Des députés de la majorité et de l’opposition travaillent depuis plusieurs semaines à l’élaboration d’une proposition de loi organique destinée à rendre la consultation des citoyens obligatoire, via Internet, pour tous les textes de lois (hormis quelques exceptions). L’initiative, qui devrait se concrétiser à la rentrée, bénéficie de soutiens au sein du gouvernement.
Si l’exécutif n’a pas forcément beaucoup suivi les avis déposés l’automne dernier par les internautes sur la « version bêta » du projet de loi Lemaire, force est de constater que l’opération a séduit bon nombre de parlementaires – qui se sont d’ailleurs inspirés des contributions citoyennes au moment de préparer leurs amendements (voir notre analyse). La question a ainsi rapidement émergé : faut-il généraliser les consultations en ligne de citoyens ?
Certains y voient une bonne occasion de résorber le désamour entre citoyens et responsables politiques, tout en redynamisant le débat public. Lors de l’examen du projet de loi Lemaire, les députés se sont toutefois refusés à franchir un si grand pas, suivant ainsi l’appel à la prudence lancé par la secrétaire d’État au Numérique. Les élus du Palais Bourbon ont préféré opter pour une simple demande de rapport gouvernemental – qu’a finalement supprimé le Sénat...
Un rapport malgré tout en préparation pour la rentrée
Un bilan sera néanmoins tiré d’ici quelques semaines par l’exécutif. Le récent rapport de mi-parcours publié par la France dans le cadre de l’Open Government Partnership nous apprend en effet qu’un rapport devrait être présenté au sujet des consultations en ligne « avant la fin de l'été », visiblement afin de faire un point sur l’opération menée en amont du projet de loi Numérique, ainsi que sur la (ou les) piste(s) qui pourraient permettre de prolonger cette expérience.
Initiatives en gestation à l’Assemblée nationale
En complément à ces travaux gouvernementaux, différentes initiatives sont en gestation au Parlement. Au mois d’avril, le député Patrice Martin-Lalande (Les Républicains) a déposé une proposition de loi organique visant à rendre les consultations en ligne de citoyens obligatoires, quels que soient les textes – gouvernementaux ou parlementaires. L’élu de l’opposition s’apprête d’ailleurs à être rejoint par des parlementaires de la majorité.
Le 12 juillet dernier, selon nos informations, une réunion a eu lieu à l’Assemblée nationale autour du texte porté par le député Martin-Lalande. D’après plusieurs sources concordantes, étaient présents : quelques parlementaires (ou leurs assistants), à l’image du sénateur Joël Labbé – qui avait organisé fin 2015 une consultation en ligne sur le projet de loi Biodiversité – ; des membres des cabinets d’Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique, de Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État en charge de la Réforme de l’État, et de Patrick Kanner, ministre de la Ville (qui a lui aussi initié une consultation en ligne pour son projet de loi « Égalité et citoyenneté) ; Cyril Lage, créateur du site Parlement & Citoyens et co-fondateur de la start-up Cap Collectif – qui a notamment réalisé la plateforme ayant servi à la consultation sur l’avant-projet de loi Numérique ; etc.
L’objectif : débattre et trouver les bons « ajustements techniques » en cas de généralisation des consultations en ligne de citoyens. Et pour cause. Proposition de loi organique oblige, le texte du député Martin-Lalande tient en une poignée de mots, qu’une loi ordinaire devra compléter : les projets et propositions de loi devraient faire l’objet, si son texte était adopté en l’état, « d’une consultation publique en ligne » « avant leur examen par le Parlement ». Mais combien de temps devrait durer chaque consultation ? À quel moment organiser ces opérations ? Faudrait-il au passage prévoir des exceptions pour certains textes, tels que les (très vastes) projets de loi de finances ?
La réunion du mois dernier a permis de faire émerger des réponses à ces questions :
- Sur les textes soumis à consultation. « On s'est dit qu’il faudrait que ce soit aussi large que possible, avec deux limites uniquement : seraient dispensés de consultation les textes de déclaration et de prolongation de guerre, ainsi que les textes de déclaration et de prolongation de l'état d'urgence », nous raconte un participant. Les projets de loi de finances, habituellement votés à l’automne, seraient sur cette base soumis à l’avis des internautes. « Il y avait une envie qu'un texte aussi déterminant dans la vie du Parlement soit soumis à consultation », poursuit notre source.
- Sur la durée des consultations. Plutôt qu’un délai fixe, c’est une « date limite » de fin des consultations qui a surtout été envisagée. Chaque appel aux contributions citoyennes se terminerait cinq jours ouvrables avant le début de l'examen du texte – sachant qu’à l’Assemblée nationale, le délai de dépôt des amendements expire toujours trois jours ouvrables avant les débats en commission ou en séance publique. Ce qui signifie que les députés disposeraient de deux jours au cours desquels ils pourraient encore amender le texte.
- Sur le moment de consultation. « Les avis étaient partagés... » nous rapporte-t-on, entre ceux qui souhaiteraient n’organiser qu’une seule consultation, à l’image de ce qu’il s’est passé pour le projet de loi Numérique, et ceux qui préféreraient qu’une nouvelle opération soit engagée après chaque examen en commission et en séance publique (au fur et à mesure que le texte évolue). « Les parlementaires retravaillent le texte avant la séance, il n'y a pas de raison pour que celui-ci ne soit pas resoumis à consultation ! » a ainsi fait valoir un tenant de la seconde option.
