Finissons notre analyse des programmes des candidats à la primaire de la droite et du centre par des questions qui ont été parfois peu évoquées durant le mandat qui s'écoule : la cybersécurité, le respect de la vie privée, l'innovation ou encore l'évolution de nos infrastructures.
Le premier tour des primaires de la droite et du centre se tiendra ce dimanche (voir comment voter). Et quel que soit votre bord politique, il s'agit d'un évènement qui va influencer le résultat de la prochaine élection présidentielle, puis des législatives.
Nous avons donc décidé de nous attarder en détail sur les propositions de l'ensemble des candidats concernant le numérique, comme nous le ferons pour d'autres dans les semaines et mois à venir.
Notre dossier sur les propositions des candidats à la primaire de la droite et du centre :
Cybersécurité
La sécurité des données et des systèmes informatiques est régulièrement mise à mal avec la découverte de failles et de fuites d'informations, qui peuvent avoir de graves conséquences. Cela peut aussi bien toucher des documents médicaux (voir le cas de Labio.fr), que des chaînes de télévision, à l'image du piratage de TV5Monde. Pour autant, deux candidats seulement se penchent activement sur la question de la cybersécurité.
Alain Juppé souhaite ainsi mettre en place « une stratégie de cybersécurité » articulée autour de plusieurs axes :
« L’État doit passer d’une posture réactive à une posture proactive en développant une stratégie opérationnelle dans le domaine des cyberattaques. (...) Il faut instaurer une task force digitale destinée à renouveler les pratiques de travail en terme de cybersécurité (méthodes agiles, approches prédictives...) et à accélérer l’appropriation par nos forces de sécurité et de défense des évolutions technologiques les plus récentes (unification des plateformes d’appels, équipements mobiles...). »
Il ne précise par contre pas comment cette « task force » se démarquera de l'ANSSI. En effet, selon son directeur, « le rôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information est de faciliter une prise en compte coordonnée, ambitieuse et volontariste des questions de cybersécurité en France ».
Le maire de Bordeaux veut d'autre part mettre en place des « "Bug Bounty" destinées à encourager le report de vulnérabilités identifiées ». Depuis le vote de la loi Numérique, l'ANSSI reçoit pourtant déjà de tels signalements (voir notre article). Bon nombre d'entreprises proposent d'ailleurs leur Bug Bounty de manière individuelle, sans parler de la Bounty Factory pour les entreprises et les PME européennes.
L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac souhaite ensuite « créer une Agence européenne de sécurité des systèmes informatiques – qui pourrait prendre pour modèle l’ANSSI » et mettre en place un « partenariat entre l’État et les entreprises sous forme d’un Pacte pour la cybersécurité ».
De son côté, François Fillon promet de « renforcer dans le cadre européen la coordination entre les États, les organisations régionales et le secteur privé » et « encourager, à travers la commande publique notamment, une coopération accrue entre l’État et les acteurs économiques majeurs du secteur comme Dassault-Systèmes et Thalès ». Il revient également sur l'idée d'un « cloud européen ou national », une expérience déjà tentée avec le cloud souverain, mais qui n'a jamais vraiment décollé en France.
Par contre, aucun des prétendants à la présidence de la République ne revient sur la question du chiffrement. Ce mot est d'ailleurs absent de l'ensemble des programmes officiels des candidats à la primaire de la droite et du centre.
Le cas de la blockchain
Bruno Le Maire est le seul candidat à s'attaquer de front à la blockchain (thème cher à l'un de ses plus fervents soutiens, la députée Laure de La Raudière). Il souhaite en ce sens que la France soit un acteur majeur de cette « révolution ».
Trois axes de développement sont avancés, mais rien de très précis : « Devenir le laboratoire européen des nouveaux usages et pratiques », « mettre en place un cadre technologique et scientifique » et enfin « bâtir un cadre juridique, éthique et politique spécifique à cet environnement afin d’en maîtriser les évolutions qui ne sont à ce jour que partiellement connues et réfléchir aux implications sur nos concitoyens, aujourd’hui trop souvent oubliés ».
