Sécurité, liberté, fraternité : les députés adoptent la loi sur l’état d’urgence

Le parole au Sénat
Droit 7 min
Sécurité, liberté, fraternité : les députés adoptent la loi sur l’état d’urgence
Crédits : Marc Rees (licence C-BY-SA 2.0)

« La sécurité est la première des libertés » s’est délesté Manuel Valls lors de la présentation du projet de loi sur l’état d’urgence, adoptée aujourd’hui à l’Assemblée nationale. La petite phrase, partagée aussi par le Front national, laissait augurer plusieurs mesures touchant aux nouvelles technologies

Le projet de loi déposé cinq jours après les attentats a été rédigé en un temps record : outre son étude d’impact et l’avis du Conseil d’État, il a été voté en quelques heures par les députés. Il part maintenant au Sénat où évidemment l’enjeu sera d’éviter l’adoption d’une version différente.

Pourquoi ? Car une telle contrariété obligerait la réunion d’une commission mixte paritaire, outre un nouveau vote. Cela rendrait possiblement caduque les décrets déclarant l’état d’urgence, publiés samedi dernier pour une durée de 12 jours. Au contraire, le texte de loi vise à étendre cette période à trois mois durant laquelle l’exécutif aura de vastes marges de pouvoir, sans intervention ni contrôle préalable de qui que ce soit, et surtout pas d’un juge. En raison du contexte, la France veut pouvoir aller vite, très vite, contournant toutes les garanties normalement mises en place pour assurer le respect des droits et libertés fondamentaux.

Cette accélération de l’histoire et ce vote dans la précipitation n’ont pas convaincu tout le monde. Si le projet de loi a été adopté par une très vaste majorité (551 pour), ils ont été 6 à avoir voté contre : Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Gérard Sebaoun, Isabelle Attard, Sergio Coronado, Noël Mamère. Lors de la discussion générale, ce dernier a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme : « banaliser le tout sécuritaire, c'est instaurer un climat de peur » a t-il égratigné, dénonçant un vote dans l’émotion « pour transformer l’exception en ordinaire ». Mais ces voix n’ont pas porté, d’autant qu’en rédigeant le projet de loi prorogeant l’état d’urgence à trois mois, le gouvernement a profité de l’instant pour modifier plusieurs dispositions de la loi de 1955 sur la question. Les éventuels députés hésitants n’ont eu donc aucun choix alternatif : ou ils votaient ces modifications, ou bien l’état d’urgence ne serait pas prorogé.

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Internet, l'axe du mal

Comme on pouvait s'y attendre, hier en commission des lois comme aujourd'hui dans l’hémicycle, Internet a été plusieurs fois pointé du doigt. Selon Jean-Christophe Lagarde, c’est le premier vecteur du terrorisme. Pour Roger-Gérard Schwartzenberg, il « joue un rôle bien plus important que les mosquées elles-mêmes dans l’endoctrinement, le recrutement et la provocation au terrorisme ». D’après Christophe Poisson, « les réseaux sociaux, les sites internet, les blogs propagent eux aussi des messages favorisant le recrutement ou incitant à commettre semblables actions ».

« Les terroristes usent quotidiennement d’internet et des téléphones portables pour communiquer » croit savoir Pascal Popelin, avis partagé par Alain Tourret : c’est une « source du mal », le député déplorant qu’on ne s’attaque pas assez à « la contagion par Internet ». N'en jetez plus !

Un concours Lépine

Durant les débats, les députés Les Républicains avaient le pied sur l’accélérateur. Ils ont tenté de faire de l’inscription sur la fiche S un critère de condamnation ou encore voulu sanctionner le seul fait de consulter un site d’incitation ou d’apologie au terrorisme. À chaque fois, le gouvernement comme le président de la Commission des lois ont poliment rejeté ces propositions.

