Le secrétaire d’État au Numérique, Mounir Mahjoubi, est intervenu cette semaine à l’Assemblée nationale au sujet de la transparence des algorithmes publics. Au prix de quelques erreurs et d’explications à la limite du compréhensible.
« Soyons précis », a bien insisté l’ancien président du Conseil national du numérique, mercredi 7 février, au moment de donner l’avis du gouvernement sur un amendement PS au projet de loi relatif aux données personnelles.
Depuis le 1er septembre 2017, en application de la loi Numérique, toute décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique (attribution d’allocations, montant des impôts...) fait désormais naître deux obligations pour les administrations :
- Intégrer une « mention explicite » informant l’usager que la décision qui le concerne a été prise sur le fondement d’un traitement algorithmique, et qu’il peut de ce fait savoir comment fonctionne ce programme.
- Expliciter, sur demande, les « règles » et « principales caractéristiques » de mise en œuvre de l’algorithme utilisé (le tout appliqué à la situation de l’intéressé).
« L’ensemble de ce dispositif repose sur une fiction impossible : celle d’administrés qui disposent du temps de formuler de telles demandes d’explication à l’administration », déplorait la députée Marietta Karamanli en appui de son amendement. L’idée : faire en sorte que ces différents renseignements soient « systématiquement » fournis aux citoyens, et non plus sur sollicitation individuelle de l’administration.
Quand le secrétaire d’État parle au futur d’une réforme déjà en vigueur
Le gouvernement s’est cependant opposé à une telle réforme, dans la mesure où le droit actuel satisferait « largement » cette demande, selon l’exécutif. Voici cependant ce qu’a déclaré le secrétaire d’État au Numérique, poussé par son exigence de précision :
« Toutes les décisions algorithmiques, à partir de l’entrée en vigueur, signaleront que la décision contenait une décision algorithmique. C'est-à-dire que vous saurez qu'il y a bien eu, au moment du document que vous recevrez, un traitement algorithmique derrière. Et on rappellera les droits qui y sont associés : une information systématique, à chaque fois que vous recevrez le document, qui vous dit qu'il y a eu un traitement, vous proposera à chaque fois, dans une mention bien visible dans la décision, des droits de communication qui sont à votre disposition. »
Visiblement, Mounir Mahjoubi n’est pas au courant que la loi portée par sa prédécesseure est déjà entrée en vigueur... C’est d’ailleurs par un décret d’application en date du 14 mars 2017 que le gouvernement précédent a précisé les modalités de mise en œuvre de l’article L311-3-1 du Code des relations entre le public et l’administration, et imposé son application à compter du 1er septembre 2017.
Le secrétaire d’État au Numérique faisait manifestement référence à un autre article de la loi Lemaire, qui ne sera applicable qu’à compter du 7 octobre 2018. Les administrations d’au moins 50 agents ou salariés devront alors mettre en ligne « les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l'accomplissement de leurs missions lorsqu'ils fondent des décisions individuelles » (article L312-1-3 du CRPA).
Ce dispositif est toutefois très différent de celui évoqué dans l’hémicycle par l’ancien président du Conseil national du numérique. Cette obligation de diffusion ne prévaudra que pour les « règles » de fonctionnement des algorithmes publics. Il n’y aura en ce sens aucune information individuelle de fournie (contrairement au dispositif « sur demande »), et encore moins de mention sur les décisions reçues par les citoyens...
Dans sa lancée, le secrétaire d’État au Numérique a continué de parler au futur, assurant par exemple : « Tous ceux qui auront eu à avoir une décision automatique pourront demander ces informations [d’explicitation, ndlr] ». Or même si les administrations peinent à intégrer la fameuse « mention explicite » prévue par la loi Numérique, rien n’empêche de prendre les devants (nous avons ainsi tenté l’expérience il y a quelques semaines, avec des résultats certes très mitigés).
Patinage artistique
Autre cafouillage : Mounir Mahjoubi a fait valoir que pour « des raisons de réalité organisationnelle », « l'on ne peut pas généraliser l'intégralité des données utilisées » (comprenez : il est impossible de systématiser les explicitations d’algorithmes publics, comme le demandaient les députés PS).
« Pour ces raisons-là, le décret est pour nous non nécessaire », a poursuivi le secrétaire d’État. Avant d’ajouter, quelques secondes plus tard : « Nous travaillons sur ce décret » !
Bref, une belle séance de patinage artistique, où l'on confondrait presque Journal officiel et JO d'hiver. Tous les décrets nécessaires aux deux dispositifs sur la transparence des algorithmes publics ont en effet été publiés (tant celui sur la communication « sur demande » que celui relatif à la mise en ligne « par défaut »).
La rapporteure Paula Forteza, qui connait pourtant bien le sujet pour avoir travaillé à la mission Etalab (en charge de ce dossier au sein de la Direction interministérielle au numérique), n’est pas pour autant intervenue. L’élue LREM a d’ailleurs émis un avis défavorable sur l’amendement défendu par Marietta Karamanli, jugeant le droit existant « assez complet en la matière ».
« Nous pourrons, au moment de la deuxième lecture, apporter plus de précisions », a enfin conclu Mounir Mahjoubi. Or ce renvoi à la seconde lecture se veut à tout le moins hasardeux : le gouvernement ayant engagé le projet de loi « RGPD » sous procédure accélérée, il n’y aura en principe qu’une seule lecture par assemblée...
L'amendement PS a quant à lui été rejeté à l'issue d'un scrutin public, par 13 voix « pour » et 58 « contre ».
Pour ceux qui voudraient visionner l'intégralité de l'intervention du secrétaire d’État au Numérique, celle-ci est disponible via le site de l’Assemblée nationale (à partir de 1:05:15).