De plus en plus, l'information est partout, tout le temps. Mais pour autant, est-ce que nous sommes mieux informés ? Certains n'en sont pas persuadés et ont décidé de ralentir le rythme et de miser sur les services et sur le fond, en marge de ce déferlement de « news ».
Je ne sais pas vous, mais moi, je n'arrive plus à suivre le rythme de l'actualité. Ces dernières années, que ce soit à travers les chaînes d'information en continu ou avec le développement croissant des sites d'information en ligne, on ne peut que constater que le volume de « news » devenait trop important à « consommer », avec un flux qui ne s'arrête jamais et dont on ne semble pas toujours se demander s'il remplit bien son rôle : celui d'informer les citoyens sur des sujets sérieux et parfois spécialisés ou même sur des faits un peu plus... légers.
Trop d'information tue l'information
Une situation à qui l'on a donné un nom : l'infobésité. Car désormais, tout ce qui peut se passer à travers le monde ou même au niveau local est traité, parfois des dizaines ou des centaines de fois, à un rythme effréné. Et chacun peut devenir une source d'information à travers un compte public sur les réseaux sociaux, un blog ou même une chaîne YouTube. De quoi créer un véritable brouhaha dans lequel il est facile de se perdre (le rêve des adeptes de la sérendipité).
Mais comment réussir à suivre tout cela et à s'y retrouver ? C'est tout bonnement impossible avec les outils actuels. Pendant longtemps, les lecteurs de flux RSS ont été la norme, mais ils sont devenus de véritables usines à liens où l'on se retrouve facilement avec plus de 1 000 contenus publiés si on ne fait pas le tri pendant quelques heures. Il en est de même pour Twitter ou les autres réseaux sociaux pour peu que l'on suive quelques dizaines de comptes actifs.
Ainsi, malgré cette impression d'avoir accès à tout, on passe facilement à côté de l'essentiel puisqu'incapables de tout suivre de manière constante, surtout lorsque cela n'est pas notre métier. On peut donc facilement ne jamais avoir connaissance d'un article réellement pertinent sur tel ou tel site de presse, de l'analyse intéressante publiée par un blogueur ou d'une vidéo qui nous aurait permis de mieux comprendre un sujet complexe en quelques minutes, le tout perdu dans un flot d'informations plus ou moins identiques publiées ici et là.
De la transformation d'internet en photocopieuse géante...
Car là réside une partie du problème : d'un site à l'autre, que l'on parle de la presse généraliste, plus spécialisée, ou même de blogs influents, on retrouve souvent la même information, pas toujours traitée sur le fond ou avec un angle spécifique, lorsqu'il ne s'agit pas simplement de la même dépêche AFP reprise en chœur. Parfois, c'est même l'occasion d'une petite notification au passage étant donné l'importance « vitale » du sujet (ou son potentiel de buzz) :
Bref, l'info du jour c'était que... #UneDepêchePourLesNotifierTous pic.twitter.com/pvH1Xfrz8S
— David Legrand (@David_NXi) 2 Janvier 2015
Ainsi, une bonne partie du contenu produit n'est pas tant le fruit d'une réflexion ou d'une analyse que la reprise d'une information le plus souvent à peine agrémentée, surtout dans les premières heures qui suivent son apparition. Plus tard, lorsque sera venu le temps des analyses (ou du démenti), les lecteurs seront passés à autre chose. Le plus souvent, ils se contenteront d'un titre, d'un résumé ou d'une information tenant en quelques lignes, quitte à perdre en nuances et en exactitude du fait de la contraction des choses. De quoi alimenter les repas du dimanche en demi-faits et autres analyses à l'emporte-pièce sur fond de « Mais si, je l'ai lu l'autre jour ! »
... avec un zeste de « téléphone arabe »
Une situation assez bien résumée par l'équipe de L'imprévu, un projet de site d'information né à l'occasion d'un rendez-vous entre plusieurs ex-membres du site Owni.fr qui devrait être lancé début 2015 :
« Un tigre — qui n’en est pas un — gambade à travers la Seine-et-Marne. Nabilla est sortie de prison après plusieurs semaines de détention. Et pendant ce temps, un poissonnier exhibitionniste est convoqué devant le tribunal correctionnel de Béthune.
Qu’elles soient insolites, tristes, choquantes, de nouvelles informations viennent chaque jour en remplacer d’autres. L’actualité nous tient en haleine et ne s’arrête jamais. Nous en percevons la complexité mais nous avons de plus en plus de mal à en comprendre les enjeux.
