expliquerait pourquoi la société a tant insisté pour solliciter le civisme des conducteurs concernés.
Les exploitants, derrière les caméras
Une autre question se pose. Elle réside dans la possibilité pour les exploitants d’utiliser des caméras et se faire communiquer l’identité des titulaires de la carte grise.
La réponse est cette fois plus simple et se trouve à l’article 330-2 du Code de la route. Il habilite les sociétés d’autoroute à se voir communiquer ces données, « aux seules fins d'identifier les auteurs des contraventions au présent code qu'ils sont habilités à constater », toujours par l’intermédiaire de leurs agents assermentés.
Donc quand Benjamin Grivaux affirme à FranceInfo qu'il ne savait « pas quelle sera la position qui sera retenue in fine par le gouvernement » sur un éventuel accès à ce fichier, il ignorait visiblement l'existence de cette disposition.
De plus, dans le passé, plusieurs délibérations de la CNIL ont autorisé ces mêmes acteurs à installer des caméras aux péages afin de relever à la volée les numéros de plaque d’immatriculation. Par exemple, le 21 juillet 2016, la CNIL a autorisé la Société marseillaise du tunnel Prado Carenage à identifier « les véhicules en infraction sur place ou à distance, grâce aux images vidéo et aux photographies issues du dispositif de vidéosurveillance ».
« Ces caméras, détaille la délibération, sont situées au niveau des zones de paiement des gares de péage. Elles permettent, grâce au réglage de l'angle de vision, une prise de photographies de l'avant du véhicule et donc du numéro de plaque d'immatriculation ». Le même texte ajoute que le « système de reconnaissance automatique des numéros de plaques d’immatriculation est mis en place pour permettre le pré-remplissage des procès-verbaux ».
La société Autoroutes du Sud de la France (ASF) a obtenu le même document, la dernière fois en 2010. Comme Cofiroute, une société de Vinci en 2013.
Toutes ces entités peuvent alors « consulter le système d’immatriculation des véhicules » en relevant les données relatives au véhicule utilisé (« marque, modèle, couleur, numéro d’immatriculation »).
Une piste d’explication aux velléités de Vinci s’explique avant tout par les contrats de concessions signés avec l’État. Comme l’ajoute Me Archambault, ces documents « imposent aux exploitants une obligation de perception (puisque les subventions et redevances dues à l’État, qui reste propriétaire des infrastructures sont fonction des revenus), traduite dans les règlements d'exploitation ».
Quid du RGPD ?
Enfin, depuis le 25 mai, le règlement général sur la protection des données a mis à jour la législation sur les données personnelles. Le texte autorise-t-il néanmoins ces traitements ? Le fait n’a jamais été examiné devant un tribunal, mais il est assez simple d’anticiper la réponse.
L'article 6.1 du RGPD rend licite les traitements, non seulement consentis par la personne physique, mais également ceux nécessaires au respect d’une obligation légale. Enfin, sont également licites les systèmes « nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement ».