Vote par Internet et machines à voter : le Sénat met la pression au gouvernement

L'amour à la machine
Droit 9 min
Vote par Internet et machines à voter : le Sénat met la pression au gouvernement

Alors que le ministère de l’Intérieur avait laissé entendre l’année dernière qu'il souhaitait interdire les machines à voter en France, un rapport présenté aujourd’hui au Sénat propose au contraire de lever les restrictions en vigueur. Sur la même longueur d'ondes, il est également préconisé de poursuivre les travaux concernant le vote par Internet.

Il y a quatre ans, alors que la Haute assemblée était encore à gauche, le rapport des sénateurs Alain Anziani (PS) et Antoine Lefèvre (UMP) appelait à « régler le sort des machines à voter ». Depuis 2008, un moratoire empêche en effet de nouvelles communes de s’équiper.

Et pour cause : différents incidents survenus lors des élections présidentielle et législatives de 2007 avaient inquiété les pouvoirs publics (écarts entre le nombre d’émargements et de votes notamment, temps d’attente parfois très long pour les utiliser, etc.).

« La donne a changé », clament toutefois Jacky Deromedi (LR) Yves Detraigne (Union centriste), rapporteurs d’une nouvelle mission d’information du Sénat sur le vote électronique. Les deux élus dénoncent les « effets pernicieux » du moratoire, qui rendrait les actuelles machines à voter « proches de l’obsolescence ».

Des machines qui « fonctionnent toujours sous Windows 95 »

Jacky Deromedi et Yves Detraigne rappellent tout d’abord que le recours aux machines à voter, autorisé par le législateur il y a près de cinquante ans, reste aujourd’hui « marginal ». Au 1er janvier 2018, « seules soixante-six communes en utilisent », peut-on ainsi lire dans leur rapport. Au total, cela concerne 1 421 bureaux de vote et 1,39 million d’électeurs (soit 3 % du corps électoral).

« Depuis 2003, seuls trois modèles de machines à voter ont été agréés », apprend-t-on également, « l’État ne souhaitant pas agréer de nouveaux modèles pendant le moratoire ».

Ce point inquiète particulièrement Jacky Deromedi et Yves Detraigne : « L’État n’ayant pas agréé de nouveaux modèles de machines à voter depuis plus de dix ans, les appareils utilisés sont proches de l’obsolescence. À titre d’exemple, ils fonctionnent toujours sous Windows 95, alors que ce logiciel n’est plus mis à jour depuis de nombreuses années ». Les villes utilisatrices sont pourtant présentées comme « totalement satisfaites » de leurs appareils.

Au fil de leur exposé, les rapporteurs citent l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), auditionnée par leurs soins, pour qui « le maintien à long terme du moratoire est sans doute la pire des solutions : les machines acquises avant 2008 continuent à être utilisées, sans jamais être mises à jour ».

Selon les deux sénateurs, « les industriels ont poursuivi leurs efforts de recherche et développement en fabriquant des machines à voter de nouvelle génération ». Sauf qu’en l’état actuel du droit, l'utilisation de ces appareils demeure interdit.

Contrairement aux sénateurs Anziani et Lefèbvre, Jacky Deromedi et Yves Detraigne en appellent de ce fait à « mettre un terme au moratoire de 2008 ». Ceci tant pour permettre à de nouvelles villes de s’équiper « sur la base du volontariat », que pour « sécuriser la situation des communes qui utilisent les machines à voter et agréer une nouvelle génération d’appareils ».

Des risques de piratage « potentiels », mais aucune « preuve matérielle »

Alors que les risques de fraude ont conduit le précédent gouvernement à renoncer au vote par Internet pour les dernières législatives (modalité de vote réservée aux Français de l’étranger), les rapporteurs retiennent qu’ « aucun acteur institutionnel ni aucun informaticien n’a pu démontrer le manque de fiabilité des résultats électoraux dans les communes qui utilisent des machines à voter ». « Seuls des risques potentiels ont été mis en avant, sans preuve matérielle », soulignent-ils.

