La conseillère spéciale de Bernard Cazeneuve a tenu à nous préciser que les propos du ministre ciblaient uniquement les positions du FN, et donc pas les exegètes amateurs (dixit Jean-Jacques Urvoas), la presse qu'il ne croit pas, ou la myriade d'opposants aux lois sécuritaires de l'actuel gouvernement, bref tous ceux autres que le FN, « qui parlent fort. »
Le 2 septembre dernier, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a clôturé le colloque des Attachés de Sécurité Intérieure, au centre de conférence ministérielle. Il s’en est pris à cette occasion à ceux qui avaient osé critiquer les différentes lois sécuritaires portées par le gouvernement ces derniers mois.
Le locataire de la Place Beauvau s’est en effet attaqué (très) longuement aux opposants de la loi sur le renseignement (2015), la loi sur le terrorisme (2014) ou encore de la loi de programmation militaire (2013). Trois textes qui ont notamment accru les capacités intrusives des services spécialisés.
« Tous ceux qui parlent fort et d’ailleurs généralement de façon incongrue, comme s’il y avait une corrélation entre le nombre de décibels qu’on utilise et l’incongruité des propos que l’on tient sur ces sujets, ont été contre toutes les décisions législatives que nous avons arrêtées : contre le blocage administratif des sites, contre l’entreprise individuelle terroriste, contre la loi Renseignement, contre l’interdiction administrative de sortie du territoire... Comme si toute la stratégie consistait à rendre impossible le travail des services, par des mesures législatives opportunes, pour mieux constater la difficulté dans laquelle les services se trouvent d’accomplir leurs missions et mieux pouvoir ensuite théoriser qu’il n’y a qu’une seule et unique solution, qui consiste à organiser la suspicion autour des musulmans de France de telle sorte à pouvoir les stigmatiser, les accuser alors que l’immense majorité d’entre eux, sur le territoire national, pratiquent leur religion dans le respect profond des principes et des valeurs de la République. »
S’opposer à la loi sur le renseignement, ce serait nourrir la suspicion auprès des musulmans ? Ce joli grand écart, suivi d’une pirouette et d’un triple salto, a été sèchement commenté du côté de la Quadrature du Net, l’un des nombreux piliers de l’opposition contre ces dispositions...
Le chiffrement, de plus en plus utilisé
Le ministre de l’Intérieur est aussi revenu sur la question du chiffrement, puisque la loi sur le renseignement autorise les services à utiliser des techniques pour tenter de faire sauter ces verrous et « déceler des messages évoquant la commission possible d’attentats de manière à éviter qu’ils ne soient perpétrés ».
Pour lui, justement, « dans les attentats déjoués ou commis en France et en Europe, l’utilisation du cryptage des messages sur Internet a été de plus en plus systématiquement mobilisée, la sophistication des technologies utilisées par les terrorismes formés à cela pour échapper aux infestations et à la vigilance des services est désormais une modalité courante d’intervention des groupes terroristes. Nous avons tout à fait raison de prendre ces dispositions législatives. Elles ont été, on le constatera dans semaines et mois qui viennent, un instrument utile et absolument indispensable à la prévention du terrorisme en France et en Europe. »
Ces propos ministériels rejoignent ceux de François Molins, procureur de Paris, qui, dans une récente interview accordée à L’Express, relatait qu’ « en septembre 2014, Apple et Google, qui contrôlent 96 % du marché mondial, ont modifié leurs systèmes d'exploitation de manière à garantir un chiffrement total des appareils. Désormais, la totalité des données sont devenues inaccessibles à quiconque ne possède pas le code de déblocage. Seul l'utilisateur en est le détenteur. La justice devient aveugle en la matière. »
Pour mémoire, la loi sur le renseignement autorise les services à conserver jusqu'à six ans les renseignements chiffrés, à compter de leur recueil. Une période durant laquelle les services techniques pourront apporter leurs moyens pour tenter de déchiffrer ces messages. De leur côté, les prestataires de cryptologie ont l'obligation de remettre les clés de chiffrement « dans un délai de soixante-douze heures » (article 12 de la loi), sous peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Le PNR européen avant fin 2015 ?
Lors de cette rencontre, Bernard Cazeneuve a aussi détaillé les mesures à venir en matière de sécurité. S’il n’a rien dit sur la proposition de loi sur la surveillance internationale, destinée à patcher une censure constitutionnelle, il milite pour une amélioration du système d’information Schengen et avant tout, l’instauration d’un PNR (Passenger Name Record) à l’échelle européenne.
L’idée ? Assurer par fichiers, une traçabilité des personnes soupçonnées de terrorisme et voyageant dans les compagnies aériennes en Europe. « Il est indispensable que le PNR soit mis en œuvre avant la fin de l’année » a t-il tambouriné. Suite à un récent vote au Parlement européen, le dossier entre désormais dans le processus de négociation avec le Conseil et la Commission (trilogue). Un impératif : « Les vols intracommunautaires doivent être dans le PNR » a souhaité le ministre, laissant deviner en creux de possibles divergences.