La fondation Linux est actuellement au cœur d’une polémique concernant à la fois la composition de son conseil d’administration, et la manière dont les membres sont élus. Elle a en effet changé discrètement certains termes de son règlement pour que les membres individuels ne puissent plus participer aux élections.
La Linux Foundation est une association à but non lucratif dont la mission est, globalement, de promouvoir Linux. Elle permet de financer nombre de développements, à commencer par celui du noyau lui-même, et de veiller à ce que les parties impliquées s’unissent autour de standards communs. Elle permet également de payer un certain nombre de développeurs, dont Linus Torvalds.
Payer plus pour voter plus
Son financement se fait en bonne partie grâce aux entreprises membres, dont la participation débloque plus ou moins de privilèges : Silver (de 5 000 à 20 000 dollars par an en fonction de la taille de l’entreprise), Gold (100 000 dollars par an), Platinum (500 000 dollars par an) ou individuel (99 dollars par an, pour les particuliers).
Jusqu’à récemment, les élections pour le conseil d’administration se faisaient en fonction du rang des inscrits à la fondation. Les Platinum élisent ainsi dix membres du conseil, les Gold en choisissent cinq, les Silver un, et les individuels deux. Il peut sembler étrange que ces derniers puissent élire deux membres, mais ils sont également beaucoup plus nombreux, les élus ayant alors la charge de représenter la communauté elle-même. C’était du moins la situation avant que le règlement ne change.
La communauté ne participe plus aux élections
Certains passages ont été modifiés le 15 janvier, dans une mise à jour silencieuse du règlement (section 3.3a). Les individuels n’ont ainsi plus le droit d’élire deux membres du conseil d’administration. L’abonnement à 99 dollars est d’ailleurs supprimé, et remplacé par une offre gratuite intitulée « Individual supporter », le terme « adhérent » ayant été abandonné. La question principale est évidemment : pourquoi ? Elle recouvre aussi les raisons du changement que la manière dont ils ont été faits.
Cette modification du règlement a en effet été si silencieuse que plusieurs des développeurs les plus importants ne l’ont remarqué qu’une semaine après, ce qui a donné lieu notamment à des interrogations de la part de Matthew Garrett. Il se demande ainsi si l’évolution du règlement n’est pas une manière de laisser les entreprises impliquées dans la fondation se débrouiller entre elles.
Il s’interroge également sur la possibilité que le changement soit une conséquence d’un problème entourant Karen Sandler, directrice de la Software Freedom Conservancy, une association qui lutte pour le respect de la licence GPL. Or, elle souhaite actuellement intégrer le conseil d’administration, alors que la SFC prépare un dépôt de plainte contre VMware, à la fois membre Silver de la fondation et accusé de violer les termes de la GPL. Supprimer les votes de la communauté pourrait alors permettre d’évincer Karen Sandler.
La réponse vague de la fondation
Les spéculations de Matthew Garrett n’ont pas reçu de réponse, et la fondation elle-même n’a pas souhaité réagir avant vendredi dernier, et de manière incomplète. Jim Zemlin, président de la fondation Linux, explique ainsi que la composition du conseil d’administration ne change pas, le ratio des membres provenant des entreprises et de la communauté restent le même. Il y aura donc toujours deux membres issus de cette dernière. Il ne rebondit par contre pas vraiment sur le changement de statut des adhérents et se contente d’expliquer que la sélection sera simplement plus en phase avec ce qui se fait ailleurs.
Les deux membres concernés actuels, Larry Augustin et Bdale Garbee, restent donc en place. En cas de nouvelles élections par contre, seul le conseil d’administration pourra voter. Zemlin indique par ailleurs que la fondation « pourrait choisir d’ajouter des membres individuels supplémentaires provenant des communautés grandissantes », mais il s’agit bien d’une possibilité, en aucun cas d’une promesse.
Discrédit et contrôle par les entreprises
Zemlin indique par ailleurs que les discussions autour de la gouvernance de la fondation se sont trop souvent transformées en remarques offensantes et autres attaques personnelles. Il condamne de telles attitudes, en particulier contre Karen Sandler, a priori victime de tels discours, décrits comme parfois sexistes. Des comportements qui, toujours selon le président de la fondation, jettent un certain discrédit sur la communauté elle-même.
Une situation trouble, d’autant que Zemlin n’aborde ni les raisons profondes du changement dans le règlement, ni la possibilité pour Karen Sandler d’intégrer le conseil d’administration. De nombreuses questions restent en suspens, mais les médias ayant interrogé la fondation sur ces sujets (ZDnet, Softpedia ou encore The Register) n’ont obtenu aucune réponse. Beaucoup estiment en tout cas que le changement met la fondation encore un peu plus sous contrôle des entreprises, plus intéressées par la standardisation de Linux que par les aspects philosophiques de l’open source et le respect de la GPL.