Le nouveau dispositif de prise en charge des frais de mandat des députés, dévoilé hier par l’Assemblée nationale, fait complètement l’impasse sur la transparence – pourtant promise par la nouvelle majorité. Une véritable « occasion manquée » selon l’association Regards Citoyens, qui craint qu’un scandale éclate à terme sur les dérives de ce système.
C’était l’une des mesures phares des lois sur la confiance dans la vie politique : la suppression, au 1er janvier 2018, de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) des parlementaires. Cette enveloppe, d’environ 5 000 euros par mois, a aujourd’hui vocation à couvrir les différents frais professionnels des députés et sénateurs – de type location d’une permanence, coiffeur, déplacement en taxi, etc.
Très critiquée en raison de son opacité et du manque d’encadrement de son usage, le législateur a décidé que chaque assemblée devrait la transformer en un nouveau « régime de prise en charge des frais de mandat », qui comprendrait notamment une « liste des frais éligibles ».
Le principe ? Que les parlementaires soient « défrayés sous la forme d'une prise en charge directe, d'un remboursement sur présentation de justificatifs ou du versement d'une avance par l'assemblée dont ils sont membres, dans la limite des plafonds déterminés par le bureau ».
Instauration d'une liste des frais pouvant être pris en charge
Sur proposition du collège des questeurs, le bureau de l’Assemblée nationale a adopté mercredi 29 novembre un projet d’arrêté fixant tout d’abord une liste des frais autorisés et, inversement, interdits (PDF).
Ne pourront par exemple pas être pris en charge :
- Tout financement, direct ou indirect, d’un parti politique
- L’achat d’un bien immobilier
- La location d’un bien immobilier dont le député, son conjoint, ses ascendants ou descendants sont propriétaires
Pour continuer sur la piste des illustrations, pourront en revanche être remboursés (parfois sur justificatifs) :
- Les frais de taxi
- L’achat d’un véhicule et la prise en charge des frais réels liés à son utilisation (carburants, entretien, réparation, assurances, frais de stationnement et de péages).
- La location d’un « pied-à-terre » à Paris
- Les frais de réorientation ou de reconversion à l’issue du mandat
- La conception technique, l’installation, la gestion et la maintenance d’un site Internet ou d’une plate-forme participative ou d’outils et moyens numériques
- Le recours à des prestataires extérieurs en communication, réseaux sociaux, infographie, référencement, relations publiques, ressources humaines, informatique et outils numériques, en lien avec le mandat ou l’activité politique
- Les frais vestimentaires et de coiffure nécessités par le mandat
La présidence de l’Assemblée nationale précise que cette liste « n’est pas figée ». Elle sera revue par le bureau, toujours sur proposition du collège des questeurs, « autant de fois que nécessaire, et au plus tard dans un an ».
Obligation de justifier certains frais, avec des contrôles aléatoires
En pratique, chaque député touchera chaque mois une enveloppe au titre d’une « avance sur frais de mandat », dont le montant a été fixé à 5 373 euros – soit exactement comme l’IRFM. Les élus du Palais Bourbon devront désormais « justifier leurs dépenses ». Cela passera par « la tenue d’un état des dépenses normé », indique l’Assemblée, sans plus de précisions.
Seule exception : selon nos informations, 150 euros de retraits en espèces seront autorisés chaque semaine pour de petites dépenses (achat d’un journal, d’un billet de tombola d’une association locale, etc.), sans qu'il ne soit besoin de justifier de leur usage.
Un dispositif de contrôle est enfin instauré, puisque les députés pourront être tenus de fournir leurs justificatifs à la déontologue de l’Assemblée nationale. Ces vérifications se feront à partir d’un « tirage aléatoire, de façon à ce que les frais de mandat de chaque député soient contrôlés au moins une fois au cours de la législature ».
Quand François De Rugy promettait un « mécanisme de transparence »...
Seul « hic » : cette réforme fait complètement l’impasse sur la transparence, pourtant promise il y a quelques mois par la présidence de l’Assemblée nationale. Au travers d’un communiqué publié en août dernier, François De Rugy annonçait en effet que dans le cadre de la réforme de l’IRFM, « des mécanismes de contrôle et de transparence seront prévus ».