Un nouveau texte attendu pour la fin août
Ces travaux devraient conduire les députés partisans d’une généralisation des consultations en ligne à préparer une nouvelle proposition de loi organique, plus affinée. « Nous y travaillons avec mon collègue Patrice Martin-Lalande », nous confirme ainsi Luc Belot, le député PS du Maine et Loire. Celui qui est également rapporteur du projet de loi Numérique espère arriver à « un texte définitif fin août ». L’intéressé n’avait d’ailleurs pas caché sa position sur ce sujet lorsque nous l’avions interrogé, début juin : « On est en 2016 et heureusement pour la démocratie, on sera tous obligés d'y venir ! Je ne vois pas comment les uns et les autres vont pouvoir en faire l'économie. »
Deux hypothèses sont désormais sur la table : soit cette nouvelle proposition de loi organique est signée à la fois par des députés de la majorité et de l’opposition (ce qui pourrait être délicat à gérer sur le plan politique), soit, à défaut, les groupes socialiste et Les Républicains déposeront séparément le même texte. « Ce n'est pas encore tranché, explique-t-on au cabinet du député Martin-Lalande. Il est assez probable qu’on se dirige vers le dépôt d’un nouveau texte sur lequel les députés se seront mis d'accord, mais par chacun des groupes. Et ensuite, à charge pour l'un de ces groupes d'essayer de le faire inscrire le plus rapidement possible dans une niche parlementaire, pour qu'il soit débattu avant le sommet de l’OGP, qui a lieu début décembre. »
Des soutiens au sein du gouvernement, avant le sommet mondial de l’OGP
Côté gouvernement, le soutien à cette initiative s’est surtout effectué par la voix d’Axelle Lemaire. Le 20 juillet dernier, à l’Assemblée nationale, lors du vote définitif sur le projet de loi Numérique, la locataire de Bercy a tenu à saluer le travail engagé par Patrice Martin-Lalande, « appuyé par le rapporteur Luc Belot, par le président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, et par d’autres députés, sur la généralisation de ces consultations publiques ». Elle a surtout exprimé son « souhait de voir aboutir cette proposition de loi ».
Jean-Vincent Placé a lui aussi eu l’occasion de se dire favorable aux consultations en ligne de citoyens, même s’il préférerait que celles-ci ne portent pas sur les projets de loi de finances. Le secrétaire d’État en charge de la Réforme de l’État a d’ailleurs rencontré Patrice Martin-Lalande le 12 juillet dernier pour en débattre.
Echanges sur les consultations #numériques et le Sommet mondial #OGP16 avec @deputepml cc @opengovpart pic.twitter.com/aVD8jYPfdQ
— Jean-Vincent Placé (@JVPlace) 12 juillet 2016
« Ça fait partie des choses qu'on pousse en vue du sommet mondial de l’OGP [qui aura lieu en décembre, à Paris, ndlr] » nous confie une source gouvernementale. Aucun arbitrage n’a cependant été rendu à l’Élysée ou à Matignon, ce qui explique que les ministres avancent à tâtons, préférant laisser les parlementaires prendre l’initiative... En coulisses, on parle en ce sens d'une « approche complémentaire ». « En plus, tout le monde travaille en dehors des clivages, ce qui est rafraichissant par rapport à d'habitude ! »
Un calendrier parlementaire très chargé
Si l'accueil du sommet mondial de l’Open Governement Partnership devrait permettre de donner un coup de booster à l’initiative des députés Martin-Lalande et Belot, force est néanmoins de constater que de très nombreux obstacles se situent sur leur route... En termes de calendrier d’abord, le Parlement ne disposant plus que de six mois environ pour clore ses débats avant les prochaines élections. Sur le plan politique ensuite, afin de dégager une majorité sur ce texte.
Certains se souviendront à cet égard des réticences du socialiste Olivier Faure, qui prône quant à lui l’instauration d’amendements citoyens que les internautes pourraient déposer sur Internet, et qui seraient obligatoirement débattus dès lors qu’ils recueilleraient un certain nombre de soutiens : « Le risque [avec les consultations en ligne], c'est d'avoir rapidement un essoufflement. C'est quelque chose d'être consulté et une autre chose que d'avoir la capacité à imposer un débat. Je me méfie de cette idée, parce qu'elle peut sonner le glas, pour de longues années, de toute participation plus claire et plus nette. Je ne voudrais pas qu'on considère que le fait de consulter est une bonne solution. »
« C'est loin d'être gagné vu toutes les étapes qu'il va falloir franchir... » soupire un habitué de l’Assemblée nationale. « Mais Patrice Martin-Lalande ne se décourage pas, et il bénéficie de soutiens au sein de l'exécutif et du Parlement. »
Quand bien même aucun texte n’était adopté d’ici aux prochaines élections, l’exécutif planche depuis plusieurs mois sur la construction d’une plateforme à laquelle pourrait recourir facilement – et à moindre coût – toute administration qui souhaiterait consulter des citoyens. La « boîte à outils pour un gouvernement ouvert » s’intéresse en effet à cette question, l’idée étant d’offrir un outil et une équipe pour accompagner les ministères désireux de se lancer dans l'aventure. Celui-ci pourrait voir le jour début 2017.