Depuis le 1er janvier, deux nouveaux arrêtés encadrent l’usage des drones civils en France (voir notre article). Pour mieux décrypter ces textes, nous nous sommes entretenus avec l’avocat spécialisé Julien Brochot.
Quels sont les principaux changements par rapport à la réglementation précédente ?
Le plus grand changement concerne les images réalisées à l’aide d’un drone. Sous l'empire des précédents arrêtés, on avait un doute sur la question de savoir si, en tant que modéliste amateur, il était possible de réaliser des prises de vue avec son drone. La grosse nouveauté, c'est qu'aujourd'hui l’ambiguïté est complètement levée : n'importe quel aéromodéliste amateur peut faire des vidéos ou des photos avec son drone ! Par contre, il ne faut pas que ces images fassent l'objet d'une exploitation commerciale.
Ensuite, ces arrêtés prennent en considération un certain nombre de nouvelles pratiques. Je pense d'abord aux vols dits « hors vue », c'est-à-dire en pilotage en immersion. Ceux-ci sont autorisés, mais il ne faut pas que le drone s'éloigne à plus de 200 mètres horizontalement du télépilote, il ne faut pas qu'il soit à une hauteur au sol supérieure à 50 mètres, il faut que le drone fasse moins de 2 kg et qu'il y ait une deuxième personne pour assurer la sécurité autour. Mais les doubles commandes ne sont plus obligatoires par exemple. Parmi les autres pratiques autorisées, on a aussi le « follow me » : le drone circule de façon autonome selon un schéma prédéfini.
Les nouveaux arrêtés n’interdisent plus de survoler de « zone peuplée », mais l’« espace public ». Doit-on comprendre qu’il est désormais possible de voler en ville sans autorisation ?
Tout ça n'est pas clair du tout... Certains commentateurs disent que les aéromodélistes peuvent voler autour d'un rassemblement de personnes sous réserve de garantir les notions de sécurité de base. Je serai pour ma part plus prudent. Je crois qu'on peut commencer à envisager un certain nombre de choses, comme voler dans son jardin en ville. Tout le problème est qu’on ne sait pas du tout comment les arrêtés vont être interprétés...
En admettant qu'on puisse voler en zone peuplée avec un drone, il faut quand même savoir que le moindre coup de vent peut faire chuter un appareil léger chez le voisin, de telle sorte que celui-ci sera fondé à se plaindre. Sans que ce soit totalement interdit, ça pourrait générer des litiges. Donc à mon avis, il faut quand même faire très attention à tout ça.
Assiste-t-on à la fin de la distinction qui existait auparavant entre drones avec et sans caméra embarquée ?
Oui, on a une forme de distinction qui ne disparaît pas totalement, mais qui s'estompe très largement. Mais ce n'est pas parce qu'il y a des dispositions nouvelles que les autres normes cessent de s'appliquer. Pour les questions de vie privée, que ce soit en matière civile ou pénale, la loi s'applique à la caméra d'un drone comme à n'importe quel appareil photo.
Est-ce qu’il y a du changement au niveau des sanctions encourues par les pilotes de drones ?
Les sanctions sont toujours les mêmes : un an de prison et des amendes qui peuvent aller de 15 000 à 75 000 euros. Il n'y a pas de changement du Code des transports de ce point de vue-là.
Un point a fait un peu polémique, à propos des déficients auditifs. Les sourds ont-il désormais interdiction d'utiliser des drones ?
Rien n'empêche qu'une personne malvoyante ou malentendante puisse se servir d'un drone sous réserve de disposer des appareils correcteurs nécessaires. Je pense qu'une tierce personne peut également aider à corriger cette difficulté. Mais une personne seule qui n'entend rien et qui ne dispose d'aucun appareil auditif ou détecteur de son ne me paraît pas pouvoir respecter les nouveaux arrêtés.
Pour résumer, où et dans quelles conditions peut-on voler en toute légalité avec son drone de loisir « grand public » ?
Je suis pour la prudence extrême, dans la mesure où on n'a pas du tout de recul par rapport à ce qui est prévu par ces nouveaux arrêtés. Quand on utilise un drone de loisir, il faut d'abord s'intéresser au drone lui-même : préférer un appareil très léger, peu puissant, plutôt avec des pales en plastique... Quant au lieu où l'on doit voler, il faut selon moi aller dans la mesure du possible dans des endroits complètement dégagés, de préférence en rase campagne, sachant qu'en tout état de cause, il faut faire très attention à l'environnement autour (aéroport ou centrale nucléaire à proximité, etc.).
Il faut être extrêmement prudent car l'arrêté laisse une part importante de discernement aux pilotes, en expliquant qu'il faut quand même respecter des règles de sécurité qui s'apparentent à des règles de bon sens.

D’une manière générale, peut-on dire que la nouvelle réglementation est plus souple que celle issue des arrêtés de 2012 ?
C'est vraisemblable, oui, pour les particuliers. Pour les professionnels, cette législation n'est toujours pas satisfaisante car elle laisse la part belle à un régime administratif qui reste relativement lourd, notamment s’agissant des autorisations.
Pensez-vous qu'il soit concevable de mettre en place en France un registre d'immatriculation des drones, à l'image de ce qui vient d'être instauré aux USA ?
Je n'y crois pas trop, parce que je ne pense pas que ça ait un intérêt. Ce serait très lourd sur un plan administratif, en particulier pour les petits modèles grand public. Et en plus, ça n'aurait aucune incidence dans l'hypothèse d'un acte malveillant unique puisque les terroristes auraient de toute façon les moyens de contourner l'immatriculation.
Merci Maître Brochot.