L’imprévu est né de ce besoin : s’extraire du flux, se détourner des sentiers balisés, bref, faire un pas de côté. Nous voudrions vous donner les moyens de sonder la société et de mieux cerner les rapports de pouvoir qui la transforment. Le tout à votre rythme, car le temps est un luxe. Il permet d’enquêter, de comprendre et de transmettre. »
Un billet dont le titre fait référence aux médias et autres sites de divertissement qui s'étaient jetés sur l'affaire du « Tigre de Seine-et-Marne » qui n'était finalement... qu'un gros chat. Un félin qui avait tout de même donné naissance à un buzz mondial pendant quelques jours.
"Il ne faut pas courir devant le #tigre car par peur, il peut attaquer":un dompteur de #Pinder.http://t.co/6m6L78Aod4 pic.twitter.com/HthV0LmGVo
— France Bleu 107.1 (@FBleu1071) 13 Novembre 2014
Le modèle économique : la source de tous les maux
Une situation qui ne vient pas de nulle part, mais tient en un problème assez basique à comprendre : la quasi-totalité des médias opte pour un accès gratuit, financé par la publicité et dépend de manière importante du référencement sur Google et/ou les réseaux sociaux (la proportion pouvant varier de manière assez importante d'un site à l'autre) pour ce qui est de l'audience.
Une audience dont la métrique principale est le fameux nombre de pages vues, et ce, pour une raison simple : la publicité est le plus souvent payée au CPM (Coût Pour 1000 affichages). C'est donc le carburant des sites qui se doivent d'en produire le plus possible afin d'assurer leur financement, quitte à utiliser certains artifices comme le rafraîchissement automatique pour faire gonfler ce chiffre, tel un sportif en manque de bons résultats qui tente de trouver refuge dans les stéroïdes et autres produits dopants.
Car au fur et à mesure, cette métrique est aussi devenue vitale pour la perception des sites. Plus ce chiffre grimpe et plus vous êtes considéré comme populaire, influent... bref, reconnu. Les lecteurs ne restent que quelques secondes sur vos pages ? Vous mélangez le rédactionnel et des services à forte audience dans vos statistiques ? Certains espaces ne sont pas visibles ? Une bonne partie l'est seulement par des robots ? D'autres sont affichés dans des onglets qui ne sont jamais en premier plan ? L'ensemble est tout sauf efficace ? Qu'importe.
Les sujets ne manquent pas, mais les rédactions appliquent les recettes qui marchent
Le but n'est alors plus de satisfaire le lecteur, mais de l'attirer. De le faire cliquer en masse afin d'être présent dans le Top 10 des sites les plus visités, et capter l'intérêt des annonceurs, qui font de plus en plus face à des groupes constitués et organisés afin de dispenser leur bonne parole aux différentes cibles (voir notre analyse).
Et les sujets ne manquent jamais. Chez Next INpact, on s'amuse parfois à se dire entre nous « Non, mais les jours qui viennent, vous allez voir, ça va être calme », mais au final, on en arrive tout de même à faire le point sur les techniques de décryptage de la NSA entre Noël et Nouvel An. Et quelle meilleure période pour annoncer la nomination de l'éventuel prochain Président de l'ARCEP, ou publier un décret d'application d'un article important de la Loi de Programmation Militaire ?
Le Gouvernement ne s'y trompe d'ailleurs pas et l'on se retrouve avec un Journal Officiel de plus de 1100 pages au 31 décembre. Autant dire que ce n'est pas là qu'il faut être en équipe réduite afin de décortiquer la chose. Mais lorsque les équipes sont réduites, on se focalise sur l'essentiel. Et l'essentiel peut avoir différentes définitions.
1120 pages pour le #JORF du jour. Le petit retard est excusé :)
— marc rees (@reesmarc) 31 Décembre 2014
Les « Top 10 » des actualités qui sont publiés en ce moment par nos confrères le montrent bien, les résultats sont là : les lecteurs sont avides d'articles au titre accrocheur, de sujets « People », de billets de blog qui font le buzz republiés au sein d'un site à forte audience, et heureusement, d'articles d'analyses ou de témoignages... qui sont plus rares, notamment parce que plus long et plus coûteux à produire.
Du modèle économique résulte donc l'intérêt de rédiger rapidement, et à coût minimal, des articles qui concernent les déboires de Nabilla ou de Valérie Trierweiller, dans l'espoir que cela finance le reste (et de ne pas trop souvent se faire attraper par @clicdemoins).
Le lecteur n'est plus un citoyen à informer, mais un revenu (ou un ennemi) potentiel
Et si le tarif de la publicité baisse parce que tout cela n'est plus assez efficace ? On multiplie les espaces. Cela ne suffit plus ? La vidéo et les publicités natives sont là ! Les utilisateurs sont gênés et utilisent Adblock et ses dérivés ? Multiplions les espaces à nouveau sans chercher à résoudre le problème à la racine... puis cherchons à limiter son usage en limitant l'accès au contenu (même si l'on sait ce combat perdu d'avance).