« C'est une occasion manquée, qui démontre que les parlementaires sont absolument incapables de s'organiser pour avoir un usage démocratique de l'argent public qui leur est confié » peste Tangui Morlier, de l’association Regards Citoyens. « Il y a une promesse autour du contrôle, mais qui reste encore une simple promesse puisque ses modalités ne sont pas connues. La garantie qu'il n'y aura pas d'abus autour de l'usage de ces deniers publics n'est absolument pas au rendez-vous puisqu'il n'y aura pas de transparence » poursuit l’intéressé, contacté par nos soins.
Son de cloche similaire chez Transparency International France, où l'on regrette que les députés n'aient finalement pas sauté le pas :
#IRFM : "Cette réforme attendue devrait permettre de mettre fin aux usages inappropriés de l’#IRFM, mais les parlementaires doivent aller jusqu’au bout de la démarche en assurant la transparence de ces dépenses." Marc-André Feffer @TI_France https://t.co/1cjKh3s5Fw
— Transparency France (@TI_France) 30 novembre 2017
« On sait très bien que le contrôle sans transparence est inefficace à terme », dénonce Tangui Morlier. Selon lui, « la France se dirige donc tranquillement vers un futur scandale autour des frais de mandat des parlementaires, comme l'Angleterre en a connu il y a quelques années ».
S’inspirant du modèle britannique, Regards Citoyens plaidait pour une publication au fil de l’eau du détail des dépenses des parlementaires (un peu à l’image de ce que fait notamment la députée Paula Forteza). « Pour la rendre acceptable au citoyen et montrer que cette indemnité est légitime, il faut montrer à quoi elle sert et comment elle est utilisée. Le simple contrôle ne suffira donc pas », avait mis en garde l’association responsable du site « NosDéputés.fr ».
« Un parlementaire sachant que sa dépense sera rendue publique sera sans doute encore plus attentif à la légitimité de ses demandes. De plus, la transparence permettra, grâce à d’éventuels doutes soulevés par la société civile, d’accompagner et guider le contrôle afin d’identifier les problèmes potentiels, d’offrir un contrôle du contrôleur, et donc de réellement rétablir la confiance. Cette alliance entre organisme de contrôle parlementaire et société civile peut permettre d’alléger les frais administratifs nécessaires à ce contrôle » argumentait Regards Citoyens durant les débats autour des lois Confiance.
« Pas d’accord » en interne pour avancer sur la transparence, pour le moment
Comment expliquer ce recul par rapport aux promesses de cet été ? Si Tangui Morlier y voit une illustration du « conservatisme des parlementaires », le cabinet de François De Rugy nous explique qu’ « il est ressorti des discussions et des échanges avec les présidents de groupe qu'à ce stade, il n'y avait pas d'accord pour aller plus loin sur ce sujet ».
« En ce qui concerne la transparence, la loi ne faisait aucune obligation », rappelle-t-on au passage dans l’entourage du président de l’Assemblée nationale. Ce dernier « invite » néanmoins « l'ensemble des députés qui le souhaitent à communiquer à ce sujet, par exemple sur leur site Internet ».
« Ceci étant dit, on est en début de législature, poursuit-on dans les couloirs de l’Hôtel de Lassay. Les choses peuvent encore avancer puisqu'au-delà de ce qui a été adopté hier, il y a déjà des clauses de revoyure d'un an maximum, c'est-à-dire que le dispositif pourra évoluer sur un certain nombre de points – et éventuellement celui-ci. » La présidence de l’Assemblée nationale mise également sur les groupes de travail installés au mois de septembre, lesquels « pourront être amenés à formuler des propositions sur ce sujet, notamment à travers le prisme de l'Open Data ».
Tangui Morlier ne se montre toutefois guère optimiste : « Je pense qu'il ne faut rien attendre de la nouvelle majorité, qui se proclame moderne et transgressive et qui en fait est tout aussi conservatrice que la majorité précédente – en tout cas en termes d'organisation financière de l'Assemblée. »
Regards Citoyens espère désormais obtenir de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) un feu vert à la communication des relevés bancaires de députés de la précédente majorité (pour en savoir plus, voir leur site dédié à cette initiative lancée il y a plusieurs mois).
Le Sénat n'a quant à lui toujours pas dévoilé le dispositif qu'il retiendrait afin de remplacer l'IRFM.