Caméras-piétons : un bilan plus contrasté que les discours de l’exécutif

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Caméras-piétons : un bilan plus contrasté que les discours de l’exécutif
Crédits : konstantin32/iStock

Next INpact a réussi à se procurer l’une des premières évaluations de caméras-piétons, ces appareils embarqués dont sont dotées différentes équipes de police et de gendarmerie depuis 2013. Si les agents semblaient globalement satisfaits du dispositif, différentes remontées permettent de nuancer les discours de l’exécutif sur ce dossier.

Après une phase d’expérimentation, les caméras-piétons se déploient progressivement sur l’ensemble du territoire. À la fin de l’année 2015, les services de la direction générale de la police nationale et de la préfecture de police en comptabilisaient 1 584. Près de 400 appareils supplémentaires devaient par ailleurs être livrés au ministère de l’Intérieur l’année dernière.

Le gouvernement précédent, qui avait lancé la généralisation de ces caméras embarquées, en estimait le coût à 1,2 million d’euros par an (pour 1 000 caméras supplémentaires chaque année). Une addition à laquelle devaient se rajouter 150 000 euros pour les coûts liés au stockage des images réalisées par ces joujoux électroniques - valant normalement près de 1 200 euros pièce.

Pour justifier sa décision, l’exécutif mettait en avant « l’effet modérateur » de ces appareils portés au niveau du torse par les forces de l’ordre : « D’une manière générale, la captation d’images et de sons tend à dissuader les mauvais comportements et les écarts de langage des personnes contrôlées. » Mais qu’en est-il en détail ? N’existe-t-il pas des chiffres permettant de quantifier les prétendus bénéfices de ces caméras ?

Pour en savoir plus, nous avons demandé au ministère de l’Intérieur de nous transmettre ses rapports d’évaluation de ce nouveau dispositif. Faute de réponse, nous avons saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a donné une suite favorable à notre requête. Après deux mois d’attente, la Place Beauvau s’est résolue à nous envoyer une copie d’une « évaluation des caméras-piétons ».

De premiers retours plus contrastés que ce qu’avançait l’exécutif

Qu’y apprend-t-on ? Que « l’effet modérateur du dispositif » est effectivement « unanimement constaté » par la quarantaine de Directions départementales de la sécurité publique (DDSP) ayant été sollicitées pour évaluer leurs caméras-piétons. Ces dernières permettraient ainsi « d’apaiser une situation tendue ou qui tend à se dégrader ».

À Clermont-Ferrand, le service fourrière a même été doté de tels appareils en raison des difficultés et tensions fréquentes rencontrées par les fonctionnaires de cette unité. « Le résultat a été immédiat et a permis d’améliorer les conditions de travail des policiers », indique le rapport.

« D’une manière générale », poursuit le document, « la présence de la caméra piéton ne suscite pas d’inquiétude et n’a pas d’influence sur l’agressivité des personnes présentes lors de l’intervention. Au contraire, sa présence tend à dissuader les mauvais comportements et les écarts de langage des personnes contrôlées. » Par crainte d’être identifiés au travers des images et sanctionnés en bout de course, certains individus préféreraient en ce sens rester dans le droit chemin - au moins le temps de l’enregistrement.

rapport caméras-piétons

Il y a toutefois un bémol, guère évoqué jusqu’ici par l’exécutif... « L’impact de la caméra sur la population n’est pas uniforme selon le contexte d’utilisation », nuance le rapport. Ainsi, « lors de certaines interventions, son utilisation peut engendrer des comportements agressifs, notamment dans un contexte de phénomènes de groupes ou lorsque le porteur de la caméra déclenche l’enregistrement en situation déjà dégradée ». Dans ce cas de figure, l’éclairage de l’écran avec retour vidéo visible par les personnes filmées s’avère même être parfois « ressenti comme une provocation par les individus et [peut] accentuer les tensions existantes ».

Différents problèmes pratiques

Même si les forces de l’ordre se disent satisfaites des effets induits par les caméras-piétons (sans qu’aucun chiffre ne soit toutefois donné par le ministère de l’Intérieur), les conclusions de cette évaluation insistent sur le caractère « encombrant » de ce nouveau matériel. Différentes difficultés d’ordre pratique et technique ont ainsi été remontées...

Tout d’abord, « l’immobilisation des caméras n’est pas totale et le système de portage de la caméra pourrait être encore amélioré, notamment en ce qui concerne l’ergonomie du harnais. La fixation unilatérale à l’épaule n’est pas satisfaisante pour les fonctionnaires chargés d’effectuer les enregistrements, ceux-ci craignant la chute du matériel dont le port demeure instable lors des interventions mouvementées. »

Plusieurs brigades ont d’autre part signalé des problèmes d’autonomie. Seule solution, si la charge de la batterie n’est pas suffisante : embarquer une deuxième batterie.

Concernant enfin la qualité des images et du son, différentes lacunes ont été identifiées. En cas d’enregistrement nocturne, « aucune exploitation des images ne peut être faite si les enregistrements ont été réalisés dans un endroit dépourvu d’éclairage public ou peu éclairé ». Quant à la restitution sonore, celle-ci est « parfois faible ou saturée », note le rapport (en contraste ainsi avec les propos de Manuel Valls, qui affirmait en mars 2014, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, que les images et le son étaient « de très bonne qualité »).

Des forces de l'ordre déjà en attente d'une doctrine d'utilisation

En guise de piste d’amélioration, le rapport souligne qu’une « bonne pratique consisterait à anticiper le déclenchement de la caméra ». Or on le sait, les caméras-piétons font l’objet de critiques en raison de leur activation par les forces de l’ordre... Policiers et gendarmes ne sont effectivement tenus de lancer l’enregistrement que « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l’intervention ou au comportement des personnes concernées ».

Des termes assez vagues, qui avaient notamment été décriés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Certains réclamaient d’ailleurs que les agents soient également contraints d’appuyer sur Rec à la demande des personnes concernées par une intervention... Chose qu’a refusée la précédente majorité.

Le ministère de l’Intérieur avait indiqué travailler à la rédaction d’une doctrine d’utilisation des caméras-piétons, qui n’a toujours pas vu le jour... Dans les conclusions de l’évaluation, on lit pourtant que celle-ci était déjà « très attendue par les DDSP ».

Le dossier n’est pas pour autant prêt d'être refermé. Conformément à la loi « Égalité et citoyenneté », une expérimentation est actuellement menée dans certains territoires afin que les forces de l’ordre activent systématiquement leurs caméras lorsqu’ils effectuent des contrôles d’identité. Le test, programmé jusqu’en mars 2018, donnera lieu à un nouveau rapport jaugeant de leur efficacité.

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