Après une campagne de trois ans sur la thématique « Dégooglisons Internet », l’association française Framasoft revient avec Contributopia. Nous nous sommes entretenus avec Pierre-Yves Gosset, délégué général de l’association, pour en faire le tour.
Framasoft est active depuis longtemps dans le domaine de la vie privée, des logiciels libres et plus généralement de la sensibilisation des utilisateurs au stockage des données. L’association vise particulièrement les GAFAM, grands concentrateurs de données, puisque ces sociétés sont devenues une mine d’or pour les traitements automatisés en tous genres.
Bien que certains soient légitimes (lutte contre le spam par exemple), la plupart mènent à un suivi des habitudes de l’internaute. La personnalisation des publicités est bien entendu au cœur des préoccupations de nombreuses entreprises, Google en ayant fait l’une de ses activités principales.
Mais il existe un monde dans lequel l’utilisateur reste maître de ses données. Moins facile d’accès – les grandes entreprises ayant largement simplifié les interfaces – il mérite pourtant que tous ceux qui se posent des questions sur leur vie privée s’y penchent.
Framasoft, avec sa campagne « Dégooglisons Internet » a poussé justement vers ces solutions, toujours libres. Mais au-delà des outils, comme l'association avait pu l'évoquer lors de son bilan, le travail de sensibilisation nécessite des efforts constants et quelques évolutions.
Une nouvelle vague de services pour donner l’exemple
Parce que Framasoft ne serait pas tout à fait Framasoft sans proposer des services « maison », plusieurs sont en préparation pour sa campagne Contributopia. Comme toujours, l’idée n’est pas de réinventer la roue, mais de sélectionner des produits existants, pour les mettre en avant, en les adaptant plus ou moins pour faciliter l’expérience utilisateur.
On commence donc avec Framasite. S’appuyant sur Grav, il permettra aux utilisateurs de se créer assez facilement des pages web, pour un site, un blog ou même un wiki. Le service peut en fait déjà être utilisé, mais il est en phase de test et prévient d’emblée qu’il ne sera pas simple d’accès. Même quand il sera plus finalisé, l’association précise qu’il évoluera en fonction des retours.
Viendront ensuite Framameet, Framapetitions et Framatube qui sera ouvert à tous. Là encore, les noms parlent d’eux-mêmes. Le premier aura pour objectif de faciliter la mise en relation, les rencontres, les réunions et autres. Le deuxième est en quelque sorte une évolution de Framaforms, qui permet de créer des formulaires, mais centré sur les pétitions.
Quant au dernier, il agira comme un réseau distribué pour les vidéos. C’est le logiciel libre PeerTube qui est utilisé comme base et un accent particulier sera mis sur l’interface et la facilité d’utilisation. Ce projet est plus lointain car il nécessite encore beaucoup de travail. Il se veut toutefois une alternative à YouTube, Dailymotion et autres services de streaming en tous genre, en laissant les utilisateurs dédier de la bande passante pour le partage des vidéos. Avec en ligne de mire parfois la délicate question des droits d’auteur.
L’hébergement au cœur des préoccupations
Au-delà de ces projets, la campagne Contributopia entrera davantage dans son sujet de prédilection : la contribution. Pierre-Yves Gosset, délégué général de Framasoft, nous résume : « La première campagne a super bien marché. Elle avait trois missions : la sensibilisation (des centaines de conférences, ateliers et débats dans toutes la francophonie), la démonstration (via les 30 services qu’on a lancés) et l’essaimage, avec les CHATONS. Mais un autre besoin est apparu ».
Regrettant un message initial « peut-être un peu belliciste centré sur Google », la première campagne a toutefois largement rempli son objectif : « montrer que c’était possible ». Pierre-Yves Gosset nous indique que les CHATONS ont prolongé l’effet, davantage avec une idée de prendre en main certaines thématiques comme l'hébergement.
Ce point essentiel reste au cœur des préoccupations de l’association qui travaille actuellement autour de YUNOHOST, une solution d’auto-hébergement à laquelle elle contribue. Elle sera poussée en tant que telle, mais pas seulement.
Framasoft évoque aussi une version reposant sur des machines virtuelles. « On pourrait les proposer, moyennant finance. Les utilisateurs n’auraient alors qu’à déclarer les services qu’ils veulent activer. Actuellement, la moitié de ceux de Dégooglisons sont ainsi prêts, et d’ici au lancement les autres seront terminés ». Quand ? Pas de date précise pour l’instant, mais sans doute pas avant fin 2018.