On découvre au passage que les sénateurs ont demandé à l’ANSSI et au ministère de l’Intérieur d’organiser une simulation de piratage contre une machine à voter. En vain.

Jacky Deromedi et Yves Detraigne égrainent ensuite les nombreuses garanties présentées, selon eux, par les machines à voter. Celles-ci « fonctionnent en autonomie complète », expliquent-ils. « Elles ne sont pas reliées entre elles par un réseau (wifi ou bluetooth) et ne font pas appel à Internet, ce qui (...) permet de se prémunir contre toute cyberattaque, même si des risques perdurent au moment de la programmation de l’équipement. »

« De même, poursuit le rapport, des appareils comme les clefs USB ou les cartes mémoires ne peuvent pas être branchés aux machines à voter, qui ne possèdent pas de ports dédiés. »

L’intégrité des machines serait en outre « garantie par des règles de protection physique » (stockage au sein de locaux sécurisés). « De même, les opérations de programmation des machines à voter sont réalisées en présence des candidats à l’élection ou de leurs délégués. »

machine vote
Crédits : François et fier de l'être - Flickr (licence: CC by NC 2.5)

Les deux sénateurs concluent en affirmant que « les machines à voter n’ont subi aucun incident technique », et que les problèmes relevés par le rapport Anziani-Lefèbvre correspondent surtout à des « difficultés d’usage, avec des files d’attente parfois longues devant les machines à voter et des problèmes d’organisation des bureaux de vote ».

« Des tentatives de fraude sont toujours envisageables », admettent néanmoins Jacky Deromedi et Yves Detraigne. Ceux-ci soulignent toutefois que ces risques prévalent « quel que soit le mode de décompte des voix (bulletins papiers ou machines à voter) ».

« Le "risque zéro" n’existe pas », reconnaissent les sénateurs. À leurs yeux, il s’agit donc de « prévenir les tentatives de piratage en rehaussant, le cas échéant, les exigences de sécurité. Or, le moratoire de 2008 présente l’effet inverse : il empêche tout débat sur les moyens à mettre en œuvre pour moderniser les machines à voter et mieux lutter contre la fraude ».

Le manque de concertation du gouvernement pointé du doigt

Problème : une feuille de route du ministère de l’Intérieur annonçait l’année dernière « l’interdiction des machines à voter ». Une promesse qui a déjà suscité la grogne de certains élus, notamment ceux des territoires adeptes du vote électronique...

La Place Beauveau aurait depuis fait savoir à Jacky Deromedi et Yves Detraigne « qu’il ne s’agissait que d’une proposition ». Les rapporteurs déplorent malgré tout qu’aucune concertation sur le maintien (ou non) des machines à voter n’ait été engagée par l’exécutif, « malgré les nombreuses demandes des communes ».

Afin de relancer l’usage des machines à voter, les deux sénateurs proposent de mettre en place un groupe de travail tripartite (réunissant le ministère de l’Intérieur, l’ANSSI et les communes utilisatrices), lequel pourrait notamment « durcir les conditions d’agrément des nouvelles machines à voter ».

Une nouvelle fois à contre-pied du rapport Anziani-Lefèbvre, Jacky Deromedi et Yves Detraigne estiment qu’il faudrait inciter les communes utilisatrices à renouveler leur parc de machines à voter, « à l’aide d’une subvention de l’État ». Dans les années 2000, explique le rapport, l’État versait « une subvention forfaitaire de 400 euros par machine (sur un coût total estimé à 5 500 euros) ».

Cette subvention n’existant plus depuis la mise en place du moratoire de 2008, le Trésor public pourrait à nouveau être mis à contribution, imaginent les rapporteurs – sans toutefois s’avancer sur le moindre montant.

Pas de « risque zéro » non plus pour le vote par Internet

Autre sujet abordé par la mission d’information : le vote par Internet, qui est historiquement réservé aux Français de l’étranger (uniquement pour certains scrutins, dont les législatives).

