De 1795 à 2018, 220 ans d'évolution du Système international d'unités

Merci qui ? La physique quantique !
De 1795 à 2018, 220 ans d'évolution du Système international d'unités
Crédits : Laboratoire national de métrologie et d'essais

Le mètre vaut un mètre, ça parait évident, mais ce n'est pas si simple à définir. Il en est de même pour les autres unités (kilogramme, seconde...). Depuis plus de 220 ans, les définitions se sont succédé dans une quête perpétuelle de précision, avec une « révolution » votée en 2018. Pour bien la comprendre, il faut remonter au XVIIIe siècle.

Vendredi dernier, une réunion très importante s'est tenue à Versailles : la 26e Conférence générale des poids et mesures (CGPM). Les 60 états membres de la Convention du Mètre y ont voté – à l'unanimité – les nouvelles définitions du Système international d’unités (SI), basées sur des constantes et la physique quantique.

Un vote historique à Versailles : quatre unités modifiées

Ce vote est historique, car pour la première fois quatre unités ont été redéfinies en même temps : le kilogramme, la mole, l’ampère et le kelvin. Le cas du kilogramme est emblématique puisque sa définition n'avait pas changé depuis la première CGPM en 1889, il y a donc près de 130 ans.

Ce vote « marque également la fin de l’utilisation d’artefact matériel pour la définition d’unités » explique le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), l'organisme en charge de la certification volontaire ou réglementaire de produits. C'était encore le cas du prototype international du kilogramme précieusement gardé par le Bureau international des poids et mesures (BIPM) et valant par définition 1 kg. Le mètre a déjà abandonné son prototype depuis plusieurs dizaines d'années.

Prototype kilogramme et mètre
Prototype international du kilogramme et du mètre. Crédits : Bureau international des poids et mesures (BIPM)

L'enjeu est important puisqu'il s'agit en effet de « refonder le SI sur ce que la physique offre aujourd’hui de plus universel et de plus intangible : les constantes fondamentales, en particulier celles de la mécanique quantique – physique de l’infiniment petit –, où la régularité des phénomènes, de même que leur précision, offrent des références à nulle autre pareille », affirme le CNRS.

En plus de se débarrasser des artefacts matériels, le nouveau système permettra d'améliorer grandement la précision des mesures, parfois avec des conséquences inattendues.

Notre dossier sur la révolution du Système international d'unités :

Au XVIIIe siècle, une révolution peut en cacher une autre

Les débuts du Système international d'unités – alias « SI » – remontent à 1795 en France, seulement quelques années après la Révolution de 1789. Le 18 germinal an III (7 avril 1795), le système métrique décimal est instauré par la loi relative aux poids et mesures.

À cette époque, plus de sept cents unités de mesure différentes existaient en France (pieds, pouces, coudées, aunes, etc.). Problème, toutes les unités ne valaient pas forcément la même longueur en fonction des personnes et des régions de France (sans parler du reste du monde).

Le mètre est alors défini comme étant la « dix millionième partie de l'arc du méridien terrestre compris entre le pôle boréal et l'équateur ». Durant la fin des années 1790, Jean-Baptiste Delambre et Pierre Méchain ont mesuré (pendant sept ans) l'arc de méridien situé entre Dunkerque et Barcelone, pour en déduire la valeur du mètre.

Des étalons du mètre dans Paris, celui de place Vendôme toujours visible

Ce changement crucial devait donc amener de l'uniformité. Afin de permettre à tout le monde d'apprécier la longueur d'un mètre et se familiariser avec cette unité, 16 étalons avaient été déposés dans Paris. Aujourd'hui, celui sur la façade du ministère de la Justice Place Vendôme est toujours visible.

Metre place vendome
Crédits : Ordifana75 [GFDL ou CC BY-SA 3.0], Wikimedia Commons (licence: CC by SA 3.0)

Au passage, le litre est défini comme « la contenance d'un cube de la dixième partie du mètre ». Le gramme est également fixé en fonction du mètre : « le poids absolu d'un volume d'eau pure, égal au cube de la centième partie du mètre, et à la température de la glace fondante ». C'est également à cette époque que le système monétaire passait au franc. 

Pour le Bureau international des poids et mesure, « la création du Système métrique décimal au moment de la Révolution française et le dépôt qui en a résulté, le 22 juin 1799, de deux étalons en platine représentant le mètre et le kilogramme aux Archives de la République à Paris peuvent être considérés comme la première étape ayant conduit au Système international d'unités actuel ».

« En France, après quelques mesures contradictoires, la loi du 4 juillet 1837, sous le ministère de Guizot, permet l'adoption exclusive du système métrique décimal. Il aura fallu près d'un demi-siècle pour aboutir à l'adoption d'un système créé pourtant dans l'enthousiasme sous la Révolution », explique le LNE.

