En inaugurant un nouveau centre de recherche et développement, Orange a multiplié les promesses sur le très haut débit dans les campagnes. Un engagement de l'opérateur historique largement aidé par les décisions et les finances publiques.
Hier, François Hollande et Stéphane Richard étaient sur la même scène, à la fois pour inaugurer le nouveau centre de R&D d'Orange (Orange Gardens) et pour annoncer un grand plan destiné à mieux connecter les zones rurales (« Orange Territoires Connectés »). Celui-ci sert autant les intérêts de l'opérateur historique que ceux de François Hollande, qui se rapproche opportunément de « l'opérateur des champs », comme le remarque à juste titre Rue89.
Ce plan, composé de plusieurs grandes mesures sur le fixe et le mobile, doit globalement améliorer les débits disponibles dans les campagnes, via un investissement humain et financier important de l'entreprise. Pourtant, celle-ci oublie de préciser qu'une bonne partie de ses promesses sont soit financées, soit largement soutenues par l'État et les collectivités locales.
Un mauvais élève qui se rattrape sur le service universel
Avant tout, Orange se vante d'avoir mis en place une charte de qualité réseau et une application Signal Réseaux, pour permettre aux élus de signaler plus facilement les incidents sur le réseau cuivre. Des initiatives louables, que l'opérateur historique présente comme siennes... Ce qui n'est pas tout à fait vrai.
En fait, ces deux initiatives entrent dans le cadre du service universel (l'entretien du réseau téléphonique), pour lequel le groupe est compensé financièrement par les autres opérateurs, pour plusieurs millions d'euros par an. Surtout, ces initiatives viennent après une année 2013 désastreuse sur la qualité de service du réseau cuivre. Les délais de rétablissement, notamment, étaient loin d'être respectés.
Cela a amené l'ARCEP à travailler de près avec Orange pour la redresser en 2014 et 2015. Le cahier des charges pour le renouvellement de la mission de service universel doit d'ailleurs être renforcé, l'État en attendant plus d'Orange dans ce domaine. Pour sa part, le gendarme des télécoms réclame un contrôle étroit des obligations.
Plus de débit en ADSL et VDSL, en partie via les collectivités
La première vraie promesse d'Orange est de « dé-saturer » les répartiteurs ADSL, voire de les « opticaliser » (amener la fibre jusqu'à eux) pour améliorer les débits et ouvrir l'accès au VDSL. Une tâche qui pourra être accomplie soit sur les fonds propres d'Orange, soit via les investissements de collectivités, dans le cadre de la montée en débit. « Ce sont des zones dans lesquelles nous avons des parts de marché élevées. Pour nous, l'enjeu est de garder ces clients chez nous, tout simplement » expliquait Stéphane Richard au micro de Radio Classique, évoquant ce nouvel investissement.
Second volet de cette amélioration : l'accompagnement des collectivités dans leurs projets. C'est-à-dire fournir de la montée en débit sur cuivre aux collectivités qui le demandent, via son offre PRM (réglementée par l'ARCEP). Si l'opérateur historique n'est pas censé en faire grand profit, cette solution est largement poussée par Orange auprès des petites collectivités (voir notre enquête) et est un moyen important de jouer la carte du « service public » auprès des élus. 80 % des projets financés par l'État pour amener le très haut débit y font appel... Avec les financements qui vont avec.
L'appropriation commerciale des investissements publics sur la montée en débit (atteignant parfois plusieurs millions d'euros) n'est d'ailleurs pas du goût de certaines collectivités. Orange affiche ainsi largement son logo et ses offres auprès des habitants de communes « traitées » en montée en débit, sans mention d'investissement public. Deux d'entre elles ont d'ailleurs saisi l'ARCEP à ce propos, l'une d'elle obtenant le retrait du logo Orange des équipements qu'il installe (voir notre analyse).
Un engagement à double tranchant sur les réseaux publics
Côté très haut débit, Orange promet de s'engager encore plus fermement auprès des réseaux d'initiative publique (RIP), montés par les collectivités pour amener de meilleurs débits (voire la fibre) aux habitants des zones rurales. Si ceux-ci commencent à sortir de terre, leur grand problème actuel est le refus récurrent des grands opérateurs nationaux d'y proposer leurs box.
Officiellement, les FAI nationaux attendent une harmonisation technique et commerciale de ces réseaux pour y venir. Se connecter à plusieurs dizaines de réseaux, chacun pour quelques dizaines de milliers de prises, ne serait simplement pas rentable. Surtout que certains ne seraient techniquement pas aux normes.
Cet argument est aussi exploité par certains opérateurs, dont Orange, pour obtenir les délégations de service public, soit la construction et la gestion de ces réseaux. Orange « prévoit d’intensifier son action en mobilisant son savoir-faire pour accompagner les collectivités territoriales dans le développement de leurs projets », soit être d'autant plus présent lors de leur conception, pour respecter ses canons.
En avance sur ses obligations en 4G rurale
Pour les zones où il est trop coûteux ou difficile de déployer un réseau filaire, Orange opte pour la 4G « fixe ». Le groupe annonce un lancement commercial en 2017, « afin de permettre à des foyers dont le débit ADSL ne permet pas une connexion satisfaisante de bénéficier d’un service internet de meilleure qualité (plus de 10 Mb/s) ». Pour les dernières lignes difficiles, Orange recommande les solutions satellites de sa filiale NordNet... qui refuse les nouveaux clients grand public sur un bon tiers du territoire via l'un de ses fournisseurs (Eutelsat), dont le réseau est saturé dans ces zones.
Comme il le note, Orange est largement en avance sur ses obligations de déploiement en 4G, contrairement à Bouygues Telecom et SFR, épinglés préventivement par l'ARCEP à ce sujet. « 5 millions d’habitants supplémentaires bénéficieront de la 4G d’Orange en zone rurale d’ici à un an », promet l'opérateur, qui compte anticiper ses obligations de couverture de trois ans.
Un accord très politique avec l'État
Surtout, ces nouvelles promesses s'inscrivent dans le dialogue permanent entre Orange et son actionnaire public ; l'un disposant d'un énorme poids dans les télécoms, l'autre dans son capital. François Hollande a d'ailleurs été clair.
« Il y a une forme de contrat entre nous. D'un côté, vous investissez pour le long terme dans les territoires qui ne sont pas les plus favorisés dans la République. De l'autre côté, l'Etat doit vous assurer une sécurité, une stabilité législative, réglementaire et fiscale. Nous y veillerons » a déclaré le président de la République.
Orange et les autres opérateurs se sont déjà largement engagés dans la couverture mobile des zones rurales, surtout des zones blanches... Même si les rythmes de déploiement peinent encore à suivre. Avec ce nouvel effort, Orange espère donc en obtenir plus. Surtout que la pression monte sur certains sujets. Nombreux sont ceux qui réclament une régulation spécifique d'Orange sur la fibre, l'opérateur historique dominant actuellement ce marché naissant (voir notre longue analyse). L'engagement d'Hollande pourrait donc signifier une stabilité sur ce plan, à confirmer dans les prochains mois.