Saisi par Bouygues Télécom en juillet 2013, le Conseil d’État a finalement suivi le 23 décembre dernier les conclusions du rapporteur public : l’État est enjoint dans les six mois à publier l’un des décrets d'application de la loi Hadopi de 2009.
Ce décret n’est pas n’importe lequel : c’est lui qui oblige et organise l’indemnisation des fournisseurs d’accès pour l'identification des adresses IP et le relayage des avertissements. Deux étapes inévitables pour la réponse graduée.
Dit et redit dans nos colonnes, le sujet a cependant fait l’objet d’un patinage artistique du plus bel effet au ministère de la Culture où depuis la mise en route de la loi, les ministres successifs ont démultiplié d’arguments pour ne pas publier ce fameux décret, bloquant tout espoir d’indemnisation (voir notre florilège).
100 euros d'astreinte, mais...
Avec cette injonction adressée par le Conseil d’État, le gouvernement n’a désormais plus vraiment le choix. Certes, les juges ont assorti cette obligation d’une astreinte de 100 euros par jour de retard. Ce montant économiquement très faible n’est qu’un grain de poussière face aux plus de 10 millions d’euros réclamés par les FAI, sans compter les millions d'euros à venir... On pourrait du coup imaginer ce scénario diabolique où la Rue de Valois bloquerait encore et toujours cette publication, se contentant de verser l’obole de l’astreinte, tout en ricanant derrière ses murs.
Mais l’approche ne peut être aussi simpliste. Déjà, lorsque le Conseil d’État enjoint l’administration de faire quelque chose, ici publier un texte, c’est le signe bruyant d’un beau dysfonctionnement. Ce n’est ni glorieux ni très sérieux. Et lorsque comme ici, il accompagne cette injonction d’une astreinte, c’est qu’il exprime publiquement un doute sur la bonne volonté du ministère à y répondre.
Ce montant déterminé souverainement par le juge n'est finalement que très secondaire, loin de la forte portée symbolique du signal adressé aux fenêtres de Fleur Pellerin : une lacune qui fait mauvais genre, qui commence à se savoir dans les plus hautes sphères juridictionnelles, un gros index pointé vers les services du ministère, lequel peut désormais craindre un magnifique contre-exemple : d’un côté, des abonnés obligés de respecter la loi Hadopi quand de l’autre, la Rue de Valois se paye le luxe de ne pas l’appliquer. Presque impensable.
Quelle issue en cas d'enlisement ?
De toute évidence, en cas d’enlisement au terme des six mois à venir, un autre scénario plus solide peut s’envisager : celui où Bouygues Télécom – ou un autre FAI – viendrait à ressaisir les juridictions administratives pour réclamer cette fois une astreinte plus élevée.
Enfin, n’oublions pas que lorsque l’administration prend une décision illégale (ici, celle de ne pas publier le décret), l’illégalité est en soi fautive. Et si un des FAI démontre un préjudice trouvant sa cause directe dans cette faute, il pourra obtenir la condamnation de l’État pour faute. « Si l'injonction n'est pas suivie, un tel défaut épargnera aux FAI la peine de remettre aux juridictions un argumentaire de 36 pages » nous confirme, sourire aux lèvres, un des spécialistes du secteur.