Convention du Mètre et création du Bureau international des poids et mesures

Avant de continuer à remonter l'histoire des unités, faisons un bon dans le temps jusqu'en 1860. Les adhésions au système métrique décimal se multiplient et un nombre conséquent de pays l'adoptent. « Néanmoins, ces pays sont dépendants de la France chaque fois qu'il s'agit d'obtenir des copies exactes des étalons du mètre et du kilogramme. Cette subordination à la France, ajoutée au manque d'uniformité dans l'établissement des copies, risque de compromettre l'unification souhaitée ».

Afin de proposer une collaboration internationale, la Convention du Mètre est signée par 17 pays le 20 mai 1875 : l'Allemagne, l'Argentine, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Brésil, le Danemark, l'Espagne, les États-Unis d'Amérique, la France, l'Italie, le Pérou, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège, la Suisse, la Turquie et le Venezuela. Pour la petite histoire, le Brésil ne l'avait pas ratifiée à l'époque.

Convention du metre

Cette convention a mis en place le Bureau international des poids et mesures (BIPM), une organisation intergouvernementale « permettant aux États membres d'avoir une action commune sur toutes les questions se rapportant aux unités de mesure ». Elle définit également le Comité international des poids et mesures (CIPM) et la Conférence des poids et mesure (CGPM). Aujourd'hui, le BIPM compte soixante États membres et 42 États associés.

Ce traité est toujours en vigueur, mais il a été légèrement modifié en 1921, notamment pour étendre les attributions et responsabilités du BIPM à d'autres domaines de la physique. Le CNRS rappelle qu'il s'agit du « plus ancien traité international aujourd’hui en vigueur ».

Le BIPM a son siège près de Paris, dans le parc de Saint-Cloud. « Son entretien est assuré à frais communs par les États membres de la Convention du Mètre » explique le Bureau. En 1875 également, le gouvernement français concède à titre gratuit le Pavillon de Breteuil et le terrain environnant pour le fonctionnement du BIPM.  La convention a été amendée en 1930 (avec l'extension du terrain concédé) puis en 1964 (pour clarifier des conditions d'utilisation par le BIPM).

Immunités et inviolabilité du BIPM

En 1969, un accord de siège est signé avec le gouvernement français, qui reconnait « des privilèges et immunités au BIPM, en particulier la personnalité juridique du BIPM, l'inviolabilité de ses locaux et la facilitation de l'entrée et du séjour sur le territoire français des personnes participant au travail du BIPM pendant la durée de leurs fonctions ou missions auprès de celui-ci, par exemple représentants des États membres auprès de la CGPM, membres du CIPM, membres du personnel ».

Dans les détails administratifs, le BIPM est sous la surveillance du Comité international des poids et mesures (CIPM), lui-même placé sous l'autorité de la Conférence générale des poids et mesures (CGPM). Elle se réunit tous les quatre ans en général. La dernière se déroulait justement la semaine dernière, du 13 au 16 novembre 2018. Toutes les décisions les plus importantes sont donc validées pendant ces réunions.

Du CGS au MKS(A) pour arriver au SI avec six unités, puis sept

Revenons en 1874 : la British Association for the Advancement of Science (BAAS, désormais BSA), avec l'aide de Maxwell et Thomson, introduit le CGS (Centimètre, Gramme et Seconde), un système d'unités tridimensionnel cohérent. « C'est en grande partie sur l'utilisation de ce système que se fonda, par la suite, le développement expérimental des sciences physiques » explique le BIPM (qui n'existait pas encore, vous suivez ?).

De deux unités (mètre et kilogramme), le système métrique que nous utilisons encore aujourd'hui passe à trois mesures avec l'ajout de la seconde en 1889. Il devint alors MKS (Mètre, Kilogramme et Seconde), à mettre en face du CGS. La seconde était alors définie comme valant 1/86 400e du jour solaire moyen.

En 1960, une deuxième définition est adoptée par la 11e CGPM, suite à une décision du Comité international des poids et mesures de 1956. Elle est certes plus précise, mais toujours pas basée sur des constantes : « La seconde est la fraction 1/31 556 925,9747 de l'année tropique pour 1900 janvier 0 à 12 heures de temps des éphémérides ». Il faudra ensuite attendre 1967 pour que la première révolution n'ait lieu : la seconde passait alors « officiellement de l'échelle astronomique à l'échelle quantique », mais nous y reviendrons.

Dans les années 50, de nouvelles unités sont ajoutées au Système international d'unités : l'ampère pour les courants électriques (1946), le degré kelvin pour la température thermodynamique (1954) et la candela (ou « bougie nouvelle ») pour l'intensité lumineuse (1954).

Notez que le Comité international des poids et mesure avait approuvé dès 1946 l'ajout de l'ampère, conduisant alors à un nouveau système MKSA (mètre, kilogramme, seconde et ampère). 