Jacky Deromedi et Yves Detraigne rappellent à cet égard que ce dispositif « ne présente pas d’influence décisive sur le taux de participation des électeurs établis hors de France, qui dépend principalement de facteurs sociologiques (enjeux du scrutin, offre politique, etc.) ». Il s’agit néanmoins de quelque chose de pratique pour ces citoyens qui résident bien souvent très loin du consulat ou de l’ambassade la plus proche pour voter.

« Comme pour les machines à voter », « le "risque zéro" n’existe pas », expose le rapport. L’enjeu, selon les sénateurs, est donc de « sécuriser le dispositif pour réduire les craintes de cyberattaques ».

En 2017, le gouvernement avait d’ailleurs décidé de renoncer au vote par Internet pour les législatives. Emmanuel Macron a depuis promis que les pouvoirs publics travaillaient à ce qu’une « solution parfaitement sécurisée puisse être utilisée lors des prochaines élections consulaires de 2020 et que sur cette base, toutes les améliorations qui seraient indispensables puissent être conduites pour que lors des législatives de 2022, il n'y ait plus aucun débat ».

« Aujourd’hui, il est toutefois impossible d’assurer que le dispositif de vote par Internet sera bien opérationnel en 2020, tant les efforts à fournir sont nombreux à un an et demi du scrutin », écrivent Jacky Deromedi et Yves Detraigne, à l’aune notamment de leurs rencontres avec les représentants du ministère des Affaires étrangères.

Selon eux, l’État doit donc « se donner les moyens de piloter ce projet d’envergure et de veiller à son bon avancement ». Ils en appellent ainsi à une augmentation du nombre de « tests grandeur nature », et à davantage « d’anticipation pour corriger les difficultés constatées ».

L'exécutif appelé à bien mettre en oeuvre la promesse d'Emmanuel Macron

Alors que « l’actuelle plateforme de vote par Internet représente un coût non négligeable de 6,72 millions d’euros sur quatre ans », les rapporteurs plaident pour une augmentation du budget qui devrait être alloué au nouveau marché qui sera lancé pour les élections législatives de 2022.

« Face à l’aggravation du risque de cyberattaques, un tel investissement permettrait notamment de renforcer les exigences de sécurité et d’intéresser de nouveaux prestataires », soutiennent Jacky Deromedi et Yves Detraigne. Pour financer ces dépenses, les deux parlementaires proposent « d’envisager la dématérialisation de la propagande électorale des élections législatives pour les seuls Français de l’étranger disposant d’une adresse électronique ». Plus de trois millions d’euros pourraient ainsi être dégagés au titre de l'année 2022.

Le rapport insiste enfin sur un problème inhérent au vote par Internet, l’identification des électeurs. « L’identité de la personne qui se connecte sur la plateforme est difficilement vérifiable, en particulier lorsque plusieurs membres d’une famille votent sur le même ordinateur », est-il ainsi expliqué.

Jacky Deromedi et Yves Detraigne préconisent ainsi d’avoir recours à des techniques biométriques. « En cours de développement par l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), le prototype ALICEM pourrait constituer une première réponse : il permet d’identifier un individu à distance, en comparant la photographie prise de son téléphone portable et celle de son passeport biométrique (reconnaissance faciale) », détaille le rapport. « De manière alternative, il pourrait être envisagé de sécuriser la « carte consulaire », que les ambassades et consulats remettent aux expatriés, et d’y insérer des éléments biométriques. »

En soutenant ce rapport, la commission des lois du Sénat envoie un message très clair au gouvernement : aucune excuse ne pourra être acceptée en cas de nouvelle bévue. Son président, Philippe Bas (LR), a d’ailleurs fait savoir qu’il attendait que l’exécutif prenne « rapide[ment] » en compte les propositions de la mission d’information de Jacky Deromedi et Yves Détraigne.

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