On en arrive ainsi à la situation actuelle : un marché qui mise sur le buzz pour plaire à Google et aux partages sociaux, privilégie la rapidité et la masse plutôt que le fond, affiche parfois plus de publicités que de contenu, impose jusqu'à 80 trackers par page, un zeste de géolocalisation, et se confronte désormais à l'impossibilité technique de limiter simplement l'accès aux utilisateurs d'un bloqueur de publicité. Un constat qui n'est pas à généraliser, mais ces pratiques sont désormais majoritairement répandues, bien que certains essayent de miser sur la notion de « Web de l'attention ».
Consciente que cela ne fonctionne plus, la presse dont les revenus sont voués à diminuer sur le papier, qui se finance parfois aussi à travers les aides de l'État (ou de... Google), se cherche donc un nouveau modèle, notamment à travers les fameux « Paywalls » qui prennent diverses formes (voir notre analyse). Mais comme bien souvent, elle réagit un peu tard, et d'autres solutions alternatives ont déjà commencé à voir le jour.
La résistance s'organise : « Slow info » et longs formats
Il existe ainsi déjà depuis quelques années des médias qui ont dès le départ misé sur le payant, quitte à produire moins mais à nous proposer mieux à lire, comme Arrêt sur images ou Mediapart. Et outre la conversion récente des sites de presse, on voit de plus en plus de nouveaux médias se constituer autour de l'idée d'une information avec plus de recul, souvent en long format, et parfois payante.
Hormis le cas de L'imprévu que nous avons évoqué un peu plus haut, on pourra par exemple parler du projet Le quatre heures, né du travail de plusieurs étudiants du CFJ de Paris. Ils y mettent en ligne chaque premier mercredi du mois, à 16h, un nouveau reportage en format long et multimédia et militent ainsi pour la « Slow info ». Le tout est découpé sous forme de saisons et d'épisodes, un peu à la manière des séries. Les sept premiers reportages sont accessibles gratuitement. Pour le reste, l'accès se fait sur abonnement, pour 2 euros par mois ou un peu moins de 20 euros par an.
Ulyces va un peu dans le même sens, même si le site se présente plutôt comme un « éditeur d'histoires vraies », à mi-chemin entre le journalisme et l'édition, qu'il est possible de consommer à l'unité (2,49 euros), ou via un abonnement (5,49 euros par mois, 54,90 euros par an). Ici, c'est plutôt une organisation sous forme de collections dont il est question.
De son côté, Ijsberg a opté pour un modèle relativement différent : des actualités découpées selon leur temps de lecture (promptement, calmement et longuement), misant sur une présentation assez graphique, le tout étant accessible gratuitement. Le modèle économique ne repose néanmoins pas sur la publicité, mais l'équipe indique dans ses différentes interviews explorer deux pistes : proposer ses compétences techniques à des tiers, mais aussi l'arrivée prochaine d'une version papier, payante, dont le site web serait surtout une vitrine.
Vous pourrez en apprendre plus en écoutant ce numéro de l'Atelier des médias de RFI, enregistré à l'occasion d'un évènement organisé en septembre au Numa à Paris :
Une vague de nouveaux médias dont le Ministère de la Culture veut faciliter la création, notamment via la proposition de loi dite de Modernisation du secteur de la presse qui contient la création d'un statut d'entreprise solidaire de presse d'information qui vise des sociétés de presse qui s'engagent sur une lucrativité limitée et le réinvestissement de leurs bénéfices, ce qui devrait, à terme, leur permettre d'accepter des investissements facilités d'un point de vue fiscal, un peu à la manière des fondations.
Des outils pour vous aider à y voir plus clair, et pour tous les goûts
Mais au-delà de ces projets, actuels ou à venir, d'autres cherchent à vous permettre de vous y retrouver dans les contenus actuellement mis en ligne par l'ensemble des sites, au-delà des habituels agrégateurs. Nous avons déjà largement évoqué le cas de Pocket, qui propose par exemple de faire ressortir les articles les plus populaires ou les longs formats dans les contenus que vous avez décidé de mettre de côté volontairement (parmi les quelques milliers qu'il vous reste sans doute à lire, faute de temps).
Certains outils commencent aussi à voir le jour afin de vous permettre de faire ressortir les éléments les plus populaires de manière générale ou chez vos amis / abonnements sur Facebook et Twitter, comme Nuzzel par exemple. Comme nous l'avions évoqué hier, il permet de retrouver les liens les plus partagés selon différents critères sur une période de 8 à 24 heures, et donc sans doute de faire ressortir des lectures intéressantes du flux. Les Labs du New York Times avaient de leur côté mis en ligne un outil avec un but un peu similaire, mais seulement consacré à Twitter : Vellum.
