Le projet de loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (PDF) a été révélé le 18 mai dernier par le Conseil économique et social. Nous reviendrons en détail sur certaines de ses dispositions, mais l’une manque déjà à l’appel : celle relative à la transparence de l’utilisation de la redevance pour copie privée. Explications.
Ce projet de loi promis de longue date par Aurélie Filippetti sera présenté le mois prochain en Conseil des ministres puis discuté au Parlement à l'automne prochain, indiquent nos confrères d’Electron Libre.
Nous avons pu pour notre part nous procurer un élément fondamental de l’histoire de ce texte : la version qu’avait ébauchée Aurélie Filippetti, avant donc l’arrivée de Fleur Pellerin. Dans le projet Pellerin, plusieurs articles ont été repris, cependant l’un manque déjà cruellement à l’appel : c’est celui sur la transparence des sommes collectées au titre de la redevance pour copie privée.
Manque à l’appel ? L’ancienne ministre de la Culture nous l’avait confié lors des rencontres cinématographiques de Dijon, fin 2013 : un article serait spécialement incrusté dans le texte afin de tenir compte de notre procédure CADA visant à obtenir communication des rapports d’affectation de la redevance Copie Privée.
Pour mémoire, lorsque les ayants droit aspirent entre 200 et 250 millions d’euros chaque année au titre de la copie privée, les sociétés de gestion collective (SACEM, SACD, SCPP, etc.) ont la cruelle obligation de garder 25 % des flux. Ces sommes doivent ensuite être utilisées au soutien de l’action culturelle, chaque société étant toutefois libre de choisir quels festivals, quelles manifestations bénéficieront de ces 50 ou 60 millions d’euros. Seule contrainte formelle : elles doivent détailler ces redistributions dans un rapport remis chaque année au ministère de la Culture, comme le prévoit le code de la propriété intellectuelle.
Des rapports sur la copie privée incopiables
Seul souci, ces rapports publics ne sont pas publiés. C’est ce que nous avions découvert en mai 2013, lorsque nous avions demandé via une procédure dite CADA (commission d’accès aux documents administratifs) communication de ces pièces pour le moins importantes compte tenu de l’ampleur des sommes en jeu. La Rue de Valois nous avait cependant expliqué que les rapports d’affectation sur la copie privée n’étaient malheureusement pas informatiquement copiables. Comme s'ils avaient été tapotés sur une vieille Remington... Il nous fallait donc nous déplacer à Paris, pour consulter en quelques heures, des milliers de pages. Ce que nous avons fait, comme raconté dans notre dossier kafkaïen.
Le projet de loi Création, version Aurélie Filippetti
Heureusement, donc, le projet de loi Création préparé par l’ancienne ministre devait corriger ce tir. Dans un article ébauché rue de Valois, deux idées étaient programmées : d’un, que l’assemblée générale de chaque société de gestion collective soit parfaitement éclairée sur l’utilisation des actions financées par la copie privée. Comment ? Grâce à un détail sélectif des flux. Surtout le texte prévoyait que « ces sociétés rendent public ce rapport [d’affectation, ndlr] sur un réseau de communication au public en ligne » (voir notre capture, ci-dessus).
Depuis notre procédure CADA, davantage de sociétés de gestion collectives diffusent désormais une version électronique de ces flux, mais pas toutes. On ne pouvait donc qu’espérer que Fleur Pellerin, anciennement en charge du numérique, soit sensible à cet impératif. D’autant plus qu’en 2014, dans sa résolution votée par le Parlement européen, l’ex-eurodéputée Françoise Castex avait elle aussi chaudement invité « les États membres à publier des rapports décrivant ces affectations dans un format ouvert et des données interprétables. »
Malheureusement dans le projet de loi Création v.2, cette obligation de transparence a… sauté, alors que la ministre publie désormais un joli guide de l'Open Data. Sauf amendement contraire, en l’état, les sociétés de gestion collectives seraient donc assurées de pouvoir conserver l’intimité de ces flux, si tel est leur choix. Et peu importe que ces sommes, encadrées par le Code de la propriété intellectuelle, aient une coloration publique forte, en liaison étroite avec la politique culturelle.