Les CHATONS sont également visés. Le travail réalisé par Framasoft doit servir d’expérience à communiquer. N’importe qui pourra en tirer parti pour monter soi-même des machines virtuelles prêtes à l’emploi. Les CHATONS pourront eux aussi monnayer ce type de service, toujours en restant dans la philosophie d’un hébergement éthique.
Cette version particulière ne peut bien sûr pas être affiliée à de l’auto-hébergement, mais comme nous l’explique Pierre-Yves Gosset, il s’agit plutôt de « solutions à mi-chemin ». Un utilisateur pourra donc contacter un CHATON (une cinquantaine existe actuellement) et activer des services divers en fonction de ses besoins.
Framasoft souhaite s’internationaliser
La notion d’expérience est d’ailleurs au centre de la nouvelle campagne, car Framasoft souhaite s’internationaliser. Pas en traduisant bêtement ce qui a été fait, mais en rencontrant d’autres équipes dans le monde susceptibles d’être intéressées.
Le travail de synthèse de l’association française est en effet assez unique. Les outils utilisés existaient tous, mais c’est bien la fédération et la communication autour de l’ensemble qui ont fait la différence. Ils vont donc rencontrer des équipes allemandes, espagnoles, italiennes ou même néerlandaises, pour évoquer les lignes du projet, les méthodes adoptées, les problèmes rencontrés, les erreurs commises et ainsi de suite.
Winter of Code, la mise en relation des développeurs
Même si le nom est un pied-de-nez à Google et une référence à Game of Thrones (« Winter is coding ! »), il recouvre un projet à plus long terme de Framasoft : une plateforme de mise en relation des développeurs du logiciel libre.
Pierre-Yves Gosset explique : « On est souvent surpris dans les projets existants des besoins qui existent sans que personne ne soit au courant ». La plateforme permettra donc à des équipes de parler de leur projet, de se présenter, de déclarer un référent et d’exposer les besoins. Les développeurs ayant des talents particuliers pourront alors les proposer.
Winter of Code devrait également servir à sensibiliser les étudiants au monde du logiciel libre en général. « Il est souvent difficile de savoir à qui parler » indique Pierre-Yves Gosset, « et on aimerait simplifier ça ».
Simplifier, partager et contribuer
Plusieurs autres projets, eux aussi à plus long terme, viendront renforcer les missions de l’association sur « l'éducation populaire ». À commencer par un travail spécifique sur Git. « C’est assez fou quand on y pense, cet outil peut servir à tellement de choses et beaucoup ne le savent pas ».
L’association aimerait donc simplifier son utilisation en vue de le proposer comme outil de collaboration sur des usages moins répandus mais tout aussi faisables. On sait par exemple qu’il est utilisé pour du travail juridique. Son interface (principalement en ligne de commandes) n’est cependant pas spécialement adaptée, voire peut rebuter d’éventuels intéressés. Et des outils comme GitLab et GitHub visent surtout un usage par les développeurs.
Ce projet est plus ou moins directement lié aux deux autres, car une part importante consiste à communiquer et à montrer comment Git peut être utilisé. Cette communication rejaillira également sous d’autres formes, à commencer par un MOOC (massive open online course) pour les CHATONS.
Toujours dans l’idée de transmettre son expérience, Framasoft veut en effet épauler davantage ces hébergeurs, ou plutôt les CHATONS en devenir. Un cours en ligne permettrait de prendre l’intéressé par la main et de répondre à la question : « J’aimerais en ouvrir un mais je ne suis pas administrateur système ».
Pierre-Yves Gosset ajoute que ce sera d’ailleurs l’occasion de se pencher vraiment sur des sujets complexes, comme la sécurité, difficile d’accès. L’association aimerait également répondre à des questions, notamment juridiques. Que faire par exemple en cas de demande de retrait d’un contenu ?
En généralisant encore davantage l’envie de venir en aide à ceux qui en auraient besoin, l’association planche également sur l’UPLOAD, pour « Université Populaire du Libre, Ouverte, Accessible et Décentralisée ». L’idée ? Centraliser et diffuser des ressources, des connaissances et globalement tout ce qui peut concerner le logiciel libre de près ou de loin. Un projet d’ampleur, aux contours encore un peu flous.
La campagne Contributopia ne fait dans tous les cas que commencer. « Il s’agit surtout d’une feuille de route pour l’instant » explique Pierre-Yves Gosset. D’autres informations seront donc publiées plus tard, quand l’association sera prête à lancer ses nouveaux services ou quand des détails supplémentaires seront données sur les projets plus lointains.