Innovation
Afin de favoriser l’innovation, Alain Juppé souhaite autoriser des expérimentations dérogeant au principe de précaution, qui a aujourd’hui valeur constitutionnelle :
« Les entreprises qui innovent dans le domaine du numérique doivent être autorisées à déroger à la réglementation en vigueur, sous certaines conditions. L'expérimentation sera autorisée de manière temporaire et locale, après obtention d'un accord auprès de la collectivité concernée. Elle se fera dans le strict respect des normes de sécurité – sous réserve d'avoir souscrit toutes les assurances nécessaires. »
Bruno Le Maire va encore plus loin, en remplaçant le principe de précaution par un principe d’innovation :
« Le principe d'innovation autorise les législations et les réglementations qui comportent des éléments dérogatoires aux principes de protection généralement reconnus et suspend l’application de ces derniers dans le domaine considéré. Le principe d’innovation ne peut être suspendu que dans les cas où des preuves sont apportées des risques encourus pour l’homme et l’environnement. Ces preuves incluent une analyse coûts–bénéfices, prenant en compte les opportunités économiques offertes par ces innovations. »
Infrastructures
Alors que François Hollande a fixé comme objectif que 100 % des foyers soient éligibles au très haut débit d’ici 2022, la plupart des candidats de la droite ne cachent pas leur scepticisme.
Bruno Le Maire met ainsi sur la table un nouveau plan, intitulé « Fibre Optique Pour Tous » (« FOPT »). Celui–ci aurait pour objectif de couvrir l'intégralité du territoire en THD, « dont 95 % en fibre optique et 5 % en technologies alternatives (montée en débit – VDSL2/satellite) », à l'horizon non plus 2022 mais 2025... Soit à peu près l'objectif du plan mis en place sous Sarkozy, le Plan National Très Haut Débit, remplacé par le plan France THD lors de l'accession de la gauche au pouvoir (voir notre analyse).
Alain Juppé évoque de son côté une relance plan THD, sous le regard d'une Autorité de Suivi National du Très Haut Débit. « Accomplir cette ambition repose sur trois piliers, explique le maire de Bordeaux : dynamiser le pilotage et la gouvernance du Plan THD, élargir le mix technologique et utiliser la régulation économique comme puissant accélérateur. » Autrement dit, Juppé propose de déployer moins de fibre qu'actuellement, et semble oublier le pilotage national déjà opéré par l'Agence du numérique, à Bercy.
Jean-François Copé propose enfin la création d’une « Agence nationale pour le renouveau de la ruralité (AN2R) », qui s’assurerait de la couverture de certaines zones stratégiques d’ici la fin 2022. « Cette agence doit pouvoir financer les grands projets dans les zones rurales les plus déshéritées, en axant [notamment] ses missions sur la réduction de la fracture numérique (...). Elle [accompagnera] les collectivités territoriales dans leur politique de déploiement du très haut débit (+30 Mb/s) avec un objectif de couverture totale de zones définies comme stratégiques à la fin du quinquennat » explique–t–il.
Données personnelles
En matière de protection des données personnelles, les candidats se montrent assez discrets. Il faut dire que le récent règlement européen doit entrer en vigueur en mai 2018. Alain Juppé envisage néanmoins la création d’une « Autorité européenne des données » :
« Le droit à la vie privée et aux données personnelles doit être réaffirmé comme un droit fondamental, tout en œuvrant pour établir un cadre qui puisse garantir, à une portabilité des données, une portabilité des droits. Tout accord international futur doit être fondé sur une réciprocité effective. Pourquoi ne pas imaginer une Autorité européenne des données qui permettrait à l'Europe de se doter de capacités d'expertise afin d'identifier les comportements déloyaux, de tester les algorithmes et d'assurer que les acteurs digitaux respectent un code de bonnes pratiques qu'il conviendra d'établir ? »
Bruno Le Maire juge quant à lui qu’il faudra « chercher à obtenir une révision ciblée du règlement européen sur la protection des données adopté le 27 avril 2016 afin de favoriser l’harmonisation des pratiques des CNIL ».