Algorithmes ou choix rédactionnels : pratiques différentes, mais problématiques similaires
Une manière de faire automatisée, ce qui donne tout pouvoir à l'algorithme qui prend les décisions de mise en avant de tel ou tel contenu. Un réel problème pour certains (déjà évoquée lors de l'avènement de Google News notamment), sans compter que cela peut rapidement nous faire retomber sur la question de la prépondérance du buzz sur le reste en fonction des critères retenus.
Ainsi, si vous préférez une sélection humaine, vous pourrez vous tourner vers des outils comme le Reader de Slate, gratuit et sans publicité (il est financé par le FINP de Google). Sa production est le résultat des choix d'une petite équipe, qui n'utilise les algorithmes que comme base de travail. Ici, la mise en avant de tel ou tel article, la présence ou non de tel média n'est donc plus forcément le résultat d'un choix prédéfini par les développeurs, mais bien celui de l'équipe éditoriale.
Une logique différente qui soulèvera néanmoins des questions du même acabit. En effet, qu'est-ce qui est mis en œuvre afin de ne pas faire ressortir que des contenus issus de gros médias ? Que faire lorsqu'un contenu n'est accessible qu'à travers un paywall et repris de manière condensé par un confrère en version gratuite ? Est-ce que le média maison est privilégié par rapport aux autres ? De quoi inciter, sans doute, tous les acteurs qui opteront pour une telle façon de faire à miser sur un certain niveau de transparence afin de se différencier des boites noires que sont les algorithmes, et améliorer leur pratique afin de s'assurer le soutien de leurs lecteurs.
Pour ce qui est de la manière de vous faire parvenir l'info, certaines préfèrent passer par une sélection de seulement quelques actualités par jour, accessible via une application ou un mail. Le New York Times a par exemple lancé son NYT Now. Yahoo s'est fait remarquer avec son News Digest qui propose deux fois par jour un résumé de l'actualité avec quelques informations mises en forme et agrémentées de contenu multimédia.
Dans la même veine, on retrouve QuickNe.ws ou NOD (News On Demand) qui vous mettent en avant au moins trois contenus à lire, le second vous permettant d'indiquer ceux qui vous plaisent ou non d'un glissé du doigt à la manière de Tinder.
Le mail n'est pas mort, il est même parfois payant
Pour les adeptes du mail, Time To Sign Off a depuis longtemps opté, comme d'autres, sur un modèle d'information sous la forme d'une newsletter, diffusée gratuitement de manière quotidienne. Ici, c'est la publicité intégrée qui finance le travail de l'équipe. Le modèle payant est en effet plutôt une pratique développée dans le monde professionnel ou dans la presse qui diffuse parfois des newsletters éditoralisées à destination de ses abonnés.
L'équipe de Brief.me a néanmoins décidé de se lancer sur un modèle hybride. Chaque jour l'équipe sélectionne en effet trois informations, présentées là aussi de manière éditorialisée, mais renvoyant vers des contenus plus complets sur des sites externes. Une sorte de média, par mail, qui veut résumer l'information de manière quotidienne, tout en misant sur un format court et donc plus digeste. Une aventure qui a déjà rencontré un certain succès puisque sa campagne sur Ulule lui a permis d'enregistrer 886 préventes sur les 500 espérées. Le service devrait être ouvert à tous dans le courant du mois de janvier.
2015 : l'occasion d'une révolution ou d'un acte manqué ?
Et si 2014 a été pour beaucoup de ces initiatives l'occasion de se mettre en place et de se faire connaître, 2015 va sans doute être un tournant pour ce qui concerne cette consommation apaisée de l'information. Avec l'évolution de son modèle économique, la presse ne pourra pas y couper et devra se poser la question de sa place au sein de cette tendance, qui est en train de gagner en vigueur et qui correspond à un réel besoin.
Continuer de publier plusieurs centaines d'informations par jour ou non, miser sur le buzz ou l'information, quelle place donner au long format, comment résumer au mieux ce qu'il se passe dans le monde, en France et dans tel ou tel secteur précis aux internautes avides de contenus ? Tant de questions que chacun devra se poser, si ce n'est pas déjà fait. Et cela passera tant par les pages d'accueil de chacun, que par les choix éditoriaux ou économiques, la cohabitation avec les versions papier, les pratiques des équipes ou les services mis en place.
Il faudra aussi en passer par le lecteur, qui est au final seul juge. D'ailleurs, si vous deviez définir la manière idéale de s'informer dans cette folie médiatique, quelle serait-elle et quelles sont actuellement vos propres pratiques ? N'hésitez pas à nous en faire part et à en discuter dans nos commentaires.