Lanceurs d’alerte du renseignement : des protections en béton, une fondation moisie

Les murs de poussière
Droit 3 min
Lanceurs d’alerte du renseignement : des protections en béton, une fondation moisie
Crédits : aristotoo/iStock

Le projet de loi « Sapin 2 » sur la modernisation de la vie économique contient un chapitre dédié à la protection des lanceurs d’alerte. Spécialement, une disposition a été ajoutée par amendement pour mieux protéger encore ceux des services du renseignement.

Dans le marbre de la loi, le rapporteur Denaja veut ainsi graver cette disposition :

« Le II de l’article L. 861-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :

« II. - Les articles 6 E et 6 F de la loi n°     du      relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique sont applicables, dès lors que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a estimé que l’alerte avait été émise de bonne foi. » 

Un « plus » de protection pour les lanceurs d’alerte du Renseignement

Explications. Le L861-3 du Code de la sécurité intérieure protège aujourd’hui les agents des services du renseignement qui viendraient alerter la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement (CNCTR) de vilaines contrariétés légales dans l’exercice de leur mission. Une disposition née de la loi sur le renseignement de juillet 2015.

Le projet de loi Sapin 2 vient rajouter une solide couche de protection, en indiquant qu’un tel valeureux citoyen ne pourra subir de mesures vexatoires pour sa liberté de ton. Il « ne peut être, pour ce motif, écarté d’une procédure de recrutement, de l’accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, ou faire l’objet d’un licenciement, d’une sanction, d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération ou d’évolution professionnelle, ou de toute autre mesure défavorable, dès lors que le Défenseur des droits a estimé que l’alerte avait été émise de bonne foi ». C’est ce que nous dit l’article 6 E du projet de loi, déjà adopté en Commission.

En cas de litige, l’État ne serait pas démuni. Il pourrait malgré tout décider de sanctionner le cafteur mais en prouvant « que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l’alerte ». Il reviendrait à un juge d’ordonner toute mesure d’instruction pour trancher le différend. D’ailleurs, l’article 6F organise un soutien financier du lanceur dans ses frais de procédure. Bravo !

En 2015, l’exécutif a démoli ce statut

Mais aussi belles soient ces idées, il faut néanmoins revenir aux débats autour du projet de loi Renseignement. À un stade antérieur, il avait été décidé qu’agent qui constaterait dans l’exercice de ses missions des « faits susceptibles de constituer une violation manifeste » de la loi pourrait alerter la CNCTR. Et celle-ci se verrait alors offrir l’option de saisir le Conseil d’État voire d’alerter le Premier ministre.

Surtout, il était même expressément prévu que ce valeureux agent puisse faire état devant la CNCTR « d’éléments ou d’informations protégés au titre du secret de la défense nationale ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels ou des missions des services ».

Rangez vos cotillons : ce tableau à faire ronronner les Edward Snowden nationaux a été traité au cutter par l’exécutif. On se souvient en effet qu’en toute dernière ligne droite, le gouvernement a déposé un amendement dit « de précision » pour démolir ce bout de phrase crucial, parait-il histoire de garantir « que la sécurité des personnels ne sera pas mise en danger de ce fait, ni le bon déroulement des missions légitimes entravé ».

En l’ayant fait adopter, avec le soutien du rapporteur Jean-Jacques Urvoas, il a donc supprimé l’autorisation expresse pour l’agent de révéler des éléments couverts par le secret de la défense nationale. Et puisque tout son quotidien baigne dans ce secret, notre Snowden national n’a plus aujourd’hui la certitude de pouvoir en parler devant la CNCTR.

L’amendement « de précision » du gouvernement a ainsi apporté de l’imprécision pour la protection des lanceurs d’alerte. Alors certes, aujourd’hui, le projet de loi Sapin 2 a beau jeu de protéger ces agents des éventuelles mesures vexatoires, ceux-ci continueront malgré tout à témoigner un flingue sur la tempe.

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