Voici leurs définitions à l'époque :

  • Intensité du courant électrique (ampère) : « intensité d'un courant constant qui, maintenu dans deux conducteurs parallèles, rectilignes, de longueur infinie, de section circulaire négligeable et placés à une distance de 1 mètre l'un de l'autre dans le vide, produirait entre ces conducteurs une force égale à 2 x 10-7 unité MKS de force [newton] par mètre de longueur ».
  • Température (kelvin) : « définir l'échelle thermodynamique au moyen du point triple de l'eau comme point fixe fondamental, en lui attribuant la température 273,16 degrés Kelvin, exactement ».
  • Luminosité (candela) : « la grandeur de la bougie nouvelle est telle que la brillance du radiateur intégral à la température de solidification du platine, soit de 60 bougies nouvelles par centimètre carré ».

En 1960, lors de la 11e CGPM, il a été décidé de changer de nom pour passer au Système international d'unités (SI au lieu d'un hypothétique MKSAKC), le rendant ainsi universel sans dépendre des noms et du nombre d'unités le composant. Bonne idée puisqu'une septième (et pour le moment dernière) unité fit son entrée dans le SI en 1971 : la mole, pour la quantité de matière.

Voici sa définition : 

  • Quantité de matière (mole) : « quantité de matière d'un système contenant autant d'entités élémentaires qu'il y a d'atomes dans 0,012 kilogramme de carbone 12 ». En 1980, le CIPM précise que dans cette définition de la mole, « il est entendu que l'on se réfère à des atomes de carbone 12 non liés, au repos et dans leur état fondamental ».

Durant la 14e CGPM, sont également fixés les (sous-)multiples des unités, de pico (10^-12) à téra (10^12). La commission rappelle aussi qu'il existe deux « unités supplémentaires » avec les radians et stéradian (pour un angle solide). Il y a également des dizaines d'unités dérivées, toutes exprimées en fonction des unités du SI : la superficie (m^2), le volume (m^3), la vitesse (m/s), l'accélération (m x s-^2), la force (kg x m x s^-2), le travail (kg x m^2 x s^-2), la résistance électrique (kg x m^2 x s^−3 x A^−2), etc.

SI unités
Crédits : Laboratoire national de métrologie et d'essais

De petits ajustements avant les grands bouleversements

Depuis plus de 100 ans, le BIPM n'a de cesse d'essayer d'améliorer la précision des unités, dont voici quelques exemples.

En 1901, la 3e CGPM déclare une nouvelle définition du litre pour les « déterminations de haute précision » : il s'agit du « volume occupé par la masse de 1 kilogramme d'eau pure, à son maximum de densité et sous la pression atmosphérique normale ».

La 7e CGPM apportait des précisions sur la manière de mesurer le mètre : « la distance, à 0°, des axes des deux traits médians tracés sur la barre de platine iridié déposée au Bureau international des poids et mesures, et déclarée Prototype du mètre par la Première Conférence générale des poids et mesures, cette règle étant soumise à la pression atmosphérique normale et supportée par deux rouleaux d'au moins un centimètre de diamètre, situés symétriquement dans un même plan horizontal et à la distance de 571 mm l'un de l'autre ».

En 1967, la 13e CGPM valide le changement de « degré kelvin » pour « kelvin » tout simplement car « l'unité de température thermodynamique et l'unité d'intervalle de température sont une même unité qui devrait être désignée par un nom unique et par un symbole unique ».

En même temps, la définition de la candela était modifiée pour plus de « clarté » : « l'intensité lumineuse, dans la direction perpendiculaire, d'une surface de 1/600 000 mètre carré d'un corps noir à la température de congélation du platine sous la pression de 101 325 newtons par mètre carré ».

Aux XXe et XXIe, toutes les unités passent aux constantes de la nature

La première révolution importante dans les unités de mesure remonte à 1967 lorsque la seconde est définie par rapport à une constante physique. En 1979, c'est au tour de la candela, puis enfin au mètre en 1983. Trois des quatre unités du SI ont donc sauté le pas au XXe siècle. En 2018, rebelote pour le kilogramme, l'ampère, le kelvin et la mole. C'est alors la première fois dans l'histoire que quatre unités sont redéfinies d'un coup.

Elles se basent désormais sur des constantes de la physique : la constante de Planck h pour le kilogramme, la charge élémentaire e pour l'ampère, la constante de Boltzmann pour le kelvin et enfin la constante (ou nombre) d'Avogadro pour la mole. Les sept unités du SI ont donc achevé leur transformation.

Pour arriver à ce résultat et graver dans le marbre la valeur des constantes associées (qui dépendaient auparavant des incertitudes de mesures), les chercheurs de plusieurs laboratoires à travers le monde ont travaillé pendant des dizaines d'années en multipliant les expériences. « Même si ces changements sont imperceptibles dans notre quotidien, ils ouvrent de nouvelles perspectives et accompagnent les progrès technologiques » se réjouit le Laboratoire national de métrologie et d'essais.

L'avenir peut maintenant nous réserver des surprises. Marc Himbert, du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), nous en donne un exemple : « le GPS aurait été quasi impossible à développer sans la redéfinition du mètre, en 1983. Mais celle-ci ne le préfigurait aucunement  ».

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