La commission de la culture du Sénat a adopté aujourd’hui une proposition de loi visant à limiter l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans. Les débats furent particulièrement houleux, en raison de l’opposition du gouvernement aux mesures soutenues par la Haute assemblée.
Retards dans l’acquisition du langage, troubles de l’attention, problèmes de sociabilité... La présidente de la commission de la culture du Sénat, Catherine Morin-Desailly, a égrainé ce matin les « risques avérés » auxquels sont exposés les enfants de moins de trois ans qui passent trop de temps devant la télévision, une tablette ou un smartphone.
En appui d’une proposition de loi déposée en septembre dernier devant le Palais du Luxembourg, l’élue regrettait que les enfants soient « exposés de plus en plus tôt et de plus en plus longtemps aux écrans », en raison notamment du cumul « télévision et outils numériques mobiles ».
Son idée ? Imposer des messages de prévention sur tous les emballages de tablettes, smartphones, ordinateurs... sur le modèle du « Fumer tue ».
Un message de prévention qui devra également figurer dans les publicités
Les débats de ce matin étaient particulièrement importants dans la mesure où ils relevaient d’une procédure dite de « législation en commission ». Cela signifie qu’aucun amendement ne pourra désormais être examiné en séance publique – où il n’y aura qu’un vote sur l’ensemble du texte voté aujourd’hui en commission.
Les sénateurs de la commission de la culture n’ont d’ailleurs adopté qu’un seul amendement, signé Catherine Morin-Desailly, réécrivant néanmoins l’intégralité de l’article unique de sa proposition de loi.
La mesure-phare reste maintenue en substance. Les « unités de conditionnement des outils et jeux numériques comportant un écran » devront contenir « un message avertissant des dangers des écrans pour le développement des enfants de moins de trois ans ».
La sénatrice a toutefois voulu élargir le périmètre de son texte, au motif qu’une fois l’emballage jeté, « le message disparaitra et sera oublié ». Catherine Morin-Desailly a ainsi proposé que « toute publicité pour des télévisions, smartphones, ordinateurs portables, tablettes et jeux numériques, quel que soit son support, » soit également « assortie d’un message à caractère sanitaire ».
Les modalités de mise en œuvre de ces deux réformes seront néanmoins précisées par décret : contenu exact du contenu du message de prévention, produits concernés, etc.
Le dernier changement concerne la campagne nationale de « sensibilisation aux bonnes pratiques en matière d'exposition des enfants aux écrans » qu’envisageait initialement Catherine Morin-Desailly. Cette dernière a finalement revu ce dispositif pour prévoir, en lieu et place, des « actions d’information et d’éducation institutionnelles sur l’utilisation des écrans ».
La différence ? Celles-ci seraient « assurées régulièrement », et non plus une fois par an, « en liaison avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel ».
Face à la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly a appelé ses collègues à prendre leurs responsabilités, afin d’apporter « des solutions concrètes pour résoudre ce qui est en train de devenir un vrai problème de santé publique ». Et ce notamment au nom du « principe de précaution ».
Pour le gouvernement, les études sont encore « trop partielles »
La secrétaire d’État auprès de la ministre de la Santé, Christelle Dubos, a toutefois fait part des vives réserves du gouvernement quant aux mesures proposées par Catherine Morin-Desailly. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’éluder les faits scientifiques lorsqu’on impose à des acteurs extérieurs un message de santé publique », a objecté l’intéressée.
Pour l’exécutif, « les données manquent quant à l’ampleur de l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans, et surtout quant aux effets d’une surexposition aux écrans des très jeunes enfants ». « À ce jour, a poursuivi Christelle Dubos, nous estimons que les études que vous mentionnez dans votre rapport ne constituent que des données encore trop partielles pour imposer un message sanitaire indiscutable. »
Le gouvernement a ainsi invité les sénateurs à attendre les conclusions d’une étude commandée en août 2018 au Haut conseil de la santé publique, l’institution ayant été chargée « de produire une analyse des risques pour l’enfant et son développement d’un usage des écrans, ainsi qu’une étude des effets pathologiques et addictifs des écrans ».
« Nous attendons que le HCSP fasse la synthèse des connaissances disponibles et propose des recommandations permettant notamment d’élaborer une nouvelle campagne de prévention nationale sur le sujet », a expliqué Christelle Dubos (sans préciser de calendrier).
Débats particulièrement tendus
Ces arguments ont toutefois passablement agacé les membres de la commission de la culture. « Ça fait des années que des pédiatres alertent sur ce problème », a par exemple rétorqué Laure Darcos (LR). « Attendre, toujours attendre, je ne suis pas du tout d’accord » s’est ensuite emportée Françoise Laborde (RDSE).
« Vous faites offense au travail des chercheurs » a même lancé Jacques Grosperrin (LR). La socialiste Sylvie Robert a quant à elle dénoncé l’incohérence du gouvernement, qui a récemment demandé au législateur d’encadrer plus strictement l’usage du téléphone à l’école, sans étude approfondie.
« On ne peut pas se satisfaire d’auto-régulation », a par ailleurs fait valoir André Gattolin. L’intéressé, qui avait porté la loi interdisant les publicités lors des émissions jeunesses du groupe France Télévisions, a annoncé que le groupe LREM soutiendrait la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly. « Le monde de la publicité est extrêmement influent. Il est essentiel de légiférer, sinon les choses n’avancent pas » s’est justifié l’élu.
David Assouline (PS) l’a rejoint, voyant dans la position du gouvernement l’« intervention probable d’un lobby industriel ».
Sans surprise, la proposition de loi « visant à lutter contre l'exposition précoce des enfants aux écrans » a été adoptée avec le soutien de tous les groupes politiques du Sénat. Sauf énorme surprise, elle sera entérinée en hémicycle le 20 novembre prochain. Le texte devra alors être soumis à l’Assemblée nationale, où LREM est majoritaire.
Catherine Morin-Desailly a ajouté que la question de la responsabilité des producteurs de contenus (plateformes vidéo, hébergeurs...) serait évoquée lors de l’examen du projet de loi sur l’audiovisuel.