L'un des principaux trackers torrent dédiés à l'animation et aux séries japonaises, Nyaa, a vu ses noms de domaine suspendus. Une victoire pour les plateformes légales françaises, qui ont notamment ligué leurs forces l'an dernier contre l'hébergeur du site, comme elles nous l'affirment.
« Une page se tourne » résument certains internautes. Depuis plus d'une journée, le tracker Nyaa Torrents est inaccessible. Comme des utilisateurs, Torrentfreak relève que les noms de domaine du site (nyaa.eu, nyaa.se et nyaatorrents.org) ont été suspendus, soit par les bureaux d'enregistrement, soit par l'administrateur du site. Il s'agit d'un coup important pour le piratage d'animation japonaise, dont « Nyaa » était le fer de lance.
Interrogés, Olivier Cervantès de Wakanim et Olivier Fallaix de Crunchyroll (voir notre précédent entretien) saluent cette suspension comme une victoire, au moins temporaire. « Nous sommes heureux de constater que les autorités ont enfin pu mettre un terme à l'activité de ce site. Nous ne savons pas pour le moment quel organisme est à l'origine de la coupure, ni si l'administrateur a été arrêté » nous répond Wakanim, plateforme légale française lancée en 2009.
Un tracker influent dans sa niche
« Nyaa est l’un des moyens (si ce n’est le moyen) les plus utilisés pour le partage d’anime. Si le mode d’accès et d’utilisation n’est pas aussi simple et facile que le téléchargement direct, c’est vraiment la source de tout ce qu’on trouve ensuite sur le Net, que ce soit en streaming ou en téléchargement » résume Olivier Fallaix de Crunchyroll.
La nouvelle suit le passage du tracker BakaBT en « privé » à la mi-avril, après la réception de nombreuses demandes de retrait de contenu par son hébergeur. Un « spam » d'un ayant droit qui a eu un effet direct sur le site. Dans le cas de Nyaa Torrents, la suspension des noms de domaine est la suite d'attaques répétées des ayants droit et distributeurs, comme nous le confirment nos interlocuteurs, qui se font pourtant peu d'illusions sur la suite des événements.
L'hébergeur de Nyaa Torrents déjà visé en France
Nyaa Torrents est habitué des assauts légaux. En 2011, le distributeur américain Funimation avait lancé une action en justice contre 1 337 utilisateurs de BitTorrent. Certains sites étaient clairement nommés, dont « Nyaa », qui subissait une attaque par déni de service trois ans plus tard... Laissant d'autres trackers placer leur publicité sur cette indisponibilité.
Pour leur part, les services légaux français ne sont pas restés les bras croisés face au tracker. Wakanim nous confirme avoir déposé une plainte chez le procureur de la République il y a trois ans, sans succès pour le moment.
Il a aussi contribué à une action menée l'an dernier avec Crunchyroll et VizMediaEurope (derrière AnimeDigitalNetwork) contre l'hébergeur du tracker. Olivier Fallaix la qualifie de « peu concluante ». « Ce n'était pas infructueux, juste long et compliqué » pondère Wakanim. Contacté, VizMediaEurope n'a pas répondu à nos sollicitations.
Aujourd'hui, Fallaix dit ne pas avoir connaissance d'action en cours de Crunchyroll contre Nyaa, quand Wakanim nous affirme avoir cinq plaintes sur le feu contre des diffuseurs illicites. « Dans 98% des cas, nous trouvons un accord amiable (arrêt de diffusion et fermeture du site en question). Souvent les plaintes sont longues à traiter, car les personnes ciblées ne sont pas en France » reconnaît Cervantès de Wakanim.
I'll be back
L'économie de ces services de streaming de niche reste fragile. Premier acteur mondial, Crunchyroll a atteint le million d'abonnés en février dernier. Pour sa part, Wakanim, qui fait figure de vétéran en France, a été racheté par Aniplex (Sony), qui ambitionne d'en faire un acteur mondial. De leur côté, les acteurs classiques du marché DVD commencent (enfin) à diffuser en ligne leurs contenus, notamment chez Netflix.
Face à cela, le piratage garde un poids très important... Trop, pour les services légaux, qui attirent encore aujourd'hui via des visionnages gratuits et des abonnements aux alentours de 5 euros par mois.
« Il ne faut pas crier victoire trop vite. Je suis certain que Nyaa ne disparaitra pas aussi vite. Mais l’important, c’est d'envoyer un signal : ce n’est pas parce qu’il est gros et qu’il existe depuis longtemps que ce système est inébranlable. Ce genre d’action fait souvent réfléchir une multitude de plus petits sites ou certains opportunistes qui voudraient se « lancer » » réagit Olivier Fallaix de Crunchyroll. Cela dirige aussi le public vers l'offre légale, bien plus stable.
Une lutte de longue haleine
Concurrents, les services français restent au moins ligués sur la question du piratage, même si Wakanim est celui le plus ouvertement procédurier. Comme elle nous l'affirmait, l'entreprise estime qu'attaquer l'offre illicite est la contrepartie nécessaire au développement d'une offre légale de qualité.
« Au fil des mois, l’état d’esprit des consommateurs d’animés commence à changer. Les titres licenciés sont mieux respectés. Il y a une prise de conscience chez les fans, malgré des irréductibles qui trouveront toujours une bonne raison de prendre nos contenus à leur compte » constate Crunchyroll en France. Un point de vue partagé par Wakanim.
« En France, Nyaa n'était pas le site le plus important, le piratage se tourne plus vers le direct download et le streaming » nous affirme Cervantès. Il rappelle d'ailleurs que le piratage d'animes est peu à peu passé du simple fansub à des organisations qui en vivent, se rapprochant de la « mafia ». « La lutte contre le pirate se complexifie, car elle n'est plus à l'origine de personnes lambdas, mais bien le fruit d'une organisation illégale. »