Sur la fiche S, qui est un fichier de personnes à l’encontre desquelles il n’y a que des indices, non des preuves, Bernard Cazeneuve leur a répondu que des outils de surveillance permettent déjà des mises en attention de façon discrète. Il serait du coup absurde d’interner ces personnes ou leur mettre un dispositif électronique au pied. Mieux, plusieurs auteurs des attentats de Paris n’étaient pas inscrits…

Autre idée des Républicains, portée par Eric Ciotti : interdire à une personne assignée à résidence « de disposer d’un téléphone cellulaire ou de terminaux autonomes de connexion à internet ». Le député Jean-Jacques Urvoas n’y a pas été favorable, doutant du caractère opérationnel de cette interdiction, alors que dans la décision Hadopi, le Conseil constitutionnel a considéré que l’accès à Internet était une composant de la liberté de communication. Inversement, interdire ces échanges auraient peut-être privé les services d’une source de renseignements précieux…

Placement sous surveillance électronique

Le gouvernement a sans trop de mal fait adopter cet amendement qui organise le placement sous surveillance électronique par décision administrative. Seulement, compte tenu des impératifs constitutionnels, l’exécutif a mis tellement de conditions à sa mise en œuvre qu’il ne devrait qu’être peu pratiqué.

Cela ne peut concerner qu'un individu condamné à une peine privative de liberté « pour un crime qualifié d’acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans d’emprisonnement » et qui « a fini l’exécution de sa peine depuis moins de huit ans ». De plus, le mécanisme sera soumis à l’approbation écrite du principal concerné. S’il signe, alors il se verra imposer un périmètre dans son assignation à résidence, « une alarme se déclenchant dès lors que la personne se rapproche des limites de la zone définie. »

Chez les parlementaires socialistes, Sandrine Mazetier avait voulu avec plusieurs de ses collègues permettre le contrôle de la presse, de la télévision, etc. Plus exactement, cette prise de contrôle était déjà prévue en 1955 pour les évènements d’Algérie, mais le projet de loi l’a fait sauter au grand regret de cette grappe de députés de la majorité. Leur amendement n’a toutefois pas prospéré en commission.

état d'urgence

Un blocage administratif 2.0

Par contre, dans l’hémicycle, poussé par la droite, l’actuelle majorité a voté une nouvelle version du blocage administratif des sites incitant ou provocant au terrorisme, proposée par l’opposition.

Deux amendements similaires ont été validés (57 et 50) avec une disposition laconique et très vaste : « le ministre de l’Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provocant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. »

Quelles sont les différences avec le blocage administratif de ces mêmes sites prévu par la loi de novembre 2014 sur le terrorisme ? Dans le régime de droit commun, c’est l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication qui décide les sites à bloquer, non le premier ministre. Le mécanisme intègre aussi un principe de subsidiarité obligeant l’OCLCTIC à contacter l’éditeur ou l’hébergeur avant d’aller voir le FAI. De plus, une technique de blocage y est suggérée (elle frappe les adresses électroniques) et les utilisateurs qui désirent se rendre sur un site bloqué sont renvoyés vers une page explicative. La procédure doit être enfin bouclée en 48 heures, maximum.

Dans la version prévu dans le projet de loi sur l'état d’urgence, toutes ces étapes sautent. Le gouvernement décide, les intermédiaires exécutent. Point. Dans un cas comme dans l'autre, il existe toutefois un droit au recours devant le juge administratif. S’il a donné un avis positif, Jean-Jacques Urvoas n’a pas très bien compris l’intérêt opérationnel d’un tel blocage 2.0. « Je crois que ce qui est écrit posera des difficultés techniques, d’autant que dans la loi de 2014, tout est déjà prévu sous 48 heures. Est-ce que l’on pourra faire mieux ? Je suis favorable à ces amendements, mais je ne vois pas leur intérêt. »

La queue de la comète de la loi sur l'état d'urgence

Un dernier point est passé comme une lettre à la poste aujourd’hui, très peu remarqué. C’est la possibilité pour le gouvernement de décider de la dissolution d’un groupement de fait (un groupe de personnes) ou de droit (une association, une entreprise, etc.) durant les trois mois de l’état d’urgence, mais également de surveiller au-delà sa non-reformation via les outils de surveillance de la loi sur le Renseignement (voir nos explications détaillées).

Fette dissolution pourra être décidée dès lors qu’un trouble grave à l’ordre public sera imputé à ce groupe de personnes, quand bien même ce trouble serait sans aucun rapport avec les motifs qui ont justifié l’état d’urgence (les attentats terroristes). Joli non ?

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