Les ayants droit peuvent-ils s’opposer à ce qu’une vidéo hébergée sur YouTube avec leur autorisation puisse être incrustée et partagée (embeded) dans un site tiers ? La Cour de justice de l'Union européenne vient de répondre par la négative.
BestWater International est une société allemande spécialisée dans les filtres à eau. Elle avait réalisé un film publicitaire qui s’était retrouvé sans son consentement, affirme-t-elle, sur YouTube. L’entreprise avait surtout mal digéré que deux agents commerciaux d’une entreprise concurrente incrustent sur leur site cette vidéo. Ni une ni deux, BestWater avait lancé une procédure en contrefaçon exigeant au surplus la cessation de cette diffusion.
Après accord amiable, les deux parties s’entendaient pour cesser cette diffusion. Cependant, la justice allemande a fait droit aux demandes de réparation : elle a condamné chacun des deux agents à verser à l’entreprise 1 000 euros de dommages et intérêts, outre 555,60 euros pour couvrir les frais de mise en demeure.
Saisie, la juridiction d’appel a revu ce jugement : elle a réparti ces frais entre toutes les parties et rejeté la demande de dommages et intérêts. BestWater a donc contre-attaqué devant la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) qui s’est retrouvée confrontée à une difficulté liée à l’interprétation de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins. Celle-ci pose en effet que « les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs oeuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs oeuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement » (article 3, paragraphe 1).
Le droit d'auteur face aux vidéos incrustées sur YouTube
En principe, cet article exige l’autorisation de l’ayant droit, dès lors qu’un acte de communication est effectué auprès du public. C'est toujours le cas lors de la première mise en ligne puisque le public est alors nouveau. Dans le même sens, cette autorisation n’est plus exigée en cas de « communication » de l'oeuvre auprès d’un public identique.
Voilà pour les grandes lignes. Toutefois, que se passe-t-il quand cette même vidéo est « embedée » sur un site tiers, à partir d'une vidéo déjà hébergée par YouTube ? Le critère du « public nouveau » est-il vérifié ? Faut-il une nouvelle autorisation ou, à défaut, l’éditeur du site tiers risque-t-il une action en contrefaçon ?
La Cour de justice de l'Union européenne s’est inspirée de l’arrêt Svensson sur les liens Internet, pour trancher cette question (l'ordonnance de la CJUE). Elle considère que les vidéos « embedées » ne peuvent être qualifiées de « communication au public », « dans la mesure où l’oeuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d’origine ». En clair : il n’est pas possible de lancer une procédure en contrefaçon contre l’éditeur d’un site sulfaté de vidéos intégrées.
Faut-il pour autant considérer que cette décision soit « open bar », permettant d’autoriser un site diffusant en streaming des vidéos hébergées sans autorisation sur YouTube ou n’importe quel hébergeur ? La prudence doit rester de mise puisqu'une mauvaise réponse ferait peser un risque lourd sur les épaules des éditeurs de sites.
Une réponse donnée dans l'hypothèse d'une autorisation des titulaires de droits
Dans cette ordonnance, la Cour souligne au point 4 que BestWater s’est contentée « d’affirmer » que la vidéo avait été mise en ligne sans son autorisation. Elle n’a pas creusé ce point, car ce n’est pas son rôle. Elle s’est simplement contentée de faire ce qu'on lui demande : répondre à la question de la haute Cour allemande :
« Le fait que l’oeuvre d’un tiers mise à la disposition du public sur un site Internet soit insérée sur un autre site Internet dans des conditions telles que celles en cause au principal peut-il être qualifié de ‘communication au public’, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, même lorsque l’œuvre en question n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique différent de celui de la communication d’origine ? »
L’information fondamentale est alors donnée aux points 16, 18 et 19 de l’ordonnance, et spécialement ce passage :
« Dès lors que et tant que cette oeuvre est librement disponible sur le site vers lequel pointe le lien Internet, il doit être considéré que, lorsque les titulaires du droit d’auteur ont autorisé cette communication, ceux-ci ont pris en compte l’ensemble des internautes comme public. »
En somme, la réponse de la CJUE est claire : si le titulaire de droit a initialement autorisé la mise en ligne sur YouTube, il ne peut interdire la transclusion (embeding) sur des sites tiers. Et pour cause : une solution inverse aurait mis en responsabilité l’ensemble des utilisateurs de Facebook qui partagent des vidéos avec leurs « amis ». Soit une belle bombe atomique posée sur Internet !
Cependant, la Cour ne répond clairement pas à la situation où la mise en ligne a été faite sans l’autorisation du titulaire de droits, tout simplement parce que l’hypothèse n’apparaissait pas dans la question posée, mais au simple détour d’une affirmation de BestWater. Il reviendra donc aux juges allemands de trancher ce point : est-ce qu’une vidéo postée sans autorisation sur YouTube contamine les inclusions sur des sites tiers (Inline linking) ? En d'autres termes, est-ce que l'adage juridique Fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout) s'applique dans un tel cas ?