Après les livres numériques, la Hadopi s’intéresse tout particulièrement aux jeux vidéo dématérialisés. Un simple hasard ? Pas vraiment, dans la mesure où ces deux filières boudent aujourd’hui la riposte graduée, qui n’est alimentée que par les ayants droit de la musique et du cinéma. Explications.
Le 10 juin dernier, la Hadopi a lancé un énième marché public afin qu’un prestataire externe réalise pour son compte une étude « sur la dématérialisation des jeux vidéo et les nouvelles formes de consommation illicites liées à ce mode de distribution ». En clair, la Haute autorité souhaite en savoir davantage à la fois sur l’utilisation par les Français de jeux vidéo autres qu’en version « boîte », mais aussi sur le piratage de ces mêmes jeux. Proposant en échange jusqu’à 45 000 euros (hors taxes) d’argent public, la Haute autorité a donc exigé une étude se déclinant en deux volets (voir le cahier des clauses particulières, que s'est procuré Next INpact).
Premièrement, le prestataire est tenu de réaliser une étude de marché qui se veut assez classique. Il est ainsi question de dresser un état des lieux de la dématérialisation des jeux vidéo (volumes, parts de marché, acteurs en présence, supports de jeu – consoles, mobiles, « avec un focus particulier sur le PC », etc.). Un travail de prospective quant à l’avenir de la dématérialisation des jeux est également souhaité, ce qui devrait passer par une mise au clair des « défis » futurs pour la filière (DRM, types d'offres...).
Deuxièmement, c’est une étude quantitative qui est attendue de la part du prestataire. Ce volet devra effectivement permettre d’identifier, en lien avec l’étude de marché, « l’impact de la dématérialisation sur la consommation illicite et le « piratage » : évolution des pratiques illicites, apparitions de nouvelles pratiques (fraude, contrefaçon, vol de compte, vol de coordonnées bancaires, reventes de clés d’activation, contournement de DRM, mise en place de serveurs parallèles, copie de jeux déprotégés, importation de l’étranger, etc.) » ainsi que « l’impact de ces nouvelles pratiques sur les offres licites » cette fois.
Une étude toute particulière des pratiques illicites qui ne semble pas désintéressée
Dans le cadre de ce second volet, le meneur de l’étude est également chargé de sonder au maximum les joueurs, puisque la Hadopi souhaite « connaître la notoriété et la perception des pratiques illicites et de piratages liées à la dématérialisation, ainsi que les risques perçus pour les joueurs ». En somme, l’institution veut savoir si les adeptes de jeux vidéo dématérialisés sont de près ou de loin des pirates (il est d'aillleurs en ce sens question d’« identifier la part de joueurs ayant déjà rencontré ces pratiques illicites »), et surtout s’ils ont connaissance des risques qu’ils encourent.
Car ce sujet n’a rien d’anodin. En effet, l’industrie vidéoludique n’a toujours pas frappé Rue du Texel afin de demander à participer au dispositif de riposte graduée. Aujourd’hui, seuls les ayants droit de la musique et du cinéma transmettent des adresses IP à la Haute autorité (SACEM, SDRM, ALPA, SCPP et SPPF). Autrement dit, il est impossible de recevoir un avertissement de la Hadopi en raison du téléchargement illégal d'un jeu vidéo. Or pour la l'institution, le secteur du livre et du jeu vidéo auraient vocation à être de la partie, comme l’a rappelé avant-hier Mireille Imbert-Quaretta.
« Hadopi a vocation à traiter l’ensemble des contenus culturels, a ainsi déclaré la présidente de la Commission de protection des droits de la Hadopi. Nous avions eu des contacts avec le secteur du jeu vidéo, qui, d’abord intéressé, n’a pas été plus loin. Nous ne sommes donc pas saisis par les autres secteurs que la musique ou l’audiovisuel, mais nous voulons être en capacité, si le jeu vidéo souhaite recourir finalement à la réponse graduée, de pouvoir traiter leurs signalements sans entamer sur les autres parties. »
Le tout ressemble donc à un nouvel appel du pied, d’autant qu’il est précisé que « pour la conduite de l’étude, l’Hadopi pourra s’appuyer sur le Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV), représenté par Monsieur Pierre Forest, membre du Conseil d’Administration ». On rappellera au passage que ce n’est pas la première fois que l’institution lance une étude dédiée au jeu vidéo, puisque de précédents travaux ont été conduits et dévoilés l’année dernière (voir notre article à ce sujet). La Haute autorité soutient néanmoins que ses programmes d’études sont « complètement décorellés des questions [liées à la] réponse graduée ».
Notons enfin qu’en prévision des entretiens à réaliser pour cette nouvelle étude, la Hadopi avertit son futur prestataire qu’elle « fournira une partie de la liste de contact, et aidera si nécessaire au recrutement des personnes à interroger ». Aussi, à propos de l’indépendance du titulaire du marché, l’institution indique qu’elle « propose des orientations ou sollicite des corrections sur la présentation formelle des livrables ou sur le cadrage de l’enquête ».
L’étude est censée débuter d’ici à la fin du mois, et la Rue du Texel attend un rapport final complet pour la mi-octobre.