Comme annoncé depuis plusieurs jours par le gouvernement, celui-ci vient de déposer son amendement visant à créer un nouveau délit, celui de l'entrave numérique à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
Cette rustine a été insérée dans le cadre de l'examen du projet de loi sur l'égalité et la citoyenneté. Juridiquement, elle vient ajouter une nouvelle disposition au Code de la santé publique, ainsi rédigée :
L’article L. 2223-2 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« - soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s'informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l'entourage de ces dernières. »
Plus concrètement, celui qui sera jugé responsable de tels actes, sera éligible à une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. À ce jour, l'article L2223-2 du Code sanctionne de ce quantum, ceux qui perturbent l'accès aux établissements pratiquant les IVG ou exercent « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements, des femmes venues y subir ou s'informer sur une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières ».
Une série de conditions très précises
L'amendent de l'exécutif étend donc cette infraction à ceux qui mettent à disposition ou transmettent des contenus – notamment sur Internet – afin de dissuader les femmes de pratiquer de tels actes. Cette mesure sera soumise à une série de conditions très précises et cumulatives. Il faudra en :
- Des allégations, indications ou présentations faussées
- De nature à induire intentionnellement en erreur,
- Dans un but dissuasif,
- Sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse
- Ou des allégations, indications ou présentations faussées
- Exerçant des pressions psychologiques sur les femmes s'informant sur une interruption volontaire de grossesse
- Ou sur l'entourage de ces dernières.
Informations insidieuses, liberté d'expression, droit à l'IVG
Dans son explication de texte, le gouvernement rappelle que l'IVG est une liberté fondamentale depuis la loi Veil de 1975. « Pourtant, les mouvements opposés à l’IVG ont toujours tenté d’entraver l’exercice de cette liberté », et ce, en empêchant d'une manière ou d'une autre le « droit des femmes à accéder à une information neutre et objective sur l’IVG, en particulier sur internet ».
Alors que de plus en plus de personnes utilisent Internet pour s'informer sur ce secteur sensible, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes de novembre 2013 avait dénoncé « la montée en puissance très importante des mouvements anti-avortement sur internet qui entravent considérablement l’accès à une information fiable et de qualité ».
Selon ce rapport, en effet, « l’information dispensée sur le net n’est pas propre à assurer une entrée facilitée dans le parcours vers l’IVG. Elle peut même développer un sentiment de culpabilité chez les femmes »
Aujourd'hui, le gouvernement partage l'analyse : certes, il y a la liberté d'expression et d'opinion, mais des activistes utilisent les nouvelles technologies « pour lancer des campagnes de grande ampleur visant à décourager ou à empêcher les femmes d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse » parfois « en se faisant passer, au premier abord, pour des sites purement informatifs ».
Il regrette ainsi que ces contenus soient en bonne place dans les moteurs et que sous couvert de la liberté d'expression, certains induisent en erreur celles et ceux qui cherchent une information fiable sur ce sujet. « Ces sites visent surtout des personnes fragiles, souvent démunies, qui cherchent à s’informer sur les modalités du recours à l’IVG » explique-t-il. « Des jeunes femmes souvent mineures, dont la grossesse n’a pas été désirée, qui n’ont pas un entourage familial ou social à même de les écouter et de les orienter. Elles se tournent alors vers internet pour trouver des conseils et de l’aide, pour comprendre leurs droits et pouvoir faire un choix ».
Les associations familiales catholiques ont de leur côté été très critiques sur ce nouveau délit, s'abritant derrière la liberté d'expression justement : « Mettre en avant des observations et des faits, proposer d'autres voies que l'avortement ou favoriser sa prévention seraient donc des délits ? L'évocation, par une femme, de sa souffrance occasionnée par un avortement est-elle condamnable ? ».
Un tremplin pour le blocage d'accès
On notera au final que selon l’article 6-1.8 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 (les prestataires d’hébergement) ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 (les fournisseurs d’accès), toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ».
Votée, l'infraction de mise à disposition et/ou de diffusion de contenus anti-IVG permettra donc de justifier toutes les mesures visant à faire cesser ou prévenir ces faits. Sur Internet, elle pourra donc justifier notamment des mesures de blocage d'accès dans les mains des intermédiaires techniques.