Dans une lettre ouverte, une vingtaine d'organisations et d'entreprises américaines du Net demandent au Congrès de ne pas empêcher la transition de l'ICANN vers un modèle multi-partite le 1er octobre. Selon certains parlementaires, cette émancipation donnerait les clés d'Internet à des régimes autoritaires, soit le but inverse de l'opération.
Faire sortir l'ICANN, le gestionnaire des ressources du Net, du contrôle exclusif des États-Unis n'est pas une mince affaire. Entamé début 2014, le chantier doit se terminer le 1er octobre prochain, avec l'expiration du contrat qui lie l'ICANN avec le département américain du Commerce. Dès le mois prochain, l'entreprise de droit californien doit passer entre les mains de ses « communautés », c'est-à-dire les États, acteurs du Net et membres de la société civile qui y contribuent au quotidien. Cela, en principe, à parts égales.
Si les États-Unis semblent avoir tout intérêt à cette transition, le département américain du Commerce a déclaré il y a quelques jours qu'il se réserve le droit de repousser (une nouvelle fois) cette émancipation d'un an. Le contrôle de l'ICANN (et symboliquement d'Internet) est un enjeu de souveraineté agité par certains élus républicains, accusant Obama de laisser les clés d'Internet à des pays totalitaires via l'ONU, censure comprise. Une rengaine répétée à l'envi par les médias conservateurs outre-Atlantique.
Dos à dos, lobby contre lobby
Le parlementaire le plus prolixe à ce sujet est sûrement Ted Cruz, qui a même monté un site avec compte à rebours avant le désastre que doit être l'émancipation de l'ICANN. Pour lui, Obama abandonnera Internet, donc « nos libertés ! ». Le Congrès a toujours la possibilité de faire passer un texte faisant reculer la date de la transition de l'organisation vers un modèle multi-partite.
Une perspective qui ne plaît pas aux géants du Net, dont Amazon, Facebook, Google ou Twitter, qui ont signé hier une lettre ouverte demandant aux autorités de laisser la transition arriver. Elle peut être résumée par cette phrase : « Il est impératif que le Congrès n'agisse pas pour retarder la transition prévue le 1er octobre ».
Pour la vingtaine d'acteurs, associations, organisations et entreprises numériques, le modèle multi-partite est absolument la voie à suivre... Notamment dans l'intérêt des États-Unis. « Nous pensons que cette proposition importante garantira la sécurité, la stabilité et la résilience constante du système. De plus, des garde-fous cruciaux sont en place pour protéger les droits de l'Homme, dont la liberté d'expression » écrivent-ils.
« Un Internet mondial, interopérable et stable est essentiel pour notre économie et notre sécurité nationale. Nous restons engagés dans la transition de près de vingt ans vers un modèle multi-partite qui servira au mieux les intérêts américains » résument-ils. Les grands groupes américains du numérique se sont développés sur un Internet « unique » mondial, qu'il est essentiel pour eux de préserver.
Deux ans de travail et un plan
Cette transition est en fait censée être un moyen d'apaiser les tensions nées des révélations Snowden sur la surveillance de la NSA, et une manière de contrer les velléités de certains pays (comme la Chine et la Russie) de fragmenter Internet en itérations nationales. Un épouvantail très pratique pour imposer cette émancipation, d'ailleurs. Quand l'ancien président de l'organisation, Fadi Chehade, a lancé les travaux il y a deux ans, l'enjeu explicite était de contrer une gestion des ressources du Net uniquement décidée par les États, via l'ONU.
Comme nous le détaillions l'été dernier, un plan complet a été développé par la communauté pour déterminer le fonctionnement de cet ICANN « post-IANA ». L'essentiel est que la direction de l'organisation aura face à elle des contre-pouvoirs dirigés par les membres de sa communauté, qui doivent être à même de décider des grandes lignes et de contrôler les décisions quotidiennes.
Ce plan ressemble par moments à un tour de force, tant les tensions entre la direction de l'ICANN et ses « communautés » ont été fortes. En fin d'année dernière, la direction promettait par exemple un désastre si ses contre-pouvoirs étaient trop puissants. Elle a d'ailleurs obtenu quelques concessions sur les moyens légaux que peuvent utiliser les acteurs du Net pour contrôler ses décisions. Reste que, dans l'absolu, le contrôle de ses activités (tel que validé) sera bien plus fort... Même si, encore une fois, le nouveau modèle doit encore être appliqué et éprouvé.