Le 20 octobre dernier, le conseil de prud’hommes de Saint-Denis (île de la Réunion) a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait traité son patron de « guignol » et de « boulet » sur Facebook. Next INpact revient aujourd’hui plus en détail sur cette décision.
Un dimanche soir d’août 2012, Vincent C. lâche sur sa page Facebook : « Reprise du taf demain matin... J’ai autant envie de voir mon guignol de patron que de me pendre... Bon, ça devrait se gérer quand même ! Bonne semaine à tous ! » Ce statut suscite quelques réactions de la part des « amis » de l’intéressé (qui pour quelques-un sont ses collègues de travail), son auteur leur expliquant alors dans les commentaires : « Mon taf, en lui-même, c’est cool. Mais mon boss, c’est un boulet, t’imagines même pas ! »
Sauf qu’après avoir eu vent de l’existence de ces propos grâce à certains de ces « amis », l’employeur de Vincent C. le convoque et demande à un huissier de justice de réaliser un constat. Quelques semaines plus tard, en octobre 2012, le salarié reçoit un courrier fleuri de son patron. « Nous vous notifions par la présente votre licenciement sans préavis ni indemnités pour faute grave, et ceci pour [des] propos dénigrants, diffamatoires et insultants à l’égard de votre employeur ».
Remercié, cet éducateur spécialisé n’en est cependant pas resté là. En février 2013, il saisit le conseil de prud’hommes de Saint-Denis, estimant que son licenciement n’est pas fondé. Vincent C. soutient alors que les propos qu’il a tenus sur Facebook étaient d’ordre privé, dans la mesure seuls ses « amis » et les « amis de ses amis » y avaient accès. Selon lui, un tel paramétrage avait pour effet de modifier la portée des insultes proférées, et donc l’éventuelle sanction qui aurait dû en découler.
Au total, l’internaute réclame plus de 130 000 euros à son ex-employeur, au titre de dommages et intérêts et d’indemnités de licenciement non versées.
Accès des « amis des amis » : le caractère privé n'est « plus maintenu »
La suite est connue. La justice a donné raison à l’entreprise. Les conseillers prud’homaux ont en effet suivi l’avocat de l’employeur, qui affirmait à l’appui du constat d’huissier que les propos de Vincent C. étaient « publics », car accessibles à la quasi-totalité de ses collègues de travail ainsi qu’à des personnes extérieures à l’association. Dans leur décision, que nous avons pu consulter, les magistrats ont ainsi relevé que le caractère privé n’était « plus maintenu » dès lors que « tous ses amis et amis de ses amis » avaient accès à sa page Facebook.
Une fois cette étape franchie, le conseil de prud’hommes a confirmé que les propos litigieux étaient « non conformes à la liberté d’expression » du salarié. « Si Facebook est ce réseau social permettant à tout utilisateur de communiquer et d’échanger, néanmoins, il ne peut être admis que Monsieur C. puisse l’utiliser pour déballer et afficher par là même ses ressentis et critiques aussi invraisemblables à l’égard de [son employeur] » indique la décision, dans une sorte d’avertissement très clair en direction du mis en cause.
Les magistrats ont par ailleurs pris en considération la fonction du salarié pour appuyer leur jugement : « Vincent C. étant éducateur spécialisé, de par sa fonction et l’image qu’il est censé inculquer, se devait et se doit d’observer une ligne de conduite exemplaire dans la communication et les échanges sur ce réseau social Facebook, entre autres ».
Concluant que ces propos étaient donc « constitutifs de faute grave », la justice n’a pas donné suite aux prétentions de l’ex-salarié. Elle a cependant condamné l’association qui l’employait à lui verser 2 952,92 euros d’indemnités, pour une irrégularité dans la procédure de licenciement (sa lettre de convocation à l’entretien préalable de licenciement n’a été envoyée ni en recommandé ni en remise en main propre contre récépissé).
L’affaire devrait se poursuivre en appel
Ce dossier devrait cependant être à nouveau débattu devant les tribunaux. L’avocat du salarié, Maître Bruno Agliany, a indiqué à la presse régionale qu’il allait faire appel de cette décision. L’intéressé conteste le raisonnement du conseil des prud’hommes, en particulier parce que le constat d’huissier a selon lui été réalisé en passant par le compte Facebook d'un « ami » du salarié.
On rappellera également que la Cour de cassation a considéré l’année dernière dans un arrêt de principe qu’une page Facebook dont l’accès est réservé « aux seules personnes agréées par [son propriétaire], en nombre très restreint », et de telle sorte que ces internautes forment « une communauté d’intérêts », revêt un caractère privé. Or ici, les juges n’ont guère motivé leur décision, ne faisant par exemple aucune mention du nombre d’amis pouvant potentiellement accéder aux propos en question. Affaire à suivre donc.