Une affaire intéressante sera auscultée cette semaine par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle a trait à la possibilité d’ouvrir, ou non, le marché de l’occasion pour les copies matérielles non originales des logiciels.
Mercredi 1er juin, l’avocat général de la CJUE rendra ses conclusions dans un dossier concernant Microsoft. L'arrêt de la Cour est attendue ensuite dans les mois à venir. En l'espèce, entre 2001 et 2004, deux Lettons avaient revendu sur eBay plus de 3 000 copies de Windows et du pack Office sur un support autre que l’original. Aleksandrs Ranks et Jurijs Vasiļevičs récupéraient ces logiciels auprès d’entreprises et de particuliers.
Ils ont cependant été poursuivis par l’éditeur pour avoir vendu des copies protégées par le droit d’auteur (et usage illégal de sa marque). La justice a cependant un doute sur la possibilité pour une personne de revendre ces logiciels Microsoft sur un support non authentique. Elle a questionné en ce sens la Cour de justice de l’Union européenne. Il faut dire que les deux prévenus sont convaincus de leur bon droit. Ils s’abritent sous le parapluie de la règle de l’épuisement des droits, étant précisés que les CD originaux étaient abimés et qu’il n’existait aucune copie du logiciel revendu sur la plateforme en ligne. Pourquoi du coup laisser mourir ces licences d’occasion, et ne pas profiter des bonnes opportunités qu’ouvre eBay ?
La règle de l’épuisement des droits ?
La directive de 2009 sur la Protection juridique des programmes d’ordinateur consacre les droits exclusifs des éditeurs de logiciels, dont celui de distribution. Une brèche dans ce monopole existe cependant : c’est celle de « l’épuisement » des droits. Avec elle, l’éditeur peut contrôler les ventes, mais non les reventes. En pratique, après cette première vente d’une copie d’un logiciel, le droit de distribution est « épuisé » et la libre circulation retrouve son règne.
La CJUE avait déjà consacré la possibilité de revendre sur Internet des licences d’occasion sans support matériel. Cette fameuse affaire USedSoft du 3 juillet 2012 laissait toutefois flottante, la question de la revente des logiciels sur un disque non authentique, différent donc du support original.
Dans l’affaire lettone, la logique voudrait que la Cour conserve intacte sa doctrine, la question du support n’étant finalement qu’accessoire. En cas de feu vert, c’est tout le marché de l’occasion des licences originales sur support non authentique qui sera consacré au plus haut de l’Europe. Une consécration qui rendra infernale la traque de Microsoft contre les copies pirates de ses logiciels.
La tiédeur française
En France, au ministère de la Culture, un rapport du CSPLA portant sur la directive sur le droit d’auteur, avait déjà appelé à coupler la règle de l’épuisement avec la présence matérielle de l’œuvre (pdf).
Sur le même sujet, dans une réponse parlementaire concernant les jeux vidéo, Fleur Pellerin avait dressé un pont entre marché de l’occasion et piratage. Selon la ministre d’alors, « le développement considérable du marché de l'occasion et du téléchargement illégal dans le secteur du jeu vidéo a conduit l'industrie à prendre des mesures garantissant une meilleure protection des droits de propriété intellectuelle ». Et celle-ci de se féliciter de l’essor des mesures figeant ce marché, soutenant que « l'activité de revente de jeux physiques et du pluritéléchargement des jeux en ligne est préjudiciable au développement de l'industrie et contrevient aux droits des éditeurs ».
Quelques heures après la médiatisation de sa curieuse réponse, elle avait tenté de rassurer : « Pas d'inquiétude, il n'a jamais été question d'interdire la revente de jeux vidéos d'occasion telle qu'elle se pratique aujourd'hui !!! »