Le service juridique de la SACD partage l’analyse : la TVA ne peut s’appliquer sur la redevance copie privée qui n'est pas une prestation rendue à titre onéreux. Une conclusion tirée d’une récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne.
Jusqu’à présent, le ministère des Finances a toujours considéré que la redevance pour copie privée tombait dans l’assiette de la TVA. Une note du Bulletin officiel des finances publiques est limpide sur ce point. Conformément à l’article 267 du Code général des impôts, elle fait partie de la base d'imposition.
Auparavant, la loi de 1985 avait certes posé que la RCP est « exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée », mais sous les chaudes recommandations du ministère des Finances, la mesure avait sauté quelques années plus tard.
Des dizaines de millions d'euros de TVA prélevés chaque année
Concrètement, lorsqu’un utilisateur final achète un disque dur de 750 Go, il paye 20 euros HT de redevance. Soit 24 euros TTC, à ajouter donc au prix du support. Ces sommes sont parfois négligeables côté consommateur, mais côté ministère, le rendement n’est pas neutre. Chaque année, sur les quelques 210 à 230 millions d’euros de redevance copie privée collectée sur les supports d’enregistrement par les sociétés de gestion collective, Bercy aspire des dizaines de millions d’euros de TVA payés par les consommateurs.
C’est peu de le dire, cet assujettissement nous a toujours surpris : la redevance vient compenser un préjudice anticipé, cette possibilité ouverte à l’utilisateur final de réaliser des copies hors des clous du monopole du droit d’auteur. Or, pourquoi payer de la TVA dans une telle hypothèse ? Une analogie : lorsqu’une personne indemnise une autre pour un petit accrochage en voiture, l’État n’intervient pas pour aspirer quelques euros de TVA dans la compensation versée. Pourquoi un tel prélèvement ici ?
En 2014, l’UFC que choisir s'en était également émue : « que les consommateurs financent leur capacité à réaliser des copies privées dans le cadre de la réparation d’un préjudice est une chose. Que l’État tire un bénéfice direct de ce financement en est une autre ». Pour l’association, au contraire, « l’objet de la RCP n’est pas de renflouer les caisses de l’État et les consommateurs ont en conséquence toute légitimité à s’interroger sur le maintien d’un tel assujettissement » (extrait du rapport sur la copie privée)
Pour la SACD aussi, la redevance n'est pas une prestation soumise à la TVA
L’arrêt rendu le 18 janvier 2017 par la CJUE a remis à l’heure ces pendules déglinguées : « la compensation équitable ne constitue pas la contre-valeur directe d’une quelconque prestation, car elle est liée au préjudice résultant pour ces titulaires de la reproduction de leurs œuvres protégées, effectuée sans leur autorisation ». Une telle opération, insiste la juridiction européenne, « ne saurait être considérée comme étant effectuée à titre onéreux » au sens de la directive TVA.
Dans ce dossier concernant la Pologne, la justice européenne a donc sonné la fin de la récréation, déconnectant la RCP avec la taxe sur la valeur ajoutée, faute justement de contrepartie à titre onéreux. L’analyse a d’ailleurs été reprise par la SACD. « Les redevances visent à financer la compensation équitable qui ne constitue pas la contre-valeur directe d’une quelconque prestation, car elle est liée au préjudice résultant pour les titulaires de la reproduction de leurs œuvres protégées, effectuées sans leur autorisation » commente la société civile.
Elle conclut que « la redevance pour copie privée ne peut être considérée comme étant effectuée à titre onéreux au sens de la directive TVA et n’est donc pas une prestation de services soumise à la TVA. »
Renseignement pris, Bercy n’aurait toujours pas réagi à cet arrêt auprès des sociétés de gestion collective. Mais une certitude : cet arrêt est bienvenu, car outre la question du consommateur, il devrait mettre un terme au brouillard encombrant cette usine à gaz.
Retour à l'amendement Tardy
Brouillard ? Voilà un an, Lionel Tardy avait déposé un amendement visant à baptiser en « compensation pour copie privée », la « rémunération pour copie privée » prévue par le Code de la propriété intellectuelle. Des termes « plus adaptés à la réalité de cette perception, puisqu’il ne s’agit pas d’une rémunération complémentaire, mais d’une compensation ayant un caractère indemnitaire et proportionnel au préjudice subi ».
Le député PS Patrick Bloche, s’y était opposé bec et ongles : « il a été affirmé à plusieurs reprises, et notamment par le Conseil d’État, que cette rémunération ne peut être considérée comme une compensation. Elle ne constitue pas la réparation d’un préjudice subi » affirmait sans nuance le président de la Commission des affaires culturelles.
Axelle Lemaire y est allée également de ses arguments, inspirés par deux arrêts du Conseil d’État : « il s’agit d’une modalité particulière d’exploitation des droits d’auteur, fondée sur une rémunération directe et forfaitaire, qui doit être fixée à un niveau permettant de produire un revenu à partager entre les ayants droit, globalement analogue à celui que procurerait la somme des paiements d’un droit pour chaque auteur d’une copie privée, s’il était possible de l’établir et de la percevoir ».
L’amendement Tardy fut balayé comme un tas de poussières.